Emotion
ou connaissance, sentiment ou adhésion de l'intelligence à une réalité
accessible, la crise de l'enseignement du catéchisme, issue du Concile
Vatican II, s'inscrit tout entière dans ce dilemme.
Aucun
observateur, croyant ou incroyant n'échappe au vide de l'enseignement
catéchétique rebaptisé catéchèse pour la circonstance. Au centre
d'un réseau bien implanté, le Centre National de l'enseignement
religieux ne s'en cache pas, il s'agit « d'un renouvellement d'ensemble
des formes de foi chrétienne à l'orée d'un âge culturel inédit ».
Le but avoué étant selon le père Marié, jésuite « l'engendrement
de ce nouveau type d'Eglise que l'époque attend ».
L'ampleur
de la crise est sensible jusqu'à l'ignorance du vocabulaire religieux,
constaté par les enseignants laïcs. Seul le vocabulaire sportif ou
politique s'approprie une partie des mots du langage sacré, pour parler
de « Grand Messe » à propos d'un match ou d'un meeting, du «
calvaire » d'un joueur ou d'un candidat malheureux. Les exemples sont
multiples et l'on peut se demander le sens exact attaché à ces mots
profanés.
Même
les responsables de la nouvelle catéchèse en font l'aveu. Présentant
le « Directoire général pour la catéchèse », Mgr Defois, archevêque
de Lille le constate. « Les moyens modernes de communication mettent
l'accent sur les connaissances émotionnelles et partielles ; le relief
historique et les perspectives d'ensemble sont alors souvent méconnus,
au point de mutiler l'intelligence de la foi chez les enfants, les
jeunes et les adultes. Certains sont réduits à ne connaître que
quelques passages évangéliques ou quelques prescriptions humanitaires
; en ce sens la symphonie de la foi, son unité et sa fidélité sont
passées sous silence, appauvrissant son authenticité et le caractère
spécifique de la Révélation chrétienne ». En écho, je cite ce témoignage
de la responsable de la catéchèse d'une sous-préfecture de province
m'exposant le parcours d'obstacle imposé par le diocèse. A ma question
: « Dans ces conditions pouvez-vous transmettre la foi ? », cette chrétienne
dévouée répondit d'un « non » définitif.
Aux
sources du catéchisme
Nous
n'avons ni l'intention ni la possibilité de faire ici une histoire du
catéchisme fort souhaitable ou de retracer par le détail la bataille
du catéchisme. L'une et l'autre attendent encore leurs historiens. Nous
nous proposons de donner quelques jalons rappelant ce que l'Eglise
entend par catéchisme et d'évoquer quelques faits de la tragédie consécutive
au concile Vatican II.
Notre
Seigneur fonde l'Eglise en lui envoyant le Saint Esprit mais pour ses apôtres
il s'est d'abord fait catéchiste. Ce Jésus catéchiste enseigne au fil
du chemin le Royaume des Cieux, ses relations avec son Père, le bonheur
selon Dieu, bref tout ce que l'Eglise appelle les connaissances nécessaires
au salut. Saint Paul résume dans une formule cette volonté divine «
Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la
connaissance de la vérité ». Jésus envoie les apôtres « enseigner
toutes les nations », c'est leur première mission, « ils
prirent soin par dessus tout, écrit saint Grégoire le Grand de donner
aux peuples ignorants une prédication simple et accessible et non des
conceptions élevées et ardues ». Dans son Encyclique Acerbo nimis du
15/4/1905, saint Pie X résume l'exigence des pasteurs : « la première
charge de ceux qui sont préposés en quelque manière au gouvernement
de l'Eglise est d'instruire les fidèles de la doctrine sacrée ».
Mgr
Ducaud-Bourget définit le catéchisme comme « un enseignement abrégé
de la religion... non pas savant, mais simple, familier, court... à la
portée de toutes les intelligences ».
Aux
catéchistes appartient selon saint Pie X « de choisir et de traiter
quelque vérité ayant rapport à la foi ou aux mœurs chrétiennes et
de la mettre en lumière sous tous ses aspects ».
Tâche
ardue et pouvant déplaire à beaucoup remarque le même pape « car
elle est d'ordinaire peu appréciée et elle n'est peut-être pas de
nature à conquérir la faveur populaire ».
Le
père Emmanuel du Mesnil Saint Loup a composé sous la forme du dialogue
d'un père et de ses deux enfants un merveilleux « catéchisme de la
famille chrétienne ». Dans une sorte de petite préface le père de
famille explique à ses enfants « que tout d'abord ils avaient appris
les mots du Credo sans y comprendre rien, que pendant bien des années,
ils avaient récité cette prière comme les autres, avec un certain désir
de faire une chose agréable à Dieu ; que dans la suite, ils avaient
compris quelques-unes des vérités énoncées dans cette sublime prière
et que maintenant le temps était venu pour eux d'acquérir une
intelligence plus grande de ces vérités divines ». Voilà toutes les
étapes de l'éducation chrétienne et le but du catéchisme. « Je
voudrais seulement, continue le père de famille, vous faire bien
concevoir le désir d'avancer dans l'intelligence de ce que vous dites
quand vous récitez le Credo ». A la question de Marie «
l'intelligence, papa expliquez-moi un peu ? », son père répond «
l'intelligence, pour vous mes enfants, consiste à reconnaître de plus
en plus toutes les vérités que les apôtres nous ont enseignées dans
le Credo ». Telle est la tâche du catéchisme, Jean de Viguerie le
remarque dans son bilan du catholicisme dans l'ancienne France «
Devenir enfant de Dieu ne suffit pas. Il faut apprendre à connaître
Dieu, il faut apprendre à croire ». Apprendre avec son intelligence :
« Croire n'est pas sentir, ni penser, ni imaginer, ni avoir son
opinion. C'est donner aux vérités révélées l'accord de son
intelligence ». Nous avons là la réponse à la crise du catéchisme.
Cinq siècles de catéchisme du XVème au XXème construisent ce que
cinquante ans de catéchèse détruiront.
La
réponse catholique
«
L'ordinaire des chrétiens » paru en 1469 donne au mot catéchisme le
sens auquel nous sommes toujours habitués : « catéchiser vault autant
à dire comme instruire ou enseigner les fondements et articles nécessaires
de nostre saincte foy, car ceulx qui doivent estre baptisez et promettre
et garder la foy et les commandements en doive premièrement estre
enseignez. » Ce sera la tâche principale du Concile de Trente ; à son
appel observe Jean de Viguerie « l'Eglise se transforme en une vaste école
d'instruction religieuse ». Publié par les soins de Saint Pie V en
1566, le catéchisme du Concile de Trente est avant tout destiné aux
curés, avec les catéchismes de Bellarmin et de Canisius, il servira de
base aux catéchismes diocésains élaborés par les évêques tout au
long du XVIIème siècle. Son plan s'impose à la plupart des catéchismes
jusqu'à Vatican II et le nouveau catéchisme de l'Eglise universelle,
malheureusement infesté des enseignements du Concile prétend
s'inscrire dans la même lignée. Ce catéchisme commence par
l'explication du Credo : ce que l'on doit croire. La seconde partie décrit
les sacrements : c'est-à-dire les moyens ,de sanctification ; Ce que
l'on doit observer constitue la troisième partie, c'est le commentaire
du décalogue. La dernière partie est consacrée à la prière et à la
prière par excellence, le Notre Père : ce que l'on doit demander.
C'est
un tout, Henri-Marie Boudon l'affirme dans la « science sacrée
du catéchisme » : « Sans la foi distincte des vérités fondamentales
de notre sainte Eglise, il est impossible, d'être sauvé, quelques cérémonies
extérieures que l'on observe ».
Au
XVIIème siècle Saint-Nicolas-du-Chardonnet fait figure de paroisse modèle
Au
XVIème siècle apparaissent de petites feuilles « la Croix de par Dieu
». Elles servent à apprendre l'alphabet et donc à lire, elles s'étendent
aux principales prières et aux commandements. Les obligations du clergé
en matière de catéchisme sont présentes dans les statuts synodaux. L'évêque
réformateur de Clermont, François de la Rochefoucauld le commande : «
Pourvoiront soigneusement les curés ou leurs vicaires à ce que leurs
paroissiens soient bien instruits par eux ou par aultre capable et par
nous approuvés, en la religion catholique, apostolique et romaine, et
en l'observation des commandements de Dieu et de la Saincte Eglise ».
Il répercute les prescriptions du Concile, demandant au clergé « de
faire ou faire faire chaque dimanche de l'année après midy en leurs églises
leçons aux jeunes enfants de l'un et l'autre sexe du petit catéchisme
français composé par le père Camisius ou aultre approuvé par nous,
et de la petite doctrine chrestienne selon les exemplaires qui en furent
distribués au synode dernier, leur faisant apprendre par coeur et bien
comprendre l'un et l'autre livretz».
Apprendre
et comprendre, ces deux objectifs sont recherchés par la méthode des
questions et des réponses. La diffusion de livres est une réponse
directe aux gros et petits livres utilisés par les protestants à la
suite de Luther.
Dans
cet effort, Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris fait figure de paroisse
modèle. De son séminaire et de son école, initiés par Adrien
Bourdoise, le catéchisme est répandu sous forme de tracts dont la réunion
constitue le fameux « Pédagogue des familles chrétiennes ». La pédagogie
des « nicolaïtes » selon l'expression du temps fait largement appel
à l'image. A côté du crucifix, de gravures de la Sainte Vierge, de
saint Joseph, de saint Nicolas, de saint Denis ou d'autres saints, le
catéchiste montre une grande affiche « qui représente le jugement général,
le Paradis et l'enfer ». Dans d'autres cadres apparaissent au fil des
explications les différents mystères, les saints « afin d'en exposer
brièvement la vie et les actions aux enfants ». Tout cela est destiné
à les imprégner de l'intelligence des mystères. Le but : qu'ils s'en
servent « quand ils seront plus grands et qu'ils retiennent toute leur
vie ».
Certes,
il y a des résistances, le catéchisme d'Angers le mentionne en 1676. A
la question « que doit-on penser de ceux qui ne se mettent point en
peine ou même qui méprisent d'apprendre le catéchisme ? », l'enfant
apprend à répondre : « on ne peut en penser autre chose, sinon qu'ils
sont dans une voie de perdition et dans un état qui les rend incapable
d'être reçus aux sacrements de l'Eglise ».
Du
XVIème siècle aux années 1950, le petit catéchisme a été le point
de référence de l'enseignement religieux, il fut pour beaucoup
l'unique ouvrage possédé, traitant de la manière de vivre en société
pour parvenir au Paradis. Autour des trois mots distingués en 1690 par
le dictionnaire de Furetière : Catéchiser « c'est enseigner les
principes et les mystères de la foi chrétienne ». Catéchisme «
c'est le livre ou prédication qui contiennent les instructions de la
foi qu'un chrétien doit savoir ». Catéchiste « celui qui fait le catéchisme
ou qui a composé des livres ». Nous avons là cinq siècles de
l'histoire de la transmission de la foi en continuité avec
l'enseignement apostolique.
Le
bouleversement conciliaire
L'état
des lieux après le concile Vatican II est fait par Jean Madiran dans sa
« réclamation au Saint Père » de 1974. Son triple cri « Rendez-nous
l'Ecriture, le catéchisme et la messe » se détaille dans une terrible
accusation « les nouveaux catéchismes n'enseignent plus les trois
connaissances nécessaires au salut ; prêtres et évêques en viennent,
comme on le constate en les interrogeant, à ne plus savoir quelles sont
donc ces trois-là ». Et il fait ce triste et lourd bilan : « Les
nouveaux catéchismes se prétendent "adaptés". En réalité,
ils ne sont adaptés à rien, puisqu'ils ne contiennent plus les trois
connaissances nécessaires au salut ; ils ne comportent plus les quatre
points obligatoires du catéchisme catholique ; ils ne procurent plus
l'essentiel de l’instruction religieuse, ils sont les catéchismes de
l'ignorance ». Madiran conclu : « l'enseignement du catéchisme au XXème
siècle ne souffre pas d'abord d'inadaptation, il souffre d'abord
d'infidélité et d'ignorance. »
Ce
jugement se vérifie sur trois crises, celle de 1957 - aboutissant à la
condamnation du « catéchisme progressif » du chanoine Colomb, la
crise du catéchisme hollandais en 1966 et celle de « Pierres Vivantes
» en 1980.
Le
principe général est de remplacer le contenu de l'enseignement par une
prétendue pédagogie. En réalité il s'agit de substituer à la
connaissance des vérités de la foi, l'expérience religieuse, notion
chère aux modernistes. La valeur d'une pédagogie du catéchisme ne
repose pas pour le chanoine Colomb « dans sa richesse de vérité »
mais dans son adaptation « à l'expérience religieuse de l'enfant ».
Un colloque récent sur l'histoire du catéchisme constate que le catéchisme
du Concile de Trente « était mu par un souci d'expliquer ou du moins
de faire apprendre très précisément la doctrine reconnue.
Or
cette approche est épuisée, il ne peut plus servir de base à
l'enseignement religieux ni répondre à la mission d'annoncer la Bonne
Nouvelle. Un défi majeur se pose : réinventer la place de la
connaissance et des connaissances dans l'acte de croire et dans l'acte
de transmission de l'héritage chrétien ». A ce défi, tentent de répondre
durant l'entre-deux-guerres, toutes sortes d'organismes nés à partir
de 1940 à l'Institut catholique de Paris et dans les diocèses. Le
sulpicien, Joseph Colomb introduit son « catéchisme progressif »
essai de pédagogie active à base biblique et liturgique, adapté aux
différents âges et aux différents milieux sociaux. En 1954, il
devient directeur du Centre National de l'Enseignement Religieux (CNER)
Commission, revues, fiches, organisme de recherches se multiplient. La
condamnation des manuels du chanoine Colomb en 1957 par le Saint Office
n'est pas un coup d'arrêt mais le début de difficultés croissantes
entre Rome et Paris. En France, la « Cité Catholique », l'abbé Luc
Lefèvre, la revue de Pierre Lemaire, les interventions de Mgr Lusseau
à Angers, s'efforcent d'attirer l'attention des autorités sur la
gravité de la situation. Ils sont dénoncés comme intégristes. Dans «
La Croix », l'archevêque d'Aix, Mgr de Provenchères défend le
chanoine Colomb. Mgr Villot, alors secrétaire de l’Episcopat prend
partie pour la méthode Colomb, Mgr Feltin fait son éloge.
Rome
rappelle en vain « l'expérience séculaire » de l'Eglise, lui ayant
« permis d'éprouver la valeur des méthodes traditionnelles efficaces
». Le Saint Office reprochait à Colomb ses omissions de « vérités
surnaturelles fondamentales » comme le péché originel, la divinité
de Jésus, sa mission de Rédemption..., La place trop grande accordée
« à des moyens purement naturels » ou à l'expérience religieuse. ..
L'épiscopat décida de tenir bon tout en donnant des marques apparentes
de soumission. Mgr Gerlier invoqua les risques économiques de l'éditeur
pour maintenir, accompagné d'une explication les manuels dont Rome réclamait
le retrait.
Au
lendemain de Vatican II, les évêques de France imposent un « fonds
obligatoire » où l'on retrouve les inspirations du « catéchisme
progressif ». En 1969, ils donnent un « Texte de référence », en
sortiront « Pierres vivantes » et les funestes « Parcours catéchétiques
» dont l'usage est obligatoire.
Sur
cette crise généralisée de la seconde moitié du XXème siècle, le
colloque « Enseigner le catéchisme » s'explique : « la sécularisation
et le pluralisme emportèrent les modèles et les mots se bousculent,
catéchisme, catéchèse, enseignement religieux, enseignement de la
religion, initiation religieuse. Si le diagnostic de crise se pose aisément,
les propositions collectives deviennent plus délicates à formuler dans
les sociétés modernes où la vérité devient une question
individuelle ».
Dans
ces conditions : que reste-t-il de l'Eglise, du magistère, de son rôle
d'enseignement ? On peut légitimement craindre l'extension de la crise
et l'absence de renouvellement des générations chrétiennes. Saint Pie
X ne l'ignore pas en écrivant en 1905 « Si d'une terre qui n'a pas reçu
de semence il est vain d'attendre une moisson, comment espérer de
bonnes générations si elle n'ont pas été instruites au moment nécessaire,
de doctrine chrétienne ».
Ici
comme ailleurs la tradition est novatrice, l'avenir est au catéchisme où
l'on apprend pour comprendre et rencontrer Dieu.
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