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Cinq siècles de catéchisme et cinquante ans de catéchèse
L'Eglise et l'éducation de la foi

Abbé Bruno Schaeffer

Nouvelle revue CERTITUDES - n°5

Emotion ou connaissance, sentiment ou adhésion de l'intelligence à une réalité accessible, la crise de l'enseignement du catéchisme, issue du Concile Vatican II, s'inscrit tout entière dans ce dilemme.

Aucun observateur, croyant ou incroyant n'échappe au vide de l'enseignement catéchétique rebaptisé catéchèse pour la circonstance. Au centre d'un réseau bien implanté, le Centre National de l'enseignement religieux ne s'en cache pas, il s'agit « d'un renouvellement d'ensemble des formes de foi chrétienne à l'orée d'un âge culturel inédit ». Le but avoué étant selon le père Marié, jésuite « l'engendrement de ce nouveau type d'Eglise que l'époque attend ».

L'ampleur de la crise est sensible jusqu'à l'ignorance du vocabulaire religieux, constaté par les enseignants laïcs. Seul le vocabulaire sportif ou politique s'approprie une partie des mots du langage sacré, pour parler de « Grand Messe » à propos d'un match ou d'un meeting, du « calvaire » d'un joueur ou d'un candidat malheureux. Les exemples sont multiples et l'on peut se demander le sens exact attaché à ces mots profanés.

Même les responsables de la nouvelle catéchèse en font l'aveu. Présentant le « Directoire général pour la catéchèse », Mgr Defois, archevêque de Lille le constate. « Les moyens modernes de communication mettent l'accent sur les connaissances émotionnelles et partielles ; le relief historique et les perspectives d'ensemble sont alors souvent méconnus, au point de mutiler l'intelligence de la foi chez les enfants, les jeunes et les adultes. Certains sont réduits à ne connaître que quelques passages évangéliques ou quelques prescriptions humanitaires ; en ce sens la symphonie de la foi, son unité et sa fidélité sont passées sous silence, appauvrissant son authenticité et le caractère spécifique de la Révélation chrétienne ». En écho, je cite ce témoignage de la responsable de la catéchèse d'une sous-préfecture de province m'exposant le parcours d'obstacle imposé par le diocèse. A ma question : « Dans ces conditions pouvez-vous transmettre la foi ? », cette chrétienne dévouée répondit d'un « non » définitif.

Aux sources du catéchisme

Nous n'avons ni l'intention ni la possibilité de faire ici une histoire du catéchisme fort souhaitable ou de retracer par le détail la bataille du catéchisme. L'une et l'autre attendent encore leurs historiens. Nous nous proposons de donner quelques jalons rappelant ce que l'Eglise entend par catéchisme et d'évoquer quelques faits de la tragédie consécutive au concile Vatican II.

Notre Seigneur fonde l'Eglise en lui envoyant le Saint Esprit mais pour ses apôtres il s'est d'abord fait catéchiste. Ce Jésus catéchiste enseigne au fil du chemin le Royaume des Cieux, ses relations avec son Père, le bonheur selon Dieu, bref tout ce que l'Eglise appelle les connaissances nécessaires au salut. Saint Paul résume dans une formule cette volonté divine « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et qu'ils viennent à la connaissance de la vérité ». Jésus envoie les apôtres « enseigner toutes les nations », c'est leur première mission, « ils prirent soin par dessus tout, écrit saint Grégoire le Grand de donner aux peuples ignorants une prédication simple et accessible et non des conceptions élevées et ardues ». Dans son Encyclique Acerbo nimis du 15/4/1905, saint Pie X résume l'exigence des pasteurs : « la première charge de ceux qui sont préposés en quelque manière au gouvernement de l'Eglise est d'instruire les fidèles de la doctrine sacrée ».

Mgr Ducaud-Bourget définit le catéchisme comme « un enseignement abrégé de la religion... non pas savant, mais simple, familier, court... à la portée de toutes les intelligences ».

Aux catéchistes appartient selon saint Pie X « de choisir et de traiter quelque vérité ayant rapport à la foi ou aux mœurs chrétiennes et de la mettre en lumière sous tous ses aspects ».

Tâche ardue et pouvant déplaire à beaucoup remarque le même pape « car elle est d'ordinaire peu appréciée et elle n'est peut-être pas de nature à conquérir la faveur populaire ».

Le père Emmanuel du Mesnil Saint Loup a composé sous la forme du dialogue d'un père et de ses deux enfants un merveilleux « catéchisme de la famille chrétienne ». Dans une sorte de petite préface le père de famille explique à ses enfants « que tout d'abord ils avaient appris les mots du Credo sans y comprendre rien, que pendant bien des années, ils avaient récité cette prière comme les autres, avec un certain désir de faire une chose agréable à Dieu ; que dans la suite, ils avaient compris quelques-unes des vérités énoncées dans cette sublime prière et que maintenant le temps était venu pour eux d'acquérir une intelligence plus grande de ces vérités divines ». Voilà toutes les étapes de l'éducation chrétienne et le but du catéchisme. « Je voudrais seulement, continue le père de famille, vous faire bien concevoir le désir d'avancer dans l'intelligence de ce que vous dites quand vous récitez le Credo ». A la question de Marie « l'intelligence, papa expliquez-moi un peu ? », son père répond « l'intelligence, pour vous mes enfants, consiste à reconnaître de plus en plus toutes les vérités que les apôtres nous ont enseignées dans le Credo ». Telle est la tâche du catéchisme, Jean de Viguerie le remarque dans son bilan du catholicisme dans l'ancienne France « Devenir enfant de Dieu ne suffit pas. Il faut apprendre à connaître Dieu, il faut apprendre à croire ». Apprendre avec son intelligence : « Croire n'est pas sentir, ni penser, ni imaginer, ni avoir son opinion. C'est donner aux vérités révélées l'accord de son intelligence ». Nous avons là la réponse à la crise du catéchisme. Cinq siècles de catéchisme du XVème au XXème construisent ce que cinquante ans de catéchèse détruiront.

La réponse catholique

« L'ordinaire des chrétiens » paru en 1469 donne au mot catéchisme le sens auquel nous sommes toujours habitués : « catéchiser vault autant à dire comme instruire ou enseigner les fondements et articles nécessaires de nostre saincte foy, car ceulx qui doivent estre baptisez et promettre et garder la foy et les commandements en doive premièrement estre enseignez. » Ce sera la tâche principale du Concile de Trente ; à son appel observe Jean de Viguerie « l'Eglise se transforme en une vaste école d'instruction religieuse ». Publié par les soins de Saint Pie V en 1566, le catéchisme du Concile de Trente est avant tout destiné aux curés, avec les catéchismes de Bellarmin et de Canisius, il servira de base aux catéchismes diocésains élaborés par les évêques tout au long du XVIIème siècle. Son plan s'impose à la plupart des catéchismes jusqu'à Vatican II et le nouveau catéchisme de l'Eglise universelle, malheureusement infesté des enseignements du Concile prétend s'inscrire dans la même lignée. Ce catéchisme commence par l'explication du Credo : ce que l'on doit croire. La seconde partie décrit les sacrements : c'est-à-dire les moyens ,de sanctification ; Ce que l'on doit observer constitue la troisième partie, c'est le commentaire du décalogue. La dernière partie est consacrée à la prière et à la prière par excellence, le Notre Père : ce que l'on doit demander.

C'est un tout, Henri-Marie Boudon l'affirme dans la « science sacrée du catéchisme » : « Sans la foi distincte des vérités fondamentales de notre sainte Eglise, il est impossible, d'être sauvé, quelques cérémonies extérieures que l'on observe ».

Au XVIIème siècle Saint-Nicolas-du-Chardonnet fait figure de paroisse modèle

Au XVIème siècle apparaissent de petites feuilles « la Croix de par Dieu ». Elles servent à apprendre l'alphabet et donc à lire, elles s'étendent aux principales prières et aux commandements. Les obligations du clergé en matière de catéchisme sont présentes dans les statuts synodaux. L'évêque réformateur de Clermont, François de la Rochefoucauld le commande : « Pourvoiront soigneusement les curés ou leurs vicaires à ce que leurs paroissiens soient bien instruits par eux ou par aultre capable et par nous approuvés, en la religion catholique, apostolique et romaine, et en l'observation des commandements de Dieu et de la Saincte Eglise ». Il répercute les prescriptions du Concile, demandant au clergé « de faire ou faire faire chaque dimanche de l'année après midy en leurs églises leçons aux jeunes enfants de l'un et l'autre sexe du petit catéchisme français composé par le père Camisius ou aultre approuvé par nous, et de la petite doctrine chrestienne selon les exemplaires qui en furent distribués au synode dernier, leur faisant apprendre par coeur et bien comprendre l'un et l'autre livretz».

Apprendre et comprendre, ces deux objectifs sont recherchés par la méthode des questions et des réponses. La diffusion de livres est une réponse directe aux gros et petits livres utilisés par les protestants à la suite de Luther.

Dans cet effort, Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris fait figure de paroisse modèle. De son séminaire et de son école, initiés par Adrien Bourdoise, le catéchisme est répandu sous forme de tracts dont la réunion constitue le fameux « Pédagogue des familles chrétiennes ». La pédagogie des « nicolaïtes » selon l'expression du temps fait largement appel à l'image. A côté du crucifix, de gravures de la Sainte Vierge, de saint Joseph, de saint Nicolas, de saint Denis ou d'autres saints, le catéchiste montre une grande affiche « qui représente le jugement général, le Paradis et l'enfer ». Dans d'autres cadres apparaissent au fil des explications les différents mystères, les saints « afin d'en exposer brièvement la vie et les actions aux enfants ». Tout cela est destiné à les imprégner de l'intelligence des mystères. Le but : qu'ils s'en servent « quand ils seront plus grands et qu'ils retiennent toute leur vie ».

Certes, il y a des résistances, le catéchisme d'Angers le mentionne en 1676. A la question « que doit-on penser de ceux qui ne se mettent point en peine ou même qui méprisent d'apprendre le catéchisme ? », l'enfant apprend à répondre : « on ne peut en penser autre chose, sinon qu'ils sont dans une voie de perdition et dans un état qui les rend incapable d'être reçus aux sacrements de l'Eglise ».

Du XVIème siècle aux années 1950, le petit catéchisme a été le point de référence de l'enseignement religieux, il fut pour beaucoup l'unique ouvrage possédé, traitant de la manière de vivre en société pour parvenir au Paradis. Autour des trois mots distingués en 1690 par le dictionnaire de Furetière : Catéchiser « c'est enseigner les principes et les mystères de la foi chrétienne ». Catéchisme « c'est le livre ou prédication qui contiennent les instructions de la foi qu'un chrétien doit savoir ». Catéchiste « celui qui fait le catéchisme ou qui a composé des livres ». Nous avons là cinq siècles de l'histoire de la transmission de la foi en continuité avec l'enseignement apostolique.

Le bouleversement conciliaire

L'état des lieux après le concile Vatican II est fait par Jean Madiran dans sa « réclamation au Saint Père » de 1974. Son triple cri « Rendez-nous l'Ecriture, le catéchisme et la messe » se détaille dans une terrible accusation « les nouveaux catéchismes n'enseignent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; prêtres et évêques en viennent, comme on le constate en les interrogeant, à ne plus savoir quelles sont donc ces trois-là ». Et il fait ce triste et lourd bilan : « Les nouveaux catéchismes se prétendent "adaptés". En réalité, ils ne sont adaptés à rien, puisqu'ils ne contiennent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; ils ne comportent plus les quatre points obligatoires du catéchisme catholique ; ils ne procurent plus l'essentiel de l’instruction religieuse, ils sont les catéchismes de l'ignorance ». Madiran conclu : « l'enseignement du catéchisme au XXème siècle ne souffre pas d'abord d'inadaptation, il souffre d'abord d'infidélité et d'ignorance. »

Ce jugement se vérifie sur trois crises, celle de 1957 - aboutissant à la condamnation du « catéchisme progressif » du chanoine Colomb, la crise du catéchisme hollandais en 1966 et celle de « Pierres Vivantes » en 1980.

Le principe général est de remplacer le contenu de l'enseignement par une prétendue pédagogie. En réalité il s'agit de substituer à la connaissance des vérités de la foi, l'expérience religieuse, notion chère aux modernistes. La valeur d'une pédagogie du catéchisme ne repose pas pour le chanoine Colomb « dans sa richesse de vérité » mais dans son adaptation « à l'expérience religieuse de l'enfant ». Un colloque récent sur l'histoire du catéchisme constate que le catéchisme du Concile de Trente « était mu par un souci d'expliquer ou du moins de faire apprendre très précisément la doctrine reconnue.

Or cette approche est épuisée, il ne peut plus servir de base à l'enseignement religieux ni répondre à la mission d'annoncer la Bonne Nouvelle. Un défi majeur se pose : réinventer la place de la connaissance et des connaissances dans l'acte de croire et dans l'acte de transmission de l'héritage chrétien ». A ce défi, tentent de répondre durant l'entre-deux-guerres, toutes sortes d'organismes nés à partir de 1940 à l'Institut catholique de Paris et dans les diocèses. Le sulpicien, Joseph Colomb introduit son « catéchisme progressif » essai de pédagogie active à base biblique et liturgique, adapté aux différents âges et aux différents milieux sociaux. En 1954, il devient directeur du Centre National de l'Enseignement Religieux (CNER) Commission, revues, fiches, organisme de recherches se multiplient. La condamnation des manuels du chanoine Colomb en 1957 par le Saint Office n'est pas un coup d'arrêt mais le début de difficultés croissantes entre Rome et Paris. En France, la « Cité Catholique », l'abbé Luc Lefèvre, la revue de Pierre Lemaire, les interventions de Mgr Lusseau à Angers, s'efforcent d'attirer l'attention des autorités sur la gravité de la situation. Ils sont dénoncés comme intégristes. Dans « La Croix », l'archevêque d'Aix, Mgr de Provenchères défend le chanoine Colomb. Mgr Villot, alors secrétaire de l’Episcopat prend partie pour la méthode Colomb, Mgr Feltin fait son éloge.

Rome rappelle en vain « l'expérience séculaire » de l'Eglise, lui ayant « permis d'éprouver la valeur des méthodes traditionnelles efficaces ». Le Saint Office reprochait à Colomb ses omissions de « vérités surnaturelles fondamentales » comme le péché originel, la divinité de Jésus, sa mission de Rédemption..., La place trop grande accordée « à des moyens purement naturels » ou à l'expérience religieuse. .. L'épiscopat décida de tenir bon tout en donnant des marques apparentes de soumission. Mgr Gerlier invoqua les risques économiques de l'éditeur pour maintenir, accompagné d'une explication les manuels dont Rome réclamait le retrait.

Au lendemain de Vatican II, les évêques de France imposent un « fonds obligatoire » où l'on retrouve les inspirations du « catéchisme progressif ». En 1969, ils donnent un « Texte de référence », en sortiront « Pierres vivantes » et les funestes « Parcours catéchétiques » dont l'usage est obligatoire.

Sur cette crise généralisée de la seconde moitié du XXème siècle, le colloque « Enseigner le catéchisme » s'explique : « la sécularisation et le pluralisme emportèrent les modèles et les mots se bousculent, catéchisme, catéchèse, enseignement religieux, enseignement de la religion, initiation religieuse. Si le diagnostic de crise se pose aisément, les propositions collectives deviennent plus délicates à formuler dans les sociétés modernes où la vérité devient une question individuelle ».

Dans ces conditions : que reste-t-il de l'Eglise, du magistère, de son rôle d'enseignement ? On peut légitimement craindre l'extension de la crise et l'absence de renouvellement des générations chrétiennes. Saint Pie X ne l'ignore pas en écrivant en 1905 « Si d'une terre qui n'a pas reçu de semence il est vain d'attendre une moisson, comment espérer de bonnes générations si elle n'ont pas été instruites au moment nécessaire, de doctrine chrétienne ».

Ici comme ailleurs la tradition est novatrice, l'avenir est au catéchisme où l'on apprend pour comprendre et rencontrer Dieu.