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Jacques Laurent ou la France frondeuse

François Huguenin

Nouvelle revue CERTITUDES - n°5

Quand Jacques Laurent est mort, c'est comme si une part de la France s'était éteinte, tant l'esprit, la finesse, l'élégance, la pudeur de cet écrivain semblaient faire corps avec un aspect de l'âme française. Une filiation assez peu rationnelle entre Saint-Simon, le grand Condé, Voltaire, Choderlos de Laclos, Stendhal, Barrés et Bainville aboutit à Jacques Laurent. Les deux chefs-d'oeuvre, le foisonnant Corps tranquilles et l'intimiste Petit Canard, témoignent d'une écriture où se mélangent un goût vif et jamais démenti pour la liberté et un amour immodéré pour les femmes et pour la France, dans une alchimie qui évoque le style et l'attitude de la Fronde.

Jacques Laurent fut de toutes les frondes : élevé à la critique par l'Action française, il en garda toute sa vie une méfiance du romantisme et du gouvernement de la République. Quoique de passage à Vichy, en compagnie de son ami François Mitterrand, il devait à Maurras et à Bainville une germanophobie prudentielle qui lui évita les chimères de la collaboration. Mais, comme Blondin et Nimier, il sut remettre à sa place les prétentions à l'héroïsme d'un peuple qui avait acclamé d'une égale ferveur, à quelques jours d'intervalle, les figures tutélaires de Pétain et de De Gaulle. Le Petit Canard proposait qu'une histoire d'amour a toujours plus de poids qu'un engagement idéologique. Tout cela parut léger. Le ton devint pourtant grave quand il fallut défendre les soldats de l'OAS, polémique quand Mauriac fut tancé pour son allégeance au général et Sartre mis en parallèle avec les bonnes œuvres de Paul Bourget. On le fustigea alors d'être partisan après lui avoir fait le reproche d'être dégagé. A vrai dire, les idéologues ne comprirent rien à cette vie qui était une histoire d'amour singulière avec la France.

La France de Jacques Laurent n'est pas toujours celle que l'on préfère. Elle s'écarte de celle de Jeanne d'Arc, chantée par Péguy ou Bernanos, celle des pauvres et des saints. Elle est moins mérovingienne que cène de Jacques Perret, moins hellène que celle de Maurras. Elle mêle volontiers les uniformes de l'Empire aux étendards de la monarchie. Elle a cette acidité que l'on retrouve chez Saint-Simon et chez Voltaire, ce goût pour le libertinage qui est l'autre face de Janus du gouffre spirituel qui conduit aussi au désenchantement. Mais pour cette France-là, Jacques Laurent a éprouvé un amour qui ne trichait pas.

Le dernier texte publié par Laurent, dans Le Figaro, était une lettre d'amour à « l'amie disparue » qui résonnait aussi comme sa propre lettre d'adieu à la France et à la vie. Cet amour pour cette femme étrangère qui était tombée amoureuse de la France symbolise le destin d'une vie, dont l'œuvre se fit l'écho. La désinvolture n'est qu'un cadenas à l'émotion et l'égotisme, qui ne refuse pas tout attachement, tente de donner un sens à une vie que l'ontologie ne peut plus éclairer. Seule la chute de ce dernier texte vint rappeler, comme par inadvertance, la douleur : « Je ne sais pas si je parviendrai à te survivre dans un monde que ton absence a transformé en cauchemar ». Comme toutes les frondes, celle de Jacques Laurent prenait sa source aux eaux amères du désespoir. Seul le classicisme pouvait lui conférer son style.