Etat
des lieux. Sous ce titre sobre, presque neutre, se cache une des
analyses les plus précises de la société contemporaine qui nous ait
été donné de lire. Les fervents de Marcel De Corte ou du premier
Thibon (celui de Diagnostics) trouveront sous la plume de Georges
Laffly une nouvelle approche de la modernité et des représentations
qu'elle cherche à donner d'elle-même.
Un
style sobre, sans être elliptique, une culture universelle qui semble
ne jamais pouvoir être prise en défaut, l'analyse est menée tambours
battants, avec le souci du concret qui manquait sans doute un peu aux
philosophes susdits : un état des lieux se doit d'être précis, jusqu'à
la minutie parfois. Laffly n'invoque ni Aristote, ni Simone Weil. Ses références,
il va les chercher dans Roger Caillais, dans Mircea Eliade, dans
Spengler ou dans Jünger, sans faire jamais allégeance à quiconque,
soucieux on le sent de rester souverainement libre de son regard et de
ses jugements, libre de ses fidélités. Mais surtout, son livre
fourmille de faits, de chiffres.
Sa
neutralité apparente lui permet d'asséner avec plus de force des
jugements qui prennent à rebrousse poils ceux qui s'aventurent à faire
avec lui l'inventaire de notre temps. Voici par exemple une vérité
première à l'usage des moutons du Paysage intellectuel français : «
La colonisation est un fait constant dans l'histoire. C'est
par elle que s'est toujours répandu la civilisation »...
Suit une description de la mondialisation qui n'est rien d'autre que «
le protectorat des États-Unis », établi sur l'ensemble du monde. Étonnante
est aussi la dénonciation du puérilisme contemporain, que nous a préparé
le règne de la machine et qu'exploité méthodiquement cette société
marchande qui a inventé pour nous (et pour son plus grand profit) la
civilisation des loisirs. Et puis Laffly, sait nous rappeler quelques
bonnes vieilles citations que l'on s'était empressé d'oublier,
parce qu'elles n'ont rien à faire dans les dissertations de
bien-pensance. Ainsi cette opinion de Jean Paulhan sur l'avenir de
l'islam, dans une lettre à André Malraux : « Nous avons affaire à
une sorte d'hitlérisme, bien plus dangereux et violent que l'autre,
plus intelligent aussi, parce qu'il se fonde moins sur un nationalisme
que sur une religion ».
Il
faudrait étudier chacun des dix chapitres qui composent cet ouvrage et
la place nous manque. Je voudrais simplement reproduire ici la
conclusion de Georges Laffly, qui nous offre la lucidité avec l'espérance
; « Demain, il ne faut pas attendre le New Age béat, bêta, l'ère
spirituelle et progressiste du Verseau, comme on nous le serine. Demain
s'avance sans doute au milieu de remous immenses, de maelströms, et non
sans diverses régressions, dans l'inconnu. Et c'est de la barbarie, à
travers elle et la surmontant, que pourra surgir un type d'homme
retrouvant sa pleine et libre stature. Il y faudra une conversion, œuvre
du petit nombre. Commencerait alors une nouvelle étape dans l'aventure
des fils d'Adam, cherchant et retrouvant, toute neuve, la lumière de
Dieu. »
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