Voici
un livre qui pourrait être superflu. Rien de ce qu’écrit l’auteur
n’est ignoré des rares esprits libres pour lesquels penser n’est
pas répéter un catéchisme sommaire. Le terrorisme intellectuel que
Jean SévilliaC1) analyse sur ces cinquante dernières années est
manifeste, criant. Et pourtant ce livre est une gifle. En concentrant en
250 pages alertes la description de l’arsenal de la police de la pensée,
Sévillia nous réveille, nous qui nous sommes habitués depuis
longtemps à avaler les couleuvres les plus visqueuses.
Citations
à l’appui, le livre déroule implacablement le mécanisme de la
terreur intellectuelle, devenue sport national sur la Rive Gauche,
depuis 1945. Premier temps : réécriture de la guerre, dont les
lauriers sont confisqués par le parti communiste, celui du soutien au
pacte germano-soviétique et qui appelle les travailleurs français à
fraterniser avec les soldats allemands au lendemain de l’armistice ;
deuxième temps, réécriture de l’histoire du siècle, avec exonération
des crimes du communisme, assimilé au camp des démocraties ;
troisième temps, logique d’amalgame et d’invective : soldats
français des troupes coloniales, dénonciateurs du goulag, opposants à
l’immigration incontrôlée, partisans de la politique familiale, tous
seront tour à tour assimilés à la bête immonde. La logique de
l’antifascisme, que Furet a magnifiquement mis en lueur, fonctionne
parfaitement. Aujourd’hui que le « péril Le Pen » est de moins en
moins crédible, le délit « d’homophobie » vient à point nommé
pour réactiver le clivage entre les gentils et les méchants.
Avec
adresse, Sévillia montre que la constitution médiatique de la démocratie
moderne pousse à ces simplifications et à ce manichéisme, n s’agit
d’une logique totalitaire conclut-il au terme d’une démonstration
dont la force tient à la rigueur et au calme qui l’inspirent. Le mot
totalitaire peut être contesté, mais non la réalité décrite. Nous
voudrions pourtant prolonger cette analyse par une réflexion : il
semble bien que cette normalisation intellectuelle soit intimement liée
à l’exercice du pouvoir dans une démocratie moderne. D’abord en ce
que la compétition pour le pouvoir, dans un univers médiatisé,
engendre une âpreté qui a naturellement tendance à se muer en haine ;
ensuite en ce que la recherche de la majorité passe automatiquement par
une simplification du discours qui vide le débat intellectuel de ce qui
devrait le fonder, l’intelligence ; enfin parce que, en
l’absence d’autre légitimité que celle de l’opinion, la logique
du bouc émissaire permet d’évacuer les vraies questions et conforte
l’intelligentsia dans un magistère que la simple observation de ses
carences devrait lui interdire à tout jamais d’exercer. Relire
L’avenir de l’intelligence, publié en 1905 par Mourras,
permettra de trouver les clefs d’une situation qui n’est pas une dérive,
mais la logique profonde de la démocratie moderne. Parallèlement, lire
le livre courageux et essentiel de Jean Sévillia, sera, notamment pour
les plus jeunes, la meilleure manière de conquérir ce qui n’est
jamais acquis : la liberté de l’esprit.
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