Selon
un grand nombre d'auteurs classiques, qu'il est inutile de citer ici,
c'est l'éducation qui fait l'homme. Il faut se méfier de cette
apparente lapalissade, qui cache un véritable réductionnisme. On ne
fabrique pas un homme comme on produit des petits-beurre LU. L'éducation
ne fait pas tout ; l'éducation ne suffit pas à tout ; l'éducation
n'excuse pas toujours tout. Freud a mis à la mode une régression
infantile dans laquelle il est loisible à chacun de rejeter la
responsabilité de ses actes ou de ses carences sur l'éducation qu'il a
reçue et en particulier sur le rapport qu'il entretenait avec ses
parents. Dans cette perspective, nous sommes notre Œdipe, nous nous réduisons
à la gangue affective qui nous a vu naître et grandir. Un tel état
d'esprit, se généralisant et se banalisant, peut avoir des conséquences
surréalistes sur le comportement ou sur le discours auto justificatif
de certaines grandes personnes, qui y trouvent l'occasion de se
complaire dans une bouderie enfantine contre leurs géniteurs, déclarés
responsables de tous leurs maux présents et à venir. C'est ainsi que
j'ai entendu un jour, dans une émission de France Inter, une
journaliste du Nouvel Observateur dont je tairai le nom, la cinquantaine
apparemment épanouie, déclarer que le vide affectif dont elle
souffrait était dû au fait que son père trompait sa mère et que sa mère
courait les colloques et ne s'occupait pas assez de ses enfants... Cet
enfantillage en direct était accueilli le plus sérieusement du monde
par l'animateur de l'émission.
Quant
à nous, en bouclant ce numéro de Certitudes sur l'éducation, nous
voulons redire notre conviction : non, l'éducation première ne fait
pas tout, comme un certain matérialisme politique se complaît à le
penser et à le faire penser. Non, il n'y a pas de déterminisme de l'éducation,
même s'il y a, c'est vrai, une détermination par l'éducation. Parce
qu'il est un être spirituel et non un automate téléguidé, l'homme
est toujours responsable de ses actes et donc responsable d'abord de sa
propre formation. Il est trop facile de s'autoriser d'un contexte socio-éducatif
défavorable pour justifier l'inertie ou excuser l'ignorance. Le propre
du petit d'homme, c'est qu'au-delà des mimétismes qui le constituent,
il est toujours celui qui se fait lui-même, non pas d'ailleurs au
hasard et à l'aventure. Il a pour tâche, il a pour destinée de
devenir ce qu'il est, de réaliser sa nature et d'actualiser ses facultés.
Les meilleures leçons de vie, les plus belles leçons de choses sont
celles que chacun s'administre à lui-même, dans la perception intime,
dans l'expérience de sa propre nature en tant qu'elle habite un monde.
L'enseignant à cet égard n'est qu'une aide, un instrument, un
adjuvant. Chacun ne progresse véritablement qu'en se confrontant à
soi-même. Imaginer que les méthodes suffisent à tout, c'est ignorer
volontairement le caractère spirituel de chaque personne. Dans tous les
domaines, le vrai savoir ne provient pas de méthodes mécaniques
d'apprentissage, mais du dynamisme de l'esprit humain, lorsqu'il accepte
l'harmonie du monde où il vit - quitte à faire comme si l'ordre
existait, ainsi que le recommandait Kant - s'il se juge incapable de
justifier rationnellement cette harmonie. George Steiner affirmait au
Figaro le 12 avril dernier : « Dans notre culture, presque tous ceux
qui ont créé ont joué avec la possibilité d'une foi ». N'est-ce pas
parce que la foi, qui offre seule la liberté avec l'amour, est l'éducatrice
véritable pour l'homme ? Saint Augustin le pensait, qui se référait
d'abord au Maître intérieur, en répétant le mot d'Isaïe : « Si
vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas ».
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