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La Contre-Eglise : une terminologie commode mais ambiguë

Dominique Viain

Nouvelle revue CERTITUDES - n°4

S'il va de soi que les mots ont un sens, faute de quoi ils iraient contre leur propre fonction qui est d'être compris, il n'en demeure pas moins que dans leur emploi concret Us sont soumis, comme toute réalité humaine, à des aléas, à des avatars, qui les font passer de la stricte acception initiale aux usages dérivés, analogiques, imagés, voire ironiques, qui désapproprient le mot d'une partie de lui-même et lui donnent un autre sens, plus riche souvent et plus percutant mais d'essence différente. C'est d'ailleurs là toute la question de la poésie. Le mot Contre-Eglise s'est acquis dans nos milieux depuis quelques années une fortune qui s'explique fort bien : une puissance mauvaise humainement invincible, une sorte de pérennité, une pertinacité dans l'erreur et une apparente unité dans la lutte contre la seule Eglise de Jésus-Christ, l'Eglise romaine, autorisent, semble-t-il, à résumer ce combat des forces des Ténèbres contre celles de la Lumière dans l'image d'une Contre-Eglise de Satan qui se dresserait, presque avec la même stature, en face de l'Eglise du Christ.

Ainsi entendue, l'expression fait mouche et la présente réflexion n'a pas prétention à condamner absolument ni son emploi ni ceux qui l'ont employée, d'autant que s'y sont signalés les plus beaux défenseurs de la Foi, laïcs, clercs, voire prélats. D'ailleurs, d'autres expressions sont couramment employées chez nous comme ailleurs, telles que l'Eglise de France, l'Eglise conciliaire, et personne n'y trouve à redire, sauf que, précisément, au moment d'une exégèse stricte de ces termes, on s'aperçoit qu'ils recelaient un enjeu latent et grave ; derrière l'Eglise conciliaire se cache la question de la légitimité de sa hiérarchie et de son Magistère, derrière l'Eglise de France celle de la collégialité ou du gallicanisme etc.

Donc, parce que tous les mots ont un sens, il est légitime de s'interroger sur ce mot particulier, pour voir si le sens que l'on y met est bien celui que l'on désire y mettre ou s'il peut s'y glisser quelque chose d'adventice, voire de parasite qui pourrait nous faire regretter de l'avoir employé.

La problématique est d'autant plus épineuse et les enjeux importants que l'Eglise n'est pas un phénomène humain dans son essence mais une fondation divine. Tout néologisme ou emploi analogique du terme implique, explicitement, ce qui n'est pas grave ou implicitement, ce qui est plus redoutable, une ontologie de l'Eglise ou de la Contre-Eglise.

Étymologie

Notre première remarque est que le terme contient en lui-même une ambiguïté étymologique, qu'il partage avec tous les termes idéologiques construits sur le préfixe contre ou anti : la Contre-Eglise est-elle quelque chose ou quelques choses «contre» l'Eglise ou une entité accomplie dont l'essence est d'être La Contre-Eglise ou mieux l’Eglise-Contre ?

On se souvient que dans un petit livre célèbre Thomas Molnar s'est interrogé sur la Contre-Révolution et le contre-révolutionnaire : ce qui est en jeu alors est de savoir si le contre-révolutionnaire est contre la révolution, excluant en lui-même toute essence révolutionnaire, ou s'il est un révolutionnaire en insurrection contre les idées de la Révolution,, s'autorisant d'une stratégie identique, mais à buts contraires. Dans le cas de la Contre-révolution, la question devient une question de morale politique, certains penseurs de Tradition, par exemple, s'interdisant l'adhésion aux doctrines et mouvements qui sous couvert d'opposition à la Révolution (contre) en sont les plus fidèles continuateurs puisqu'ils en agréent l'esprit fondateur (révolutionnaires) : la question est ni plus ni moins celle de l'Histoire des droites françaises depuis deux siècles.

Avec la Contre-Eglise, bien sûr, la question morale ne se pose pas parce qu'il s'agit du camp de l'Ennemi : il est tout mauvais, qu'il soit Contre l'Eglise, Eglise-Contre ou Contre-Eglise !

Cependant ce qui se pose avec acuité, c'est dans l'ordre métaphysique, l'idée qu'on se fait du Mal et de son règne sur le Monde, et dans l'ordre pratique l'image psychologique de son action et de sa puissance.

Le plus simple, nous semble-t-il, pour éveiller les esprits et non pas, tant s*en faut , pour résoudre la question est de prendre les caractères de l'Eglise, tels que proclamés par la Foi catholique et de voir si l'on peut analogiquement les appliquer à une éventuelle Eglise-Contre, quitte à les inverser par antiphrase.

Un chef d'orchestre au dessus des grands initiés ?

Credo in Unam Sanctam Catholicam et Apostolicam Ecclesiam.

Unam : « Tout royaume divisé contre lui-même court à sa ruine ». Les méchants sont-ils capables de s'aimer ? de travailler unis ? La Révolution paraît souvent comme une conjonction de forces cohérentes, comme une synergie : maçonnerie, occultisme, fausses religions, mondialisme agissent contre l'Eglise depuis des siècles. Personne ne le nie. D'où l'induction tentante : c'est donc qu'ils s'entendent contre l'Eglise depuis toujours. Mais les antagonismes observables dans l'Histoire humaine étant trop patents (nazisme contre communisme, communisme contre maçonnerie, islam contre judaïsme, mondialisme contre néo-nazisme), on élabore, pour les expliquer, une théorie des apparences : l'unité réelle des buts et des doctrines serait cachée par une comédie des apparences destinée à masquer l'union fondamentale des forces du Mal. Bien sûr cette comédie, pour être crédible, implique que les acteurs mêmes de la désunion se croient réellement désunis : ainsi, les bolcheviques se croient réellement les adversaires du nazisme, et ils s'entretuent réellement au cours de la guerre ; c'est qu'ils se battent en fait, sans le savoir, dans une union supérieure contre le bien, dont seuls les gradés, disons les grands initiés, ont conscience ! De grands initiés en très grands initiés, la hiérarchie, évidemment, se rétrécit jusqu'à la personne du chef d'orchestre humain (je ne parle pas de Satan) qui seul agit en sachant tout de ce que tous les autres croient savoir et ignorent de fait. En lui seul serait faite, en quelque sorte, l'Union des forces du Mal.

On aura compris combien il est facile de penser et de passer à l'idée d'Eglise, avec son Pape, son clergé et ses fidèles et cette belle Unité du combat contre l'Eglise a quelque chose de fascinant. Mais justement, est-elle avérée, et trouve t-elle des preuves hors de la fascination qu'elle exerce ? Si l'Eglise est une, c'est précisément parce qu'elle est fondée sur l'Amour et la Grâce de son chef invisible, le Christ, et que la Grâce et l'Amour unissent ; et l'on revient à la question initiale : les forces du Mal peuvent-elles s'unir, d'une unité séculaire voire millénaire comme le croient certains Au reste, pourquoi les plus grands des initiés, le chef suprême de chaque génération, ou ses lieutenants, ne chuteraient-il pas parfois, c'est-à-dire, en l'occurrence, ne passeraient-ils pas... au Bien, "crachant le morceau" et donnant les noms, les lieux et les faits ? Serait-ce que les Portes du Ciel ne peuvent pas prévaloir contre la Contre-Eglise, et que personne ne saurait s'y relever, s'y convertir, dans une sorte d'impuissance de la Grâce. Déjà, et nonobstant des éléments ponctuels évidents (par exemple des comédies de désunion conjoncturelles sont, elles aussi, patentes dans la politique moderne), il nous semble que la sacralisation de cette unité des forces du Mal renferme une étrange fascination, à tendance manichéiste, comme s'il était au pouvoir de Satan de "fonder" son Eglise avec les mêmes prérogatives. C'est, peut-être confondre le Bien qui est et le Mal qui n'est pas.

Sanctam : Une fois admise cette extraordinaire unité d'être, les autres caractères de la Contre-Eglise en découlent rapidement. La sainteté inversée dans l'ordre du Mal n'est rien d'autre, alors, qu'une sorte de perfection dans l'accomplissement des desseins mauvais. Incapable de faire le moindre bien, la Contre-Eglise a du moins le pouvoir de toujours réussir le Mal. Elle est douée d'une sorte d'infaillibilité.

C'est à une sorte de découragement que nous invite l'affirmation trop marquée de la puissance de la Contre-Eglise

Tout projet, tout mouvement, toute loi, tout complot révélé par l'Histoire vont, dans une prophétie post eventum, droit à leur but, jamais mis en défaut, jamais contrecarrés, sinon dans la comédie des apparences, pour un Mal supérieur. D'où une sorte d'apologétique inversée chez bien des analystes de la Contre-Eglise, qui cache mal encore une fascination. Aussi, pour revenir à l'analogie du manichéisme, c'est l'action humaine elle-même, la chair en quelque sorte, qui est maudite comme toujours complice de la Contre-Eglise, quoi qu'elle fasse, consciemment ou inconsciemment, dans de bons ou de mauvais desseins ; comme, à rebours, l'action des fils de l'Eglise est bénie et transfigurée par la miséricorde de Dieu en qui "tout est Grâce". En d'autres termes, c'est à une sorte de découragement latent dans l'ordre humain (mais il est vrai que l'Espérance n'est pas humaine !) que nous invite subrepticement l'affirmation trop marquée de la puissance de cette Contre-Eglise. Un seul exemple concret de cette attitude d'esprit : combien de fois n'avons-nous pas lu des «prophéties» (sic) de maçons du XIXème  concernant la révolution dans l'Eglise au XXème ? Or, les scolastiques sont formels, les démons ne connaissent pas l'avenir ! Donc, car nous ne contestons pas les textes, ou bien par une permission divine (?), les méchants voient pour eux se lever quelque chose du voile de l'avenir ; ou bien, nous sommes simplement dans le cadre de la puissance supérieure de déduction et de prévision des esprits mouvais. Mais le terme de "prophétie" sied mal à la Contre-Eglise.

Catholicam : Universelle, l'Eglise l'est par sa mission historique et son englobement progressif de toute l'humanité baptisée et fidèle. Son image inversée pourrait se contenter de lui disputer le terrain, comme le firent historiquement les loges maçonniques sur les terres où les missionnaires catholiques apportaient le Christ. Mais, là encore, pour certains analystes de la Contre-Eglise, il faut que sa catholicité soit plus profonde, plus vraie en quelque sorte que celle de l'Eglise. Et l'on se plaît à tisser des liens entre la sorcellerie des Papous et celle des Bantous, les rites de l'Egypte et ceux de l'Amazonie, voyant dans ces perversions non point de simples imaginations de l'âme humaine dévoyée, non pas la simple inspiration de l'Esprit du Mal qui est le même dans toute l'Histoire des hommes, mais bien l'expression d'une universalité formelle, d'une harmonie de l'erreur préétablie, par voie de transmission légitime, dès les origines, avant même que le règne de l'Esprit ne se répande "par toute la terre". C'est toute la question de la Tradition originelle ou primordiale, véridique ou mensongère, qui se pose à travers l'idée d'une Contre-Eglise jusque chez les sauvages. Comprenons-nous bien ; nous n'excluons pas cette hypothèse. Nous nous étonnons qu'elle soit donnée comme avérée, dans un sens (bonne Tradition) ou un autre (mauvaise Gnose) avant même que d'être soumise au regard de la théologie catholique.

C'est la première fois que les forces du mal parviennent à donner l'illusion d'une refondation de l'Eglise

Apostolicam : On aura compris, enfin, que ce thème de l'universalité recoupe étroitement celui de l'apostolicité. De même que la Vie de l'Eglise passe, sans rupture aucune, par la transmission apostolique du sacerdoce et de la prédication, de même la Contre-Eglise, par l'initiation et ses rites, transmet depuis les temps les plus reculés - pour certains la construction du Temple, pour d'autres le Jardin d"Eden lui-même -, le fluide maléfique, sorte de huitième sacrement, qui donne aux contre-fidèles la puissance d'assumer tous les caractères sus-mentionnés (puissance, prophétie, etc.). Encore une fois, loin de nous de nier l'existence du préternaturel diabolique. Il ne s'agit pas de cela, il s'agit de savoir s'il est au pouvoir des hommes ou du démon d'assurer la continuité de la chaîne initiatique, continuité dont l'Eglise se prévaut volontiers, dans son apologétique, comme d'un indice de sa divine origine.

Et à ce point précis, nous voilà rendus à notre conclusion qui est en même temps notre mise en garde. Nous ne prétendons pas avoir décrit, si succinctement, l'archétype de la Contre-Eglise, telle que tous ceux qui y croient (credo !) plus qu'ils ne la connaissent la contresigneraient des deux mains. Plusieurs des utilisateurs du terme contesteront tel ou tel des points évoqués ; beaucoup trouveront que nous avons outré le trait ; tous repousseront avec horreur l'idée d'une fascination intellectuelle pour cette oeuvre démoniaque. Et nous les comprenons. Mais, pour autant, cela résout-il la question ? Une société immémoriale, gouvernée dans l'unité, douée de pouvoirs supra-humains, infaillible dans le Mal, répandue par toute la terre, dotée d'une légitimité hiérarchique transmissible... Avouez qu'il est permis à tout le moins de s'interroger sur son existence, quelle que soient la réalité indéniable de ses effets pervers.

Pourtant, et ce n'est pas contradictoire, nous voyons bien que se dessinent depuis Vatican II, les traits d'une Eglise qui n'est plus l'Eglise : nouveautés ecclésiologiques, théologiques; liturgiques, pastorales y sont si nombreuses et si constamment à contre-pied de l'Eglise de toujours qu'il semble bien qu'on puisse enfin parler de Contre-Eglise, singerie diabolique et inversée de l'Eglise de Jésus-Christ. Mais précisément, c'est la première fois dans l'histoire du monde que les forces du Mal parviennent à donner l'illusion d'une refondation de l'Eglise, avouant par là leur impuissance antérieure, et l'on remarquera que c'est par la volonté et la collaboration de la hiérarchie catholique, c'est-à-dire universelle, que s'opère cette transmutation, preuve, encore une fois, que le Monde est incapable par lui-même de construire quelque chose d'approchant de l’Eglise. Seuls les gens d'Eglise pouvaient construire, en quelque sorte, la Contre-Eglise : nulle autre force n'en eut jamais le pouvoir, si elle en eut, en revanche, le désir. Et encore, nous le savons bien, ce n'est là qu'une illusion, une fantasmagorie qui touche les apparences de l'Eglise mais non son essence, contre laquelle les portes de l'Enfer ne peuvent prévaloir. Au plus fort de la crise, quelles que puissent être les trahisons en nombre et en qualité, il ne s'agira jamais que d'une prétendue Eglise et donc, aussi, d'une prétendue Contre-Eglise.

Au demeurant, relier toutes les hérésies de l'Histoire antéchrétienne et chrétienne à cette "gnose" de la Contre-Eglise, amène inévitablement à se demander pourquoi l'Eglise ne l'a pas appelée au fil des siècles par son nom, se contentant de condamner et combattre les hérésies individuelles qui, elles, étaient bien nommées et cataloguées. Ainsi, la Contre-Eglise, sans jamais se tromper, aurait su nommer l'Eglise comme son adversaire principal, et l'Eglise du Christ lui serait inférieure, n'ayant démasqué l'ennemi que bien tardivement, prenant les effets (hérésies) pour des réalités autocéphales, alors qu'elles ne sont que des produits conjoncturels de la grande hérésie (Contre-Eglise). C'est cette cécité du Magistère bimillénaire qu'il faudrait alors justifier. C'est ainsi et pas autrement qu'on amorcera un clair débat théologique sur la Contre-Eglise.