Voici
un livre qui tombe à pic, tandis que le conflit du Kosovo rend perplexe
face à la complexité d’une région qui ne peut se comprendre si
l’on ne connaît pas tant soit peu son histoire. Le livre de
Jean-Christophe Buisson, consacré au général Mihailovic, chef de la résistance
serbe au nazisme, permet de plonger au coeur d’une histoire jusqu’à
ce jour quasi interdite, noyée sous la propagande communiste et celle
de ses complices, ceux que Lénine appelait les « idiots utiles ».
Retraçant
avec passion l’itinéraire du général patriote et monarchiste,
Jean-Christophe Buisson nous permet de surcroît de goûter à nouveau
les délices d’une histoire sérieuse mais « qui se lit comme un
roman », rendant subtilement compte d’une époque
mais n’oubliant pas que toute étude du passé concourt à la juste
perception du présent. Le lecteur le moins préoccupé des affaires
balkaniques trouvera ici matière à réflexion et à émotion.
L’histoire
de la résistance serbe dirigée par Mihailovic est celle du casse du siècle.
Par un cynisme étonnant, Tito a réussi à confisquer à son profit les
lauriers de la bravoure, s’appuyant en cela sur Churchill qui commit
ici une vilenie et une bêtise. Premier résistant à l’Allemagne
apparemment invincible, Mihailovic sera sacrifié sur l’autel du
partage fraternel avec les communistes. L’image de cet homme fidèle
jusqu’au bout à son Dieu et à son roi est saisissante. Les paroles
d’un de ses compagnons résument ainsi la situation des « cetniks »
à l’issue du conflit : « N’étions-nous pas dépouillés
de tout ? De tout au monde, si ce n’est de la fidélité et de la faim
? » Forte image d’une agonie qui donne toute la mesure de la tragédie
spirituelle du martyr serbe.
Comment
alors évoquer le peuple serbe sans référence à cette page
d’histoire glorieuse et douloureuse, secrètement transmise à l’écart
des dogmes de la religion titiste ? Comment ignorer les terribles
antagonismes entre Serbes et Croates, la symbolique libératrice de
l’ancestrale bataille du Kosovo ? Comprendre ce que signifie cette
poudrière balkanique conduit aussi à s’interroger sur les méfaits
de l’exportation du modèle d’Etat-nation occidental dans l’Europe
orientale, byzantine, impériale et fédérale. Tout comme les
Etats-Unis imposent aujourd’hui un nationalisme idéologique fondé
sur la vision du monde réduite au principe sommaire des droits de
l’homme, l’esprit de la Révolution, prolongé par le wilsonisme
lors du traité de Versailles, a introduit au sein d’un équilibre
instable le germe de sa destruction future. Plus que jamais il convient
de cerner au plus près ce que l’on entend par nation et se méfier
d’un double écueil : celui de l’ignorance de l’histoire
singulière des peuples ; celui d’un jacobinisme paré des
oripeaux de l’humanitarisme qui ne saurait restituer l’infinie
diversité de la couleur du monde.
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Jean-Christophe
Buisson, Héros trahi par les alliés, le général Mihailovic,
1893-1946, Perrin, 307 p., 139 F.
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