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Une enquête sur notre jeunesse

Abbé Alain Lorans

Nouvelle revue CERTITUDES - n°5

Une nouvelle enquête sur la jeunesse ? Quelle purge, penseront certains lecteurs, même Certitudes fait du jeunisme. Où va-t-on ? Cette enquête est pourtant très spécifique, puisqu'elle porte uniquement sur les jeunes traditionalistes. Le nouvel Agathon s'essaie à envisager ce que j'appellerais l'avenir biologique de la Tradition catholique en France, à travers cette simple question : a-t-on pu transmettre le flambeau (et la flamme), ou le temps a-t-il réussi à éteindre jusque dans les cœurs des étoiles qui ne s'y rallumeront jamais, comme aimait à le croire Viviani, aux heures du laïcisme triomphant. Aussi étonnant que cela puisse paraître aux esprits qui auraient décidé d'être chagrins a perpétuité, les conclusions de l'enquête ne sont pas pessimistes. Oui, la foi catholique apostolique et romaine a été transmise, envers et contre tout. Mais je dois à la vérité d'ajouter : il manque quelque chose. L’autosatisfaction n'est pas de mise, malgré cette première victoire sur la Termitière universelle.

G. T.

En 1912, Henri Mossis et Alfred de Torde faisaient paraître, sous le pseudonyme d'Agathon, une enquête sur la jeunesse. Cette génération semblait vouloir rompre avec le rationalisme et le scepticisme du siècle précédent ; le témoin le plus représentatif de cette conversion intellectuelle et spirituelle fut Ernest Psichari, le petit-fils d'Ernest Renan : « Notre génération, disait-il, notre génération - celle des hommes qui ont commencé leur vie d'homme avec le siècle - est importante. Tout se joue sur. nos têtes, n me semble que les jeunes sentent obscurément qu'ils verront de grandes choses, que de grandes choses se feront par eux. Ils ne seront pas des amateurs ni des sceptiques. Ils savent ce que l'on attend d'eux. »

Il a paru intéressant de demander à un nouvel Agathon, au seuil du XXIème siècle, une enquête sur la jeunesse formée dans la Tradition catholique. Les réponses au questionnaire montrent une convergence avec l'enquête de 1912, mais aussi une importante divergence.

La jeune génération traditionaliste ne se distingue pas de celle du début du XXème siècle sur le plan religieux. Opposée à la liturgie moderne issue du concile Vatican II, elle ne saurait se satisfaire d'une religiosité vague. Comme ses aînés, elle éprouve le besoin d'une armature

nette et définie, aux antipodes du sentimentalisme progressiste actuel, n lui faut la stabilité de l'Eglise bimillénaire, la profondeur et la richesse du dogme. Elle ne se complaît pas dans « les voluptés de la crise d'âme ».

En revanche, à la différence de ceux qui l'ont précédée il y a un siècle, cette jeunesse traditionaliste paraît ne pas s'opposer énergiquement à ce que Massis appelait la « voluptueuse inertie », elle semble impuissante à réagir à l'esprit de démission qui caractérise notre époque. Plus précisément, elle ne parvient pas à lutter contre le divorce de la pensée et de l'action. Sur ce point, elle a une attitude qui est le contraire exact de celle de la génération fauchée en 1914, et qu'Agathon avait nommée l'attitude réaliste. Qu'était-ce que ce réalisme ? « Une acceptation des conditions du réel, une vue nette du possible et de l'efficace, un besoin d'unir l'action et la pensée, de vérifier l'une par l'autre, une volonté de donner à toute spéculation un corps, un objet, et du même coup une réhabilitation de l'action, mais de l'action que l'esprit conduit et informe. C'était bien fini de croire, pour s'en désespérer, à l'antinomie fallacieuse de l'intelligence et de la vie ! »

Cette enquête fait apparaître un paradoxe : nous avons des jeunes de 20 à 30 ans religieusement convaincus mais pas convaincants en pratique. Engagés au niveau des idées mais dégagés de la vie de la cité, ils reconnaissent avoir reçu de leurs parents la flamme, mais ils la mettent en veilleuse.

Comment expliquer cette incohérence ?

Pourquoi cette voluptueuse inertie

La raison que l'on donnera pour évidente est le sens pratique de cette génération, hypnotisée par le déferlement actuel des idées fausses et paralysée par le débordement de l'immoralité ; condamnée malgré elle à l'inertie, en attendant des jours meilleurs, des circonstances plus favorables à la diffusion du vrai et du bien. Qui ne voit là qu'il s'agit surtout d'une absence de sens pratique ! Voluptueuse inertie : avoir raison, le savoir et ne pouvoir agir. Penser juste et être dispensé par les circonstances de faire servir cette pensée à une action droite.

C'est bien cette antinomie fallacieuse que pulvérisait la génération analysée par Massis : son besoin d'unir l'action et la pensée reposait sur une acceptation des conditions du réel, sur une vue nette du possible et de l'efficace. Autrement dit, elle avait une "pensée réaliste, gage d'une action réalisable. Voilà ce qui paraît manquer aux jeunes gens d'aujourd'hui : rien ne leur semble réalisable parce qu'ils n'ont pas cette vue nette du possible et de l'efficace. C'est ainsi que les meilleurs seront des témoins muets dans un milieu hostile, et que les moins courageux y seront inertes, avec volupté.

Dès lors une question se pose : quelle est cette évaluation de la situation présente qui empêche ces jeunes de mettre un engagement au bout de leurs convictions ? On ne peut ici éluder le rôle de certains parents et éducateurs : ils ont transmis la flamme, elle éclaire mais réchauffe-t-elle ? Une analyse lucide des circonstances actuelles, dispense-t-elle de trouver une solution possible et efficace ? foute analyse qui paralyse est une mauvaise analyse.

Et que dire de ces maîtres dénigratifs, comme les appelait le P. Calmel ? Ils ont tué en eux toute capacité d'admiration et d'enthousiasme, par réalisme disent-ils, par pessimisme en fait, ce qui ne doit pas être loin du désespoir pratique. Ils ne seront pas déçus, pensent-ils. Us ne nourrissent aucune illusion. Et ils anéantissent chez leurs élèves toute volonté pratique de redressement.

Mais plus profondément, ce qui donnerait une apparence de raison à cette prudence stérile, c'est le sentiment aigu de la disproportion entre l'ampleur du mal et la modestie des moyens dont nous disposons pour combattre ce mal. C’est bien là qu'est l'erreur, une erreur d'appréciation. Notre monde est semé de dangers gigantesques et de menaces colossales, il faudrait pour lutter avec quelque chance de succès pouvoir opposer des forces d'importance équivalente. Ah ! si nous avions un journal, une radio, une télévision d'audience internationale...

C'est là qu'est l'erreur d'appréciation. Une vision nette du possible et de l'efficace, au plan naturel et surnaturel, permettrait de comprendre qu'on n'oppose pas au géant Goliath un Goliath catholique, mais bien un David. Face au colosse armé de pied en cap, il faut et il suffit d'une fronde. Mais aussi, il suffit et il faut une fronde. Cette vision paraîtra optimiste aux sceptiques qui cultivent la délectation morose ; elle est pourtant réaliste et principe d'actions réalisables.

Pour un réalisme vraiment spirituel

Les études de Marcel De Corte sur la démocratie, les travaux de Thomas Molnar sur l'utopie, les ouvrages de Claude Polin et de Claude Rousseau sur les illusions contemporaines, montrent que toutes les idéologies ne sont que des chimères, des doctrines minées par des contradictions internes. Ces montages sophistiques, ces tubulures idéologiques frappent les imaginations et la considération de leur hauteur gigantesque paralyse les énergies mais ce ne sont que des colosses aux pieds d'argile. Les sophismes sont tous vraisemblables, aucun n'est vrai. Ce sont de faux savoirs qui permettent d'exercer un vrai pouvoir, un impressionnant pouvoir sur l'imaginaire des esprits frappés de stupeur.

Le réalisme intellectuel et spirituel des Psichari et des Péguy n'entretenait pas de divorce entre les convictions et l'engagement, parce qu'une juste évaluation des dangers qui les menaçaient leur montrait que la modestie de leurs moyens était tout à fait proportionnée au gigantisme de l'erreur à combattre et du mal à abattre. Ces moyens modestes étaient efficaces. Parce que parfaitement ajustés.

Face au matraquage médiatique, le possible et l'efficace demeurent la fronde de David. On souhaiterait à la génération de ceux qui ont aujourd'hui 20 ans d'être plus frondeuse, en ce sens-là, désireuse d'ajuster ses convictions, c'est-à-dire de penser droit et de viser juste. Alors elle retrouvera le grand élan de ses ornés, tel que le présentait Massis : « Nulle génération n'a tressailli d'une fièvre intellectuelle plus ardente, et peu de jeunes gens auront été capables d'une plus grande étude ; mais ce qu'ils demandaient à la connaissance, c'était une énergie pour mieux vivre et pour mieux agir. »