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Un roman royal

Georges Bourcier

Nouvelle revue CERTITUDES - n°5

Quoi de plus romanesque, qu'un roi, en nos temps de démocratie égalitaire et juridique ! Jean Raspail déjà l'avait perçu, en particulier dans Sire, ce livre trop rapide dont Herminien Camin nous avait dit du mal, il y a bientôt dix ans dans Certitudes. Philippe Le Guillou, qui n'en est pas à son coup d'essai en littérature, nous propose une nouvelle méditation historique sur le roi, sous le titre énigmatique : Le roi dort.

Alors que Jean Raspail, il faut le dire, avait produit un scénario qui relevait d'une sorte de collection Signe de piste pour adultes, un rêve éveillé, un remake du Prince Eric, fidèle pour le meilleur et aussi pour le pire à la grande mythologie scoute, Philippe Le Guillou, lui, situe délibérément son intrigue dans le temps de l'histoire. Nous sommes en 2040 et la Veme République est toujours là. Le vieux président Louverne achève son deuxième mandat de cinq ans, il a des airs florentins, voyez ce que je veux dire, c'est une réplique post moderne de François Mitterrand, dont il partage d'ailleurs le goût pour les vieux livres mal pensants et l'ancrage dans le parti populaire. La France d'alors est menacée par un mystérieux "Grand Monarque", en fait un musulman inconnu de tous et qui multiplie les attentats sanglants et les destructions symboliques. Peut-être l'auteur, en fait de grand monarque, a-t-il pensé à la légende chiite du Treizième Imam, lointain descendant et successeur glorieux de Mohammed ; il faut reconnaître que, mise dans cette perspective, cette fiction d'un Grand monarque musulman prend un air de réalité, elle en devient plausible et vaguement inquiétante, en même temps qu'elle se pose comme politiquement incorrecte.

Le vieux président, pétri de culture française, ne voit bientôt plus qu'une solution pour faire pièce au Grand monarque, il médite depuis longtemps sur ce plan d'urgence, désigné par deux mystérieuses initiales : RD. Le roi dort, le roi hiberne, pense le vieil homme, mais pour faire face au terrorisme du Grand monarque, il faut faire appel au roi. Ce sera un Bourbon, jeune homme brillant qu'il a croisé, alors qu'on l'avait chargé de faire le discours de sa promotion à l'École navale. Pendant trois ans, Jean de Bourbon-Damville régnera sur la France par la volonté du vieux Louverne sous le nom de Jean III après avoir été ordonné roi à Reims.

Que dire de ces trois ans sinon que ce sont trois ans de sacerdoce pour le jeune Prince, qui, en s'adressant à ses sujets, n'a pas voulu employer le mot de sacre, mais qui en a ressuscité le rite sacral dans la vieille cathédrale. Pourtant, il faut le reconnaître, les choses se gâtent pour le lecteur, lorsqu'il se rend compte que ce sacerdoce politique est gaullien jusqu'à la caricature et c'est ainsi qu'à l'enseigne du Roi qui dort, l'on doit subir trois pages lyriques sur le grand Charles, sans doute recopiées du dernier opus de notre auteur, sobrement intitulé Stèles à De Gaulle ! Quelles que soient les convictions du lecteur, ce lyrisme béat agace un peu. Pour le coup on est vraiment entré en politique ! Est-il possible d'être si partisan, alors qu'on évoque une figure, qui, par définition se tient au dessus des partis, parce qu'elle a existé avant eux ? C'est une première difficulté de ce livre.

La seconde objection que l'on peut faire à ce machin, indéniablement bien ficelé pourtant, tient justement à une esthétique omniprésente, parfois jusqu'à la nausée. De Gaulle est la première Image dans cet Album royal, il y en a beaucoup d'autres : rien ne nous est épargné sur les tenues, sur le mobilier, sur les objets qui signifient cette Royauté. Dans ce registre - préciosité et compagnie - le Roi Jean III ne songe pas à cacher son faible pour les beaux garçons... L'esthétique vu par Philippe Le Guillou veut que l'on aille jusque là, et c'est dommage, d'autant plus que le jeu constant de la séduction virile fausse tous les dialogues en leur donnant des airs de confidence très privées, même lorsqu'il est question de secrets d'État. Ni la vraisemblance, ni le naturel ne sont toujours au rendez-vous. Marianne, la seule femme du livre, et qui devient la compagne de Jean III, ne fait que passer... Elle est là manifestement surtout pour offrir in fine un enfant à la France. L'auteur, tout occupé des beaux éphèbes français ou maghrébins, qui entourent son roi, n'a pas songé à donner une âme ou un visage à sa compagne : c'est curieux ! Je précise qu'en fait tout se passe toujours en tout bien tout honneur autour de ce roi prêtre, mais que rien ne sonne bien juste dans là psychologie des personnages…

Mais alors, direz-vous, pourquoi s'attarder sur ce livre ? Parce que Philippe Le Guillou est chronologiquement le premier héraut littéraire de la monarchie, en ce troisième millénaire. Son livre est paru en 2001, il y a là un symbole, reconnaissons-le.

Mais au delà du symbole, notre romancier a compris deux ou trois choses sur la royauté et il sait nous faire partager ses découvertes, il nous montre d'abord comment le roi est toujours une figure christique (sans doute parce que le Christ lui-même s'est nommé Roi, devant Pila-te, le procurateur romain), il nous montre ensuite comment, lorsque l'autorité se sait au service de ceux qu'elle dirige, elle rayonne, elle fait signe, sans avoir besoin du moindre mandat, sans se réclamer de je ne sais quelle délégation de pouvoir : elle est là. C'est dans la mesure où il est au. service de ses sujets, c'est parce qu'il se sent responsable d'eux, c'est parce qu'il a un rapport personnel avec chacun, que le roi ne saurait abdiquer : « Une espérance s'est levée, j’ai été ordonné roi. Mon pouvoir n'est pas seulement horizontal et terrestre. Je n'abdiquerai pas ». Pas seulement horizontal. Non pas issu d'un rapport de force. Non pas sorti des urnes ou de quelque autre combinaison humaine. La royauté est une vocation au service ; elle tire de cette transcendance une sorte d'immédiateté ou d'évidence, que seul le sommeil du roi nous empêche d'éprouver. Lorsque le Roi sort de ce sommeil, lorsqu'il paraît, tout redevient possible. Mais il faut qu'il paraisse, et qu'il paraisse roi...

Telle serait la face solaire de ce livre... Il en est une autre : on a l'impression, à suivre Le Guillou, que seule la mort fait de ce Jean III le Roi. Manifestement, depuis le commencement, c'est avec elle que ce garçon a rendez-vous. C'est que, par elle, il n'est plus seulement un Signe, le dernier signe à la mode dans la société du spectacle, il devient le sacrement de l'unité française, le Signe qui réalise ce qu'il veut signifier... La mort scelle tout ce qu'elle touche du seul sceau qui soit définitif en ce monde. La mort du Roi est ainsi plus qu'une promesse, un mystère fascinant. Est-ce là l'Évangile ? Ou faut-il rapporter cette fascination pour la mort du roi à ce que Maurras appelait la nécrophilie de Chateaubriand, manifestement l'un des mentors littéraires de notre auteur ? A vous d'en juger... Sur pièces.

P. Le Guillou, Le Roi dort, Gallimard 2001,130F.