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Dans la lumière du Vivarais

Michel Fromentoux

Nouvelle revue CERTITUDES - n°5

Gustave Thibon partait volontiers prononcer des conférences un peu partout dans le monde, mais il ne se sentait bien que dans son mas de Libian, à Saint-Marcel-d'Ardèche, devant ces « cinquante lieues d'horizons dominés par le cône parfait du Ventoux ». C'est là qu'il connut ses premières émotions esthétiques : « Tout enfant encore, je contemplais sans fin la splendeur du couchant parmi les forêts riveraines, cet argentement étrange, cette profondeur irréelle que communiquaient aux feuillages les rayons du soleil mourant [...] Et je sentais longtemps s'agiter au fond de mon âme ce levain de nostalgie, cet appel amer et doux vers l'impossible que laisse après soi le contact avec la beauté trop parfaite. »

C'est là qu'il fallait le rencontrer, dans ce Bas-Vivarais, à la jonction des pays de Frédéric Mistral et de Charles Forot, du Félibrige et du Pigeonnier. La terre y est âpre et rappelle sans cesse aux réalités, mais l'appel des montagnes attire le regard vers le ciel, vers l'infini qui, pour Thibon, était la clef de la mesure de toute chose. Lui qui à l'âge de treize ans aidait son père aux travaux de la ferme, avait plus appris de sa terre nourricière que n'en sauront jamais les troupeaux d'étudiants parqués dans les amphis d'aujourd'hui. L'immense culture qu'il avait acquise tout seul et dans la fréquentation des philosophes et des poètes, il sut toujours la confronter aux enseignements de la tradition paysanne, dans le sillage de son presque voisin de quatre siècles plus tôt, le sage Olivier de Serres. De là venait ce grand bon sens caractérisant ses propos toujours appuyés sur des observations campagnardes - ce bon sens devenu aujourd'hui la chose au monde la moins partagée.

Nous aimions l'entendre évoquer la société villageoise d'autrefois. Il allait au-delà de toute nostalgie - au-delà même des pesanteurs attachées à certaines routines -, tout droit vers ce qui révélait l'éternel, vers la redécouverte des lois intangibles de la création que Dieu, disait-il, « a placées comme un garde-fou au bord du néant qui nous fascine ».

Nous l'entendions aussi constater le malheur du siècle, où Dieu semble s'être retiré du monde devant l'homme devenu son rival. Ce drame ne le menait pas au désespoir, loin de là ! Pour lui, c'était l'occasion d'une purification : ne plus être porté par le social et par les certitudes ancestrales oblige à tout redécouvrir par soi-même, à se laisser « éblouir ». Cet effort vient alors se heurter au mystère, que Thibon a tant scruté, au point de se trouver seul devant Dieu « de moins en moins étranger et de plus en plus inconnu ». Un désarroi qu'il surmontait grâce, encore une fois nous semble-t-il, à son bon sens paysan : « Il faut bien que cet Être soit nécessaire pour qu'on éprouve le besoin d'en douter ou de Le nier. »

Gardons de Thibon l'image, non d'un maître (il n'y prétendait pas), mais d'un compagnon sachant à tout jamais, devant ses horizons inondés de lumière, porter les regards de ses contemporains vers ce qui se cache derrière les choses, derrière les mots, et les guérir ainsi des « conformismes de l'aberrant », de toutes formes de matérialisme.