Quoi
de plus romanesque, qu'un roi, en nos temps de démocratie égalitaire
et juridique ! Jean Raspail déjà l'avait perçu, en particulier dans Sire,
ce livre trop rapide dont Herminien Camin nous avait dit du mal, il y a
bientôt dix ans dans Certitudes. Philippe Le Guillou, qui n'en est pas
à son coup d'essai en littérature, nous propose une nouvelle méditation
historique sur le roi, sous le titre énigmatique : Le roi dort.
Alors
que Jean Raspail, il faut le dire, avait produit un scénario qui
relevait d'une sorte de collection Signe de piste pour adultes, un rêve
éveillé, un remake du Prince Eric, fidèle pour le meilleur et
aussi pour le pire à la grande mythologie scoute, Philippe Le Guillou,
lui, situe délibérément son intrigue dans le temps de l'histoire.
Nous sommes en 2040 et la Veme République est toujours là. Le vieux président
Louverne achève son deuxième mandat de cinq ans, il a des airs florentins,
voyez ce que je veux dire, c'est une réplique post moderne de
François Mitterrand, dont il partage d'ailleurs le goût pour les vieux
livres mal pensants et l'ancrage dans le parti populaire. La France
d'alors est menacée par un mystérieux "Grand Monarque", en
fait un musulman inconnu de tous et qui multiplie les attentats
sanglants et les destructions symboliques. Peut-être l'auteur, en fait
de grand monarque, a-t-il pensé à la légende chiite du Treizième
Imam, lointain descendant et successeur glorieux de Mohammed ; il faut
reconnaître que, mise dans cette perspective, cette fiction d'un Grand
monarque musulman prend un air de réalité, elle en devient plausible
et vaguement inquiétante, en même temps qu'elle se pose comme
politiquement incorrecte.
Le
vieux président, pétri de culture française, ne voit bientôt plus
qu'une solution pour faire pièce au Grand monarque, il médite depuis
longtemps sur ce plan d'urgence, désigné par deux mystérieuses
initiales : RD. Le roi dort, le roi hiberne, pense le vieil
homme, mais pour faire face au terrorisme du Grand monarque, il faut
faire appel au roi. Ce sera un Bourbon, jeune homme brillant qu'il a
croisé, alors qu'on l'avait chargé de faire le discours de sa
promotion à l'École navale. Pendant trois ans, Jean de
Bourbon-Damville régnera sur la France par la volonté du vieux
Louverne sous le nom de Jean III après avoir été ordonné roi
à Reims.
Que
dire de ces trois ans sinon que ce sont trois ans de sacerdoce pour le
jeune Prince, qui, en s'adressant à ses sujets, n'a pas voulu employer
le mot de sacre, mais qui en a ressuscité le rite sacral dans la
vieille cathédrale. Pourtant, il faut le reconnaître, les choses se gâtent
pour le lecteur, lorsqu'il se rend compte que ce sacerdoce politique est
gaullien jusqu'à la caricature et c'est ainsi qu'à l'enseigne du Roi
qui dort, l'on doit subir trois pages lyriques sur le grand Charles,
sans doute recopiées du dernier opus de notre auteur, sobrement
intitulé Stèles à De Gaulle ! Quelles que soient les
convictions du lecteur, ce lyrisme béat agace un peu. Pour le coup on
est vraiment entré en politique ! Est-il possible d'être si partisan,
alors qu'on évoque une figure, qui, par définition se tient au dessus
des partis, parce qu'elle a existé avant eux ? C'est une première
difficulté de ce livre.
La
seconde objection que l'on peut faire à ce machin, indéniablement bien
ficelé pourtant, tient justement à une esthétique omniprésente,
parfois jusqu'à la nausée. De Gaulle est la première Image dans cet
Album royal, il y en a beaucoup d'autres : rien ne nous est épargné
sur les tenues, sur le mobilier, sur les objets qui signifient cette
Royauté. Dans ce registre - préciosité et compagnie - le Roi Jean III
ne songe pas à cacher son faible pour les beaux garçons... L'esthétique
vu par Philippe Le Guillou veut que l'on aille jusque là, et c'est
dommage, d'autant plus que le jeu constant de la séduction virile
fausse tous les dialogues en leur donnant des airs de confidence très
privées, même lorsqu'il est question de secrets d'État. Ni la
vraisemblance, ni le naturel ne sont toujours au rendez-vous. Marianne,
la seule femme du livre, et qui devient la compagne de Jean III, ne fait
que passer... Elle est là manifestement surtout pour offrir in fine
un enfant à la France. L'auteur, tout occupé des beaux éphèbes français
ou maghrébins, qui entourent son roi, n'a pas songé à donner une âme
ou un visage à sa compagne : c'est curieux ! Je précise qu'en fait
tout se passe toujours en tout bien tout honneur autour de ce roi prêtre,
mais que rien ne sonne bien juste dans là psychologie des
personnages…
Mais
alors, direz-vous, pourquoi s'attarder sur ce livre ? Parce que Philippe
Le Guillou est chronologiquement le premier héraut littéraire de la
monarchie, en ce troisième millénaire. Son livre est paru en 2001, il
y a là un symbole, reconnaissons-le.
Mais
au delà du symbole, notre romancier a compris deux ou trois choses sur
la royauté et il sait nous faire partager ses découvertes, il nous
montre d'abord comment le roi est toujours une figure christique (sans
doute parce que le Christ lui-même s'est nommé Roi, devant Pila-te, le
procurateur romain), il nous montre ensuite comment, lorsque l'autorité
se sait au service de ceux qu'elle dirige, elle rayonne, elle fait
signe, sans avoir besoin du moindre mandat, sans se réclamer de je ne
sais quelle délégation de pouvoir : elle est là. C'est dans la mesure
où il est au. service de ses sujets, c'est parce qu'il se sent
responsable d'eux, c'est parce qu'il a un rapport personnel avec chacun,
que le roi ne saurait abdiquer : « Une espérance s'est levée,
j’ai été ordonné roi. Mon pouvoir n'est pas seulement horizontal et
terrestre. Je n'abdiquerai pas ». Pas seulement horizontal. Non pas
issu d'un rapport de force. Non pas sorti des urnes ou de quelque autre
combinaison humaine. La royauté est une vocation au service ; elle tire
de cette transcendance une sorte d'immédiateté ou d'évidence, que
seul le sommeil du roi nous empêche d'éprouver. Lorsque le Roi sort de
ce sommeil, lorsqu'il paraît, tout redevient possible. Mais il faut
qu'il paraisse, et qu'il paraisse roi...
Telle
serait la face solaire de ce livre... Il en est une autre : on a
l'impression, à suivre Le Guillou, que seule la mort fait de ce Jean
III le Roi. Manifestement, depuis le commencement, c'est avec elle que
ce garçon a rendez-vous. C'est que, par elle, il n'est plus seulement
un Signe, le dernier signe à la mode dans la société du spectacle, il
devient le sacrement de l'unité française, le Signe qui réalise ce
qu'il veut signifier... La mort scelle tout ce qu'elle touche du seul
sceau qui soit définitif en ce monde. La mort du Roi est ainsi plus
qu'une promesse, un mystère fascinant. Est-ce là l'Évangile ? Ou
faut-il rapporter cette fascination pour la mort du roi à ce que
Maurras appelait la nécrophilie de Chateaubriand, manifestement l'un
des mentors littéraires de notre auteur ? A vous d'en juger... Sur pièces.
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