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La Béatification de Pie IX est-elle la canonisation du Syllabus ?

Abbé Bruno Schaeffer.

Nouvelle revue CERTITUDES - n°5

Les éditions du Cerf ont voulu marquer la béatification du pape Pie IX, en publiant le texte du Syllabus, — accompagné de quelques extraits de l'Encyclique "Quanta Cura". Cette édition est entourée d'un commentaire historique et théologique et préfacée par l'évêque d'Angoulême Claude Dagens.

L'explication embarrassée de Claude Dagens réduit à l'opposition entre deux conceptions le devoir de l'Eglise envers la foi ; faut-il la défendre ou la proposer. La première attitude fut celle de Pie IX face aux épreuves rencontrées par l'Eglise et la papauté au XIXème siècle. La seconde est celle du Concile Vatican II avec la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse - triomphe des idéaux des catholiques libéraux. La liberté de l'Eglise n'est qu'une liberté parmi cet ensemble abstrait baptisé « libertés publiques ». Le Syllabus fut « un acte de résistance à la société moderne », le Concile Vatican II « un acte d'ouverture et comme de réconciliation avec cette société. Mgr Dagens se défend d'y voir une contradiction entre deux politiques pontificales. Pie IX et Jean XXIII ont simplement exercé différemment leur mission. Pie IX a défendu vigoureusement la foi catholique et l'autorité de l'Eglise, Jean XXIII a cherché « à proposer largement et généreusement cette foi au monde moderne. » 

Le contexte historique présenté par Paul Christophe est celui de « la rencontre hostile entre l'Eglise et le monde moderne ». Son analyse paraît bien vieillie et tributaire de l'historiographie libérale. À titre d'exemple, son jugement sur l'Encyclique « Miravi vos » écrite « dans un langage qui remplaçait une véritable argumentation doctrinale par des exclamations oratoires » et des explications hors de toutes réalités, caractéristiques d'une réaction de défense. Passons sur la présentation assez complète de l'élaboration des documents romains et les tentatives d'accommodement des libéraux, en premier lieu celle de Mgr Dupanloup. Retenons sa conclusion : « A l'époque moderne, le Syllabus a été surtout invoqué par Mgr Lefebvre et par ses partisans ». Reconnaissant l'opposition entre Quanta Cura et Vatican II Paul Christophe croit voir dans « la tendance intégriste » un glissement : « Ce mouvement de résistance à la société moderne est devenu volonté de résistance à révolution légitime de l'Eglise ».

En canoniste Mgr Roland Minnerath pose la question du degré d'autorité du Syllabus. Contrairement à l'auteur précédent, il juge le texte de Pie IX « rassemblé à la hâte » dans le but de réaliser un « coup médiatique ». L'encyclique et le Syllabus s'expliquent par un contexte politique et doctrinal dont le terme est « une volonté d'affrontement ». Il s'agit pourtant, Minnerath le reconnaît d' « une condamnation définitive » par le magistère et qui rencontra le soutien de l'épiscopat catholique. Le Syllabus « est bien un document du magistère pontifical du XIXème siècle », du magistère authentique. Mais l'incompréhension persistante du monde tient de l'ignorance par l'Eglise « de la distinction des deux pouvoirs ». De là l'incapacité du pape Pie IX et de ses successeurs jusqu'à Pie XII à traiter correctement les problèmes contemporains et « des conduites et des jugements aberrants ». L'effort de Mgr Minnerath tend à établir la continuité nécessaire pour des actes émanant de la même autorité. Il s'agit de justifier la liberté des cultes et la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse. Entre le Syllabus et Vatican II ce qui a changé « c'est une autre appréciation du rôle de l'Etat en matière religieuse ». Selon l'auteur nous sommes en face d'un autre Etat soucieux de « protéger la liberté religieuse de tous ses citoyens ». Face à cet Etat certainement virtuel la conception de l'Eglise, société parfaite comme l'Etat mais supérieure à lui par son objectif plus élevé, est devenue inadéquate. L'Etat moderne s'imposerait des limites, donnant à la séparation supposée un climat de « sainte coopération ». 

Naïveté ou complicité, ne tranchons pas mais relevons l'erreur commune de Monseigneur Minnerath et de nombreux auteurs sur le sens des condamnations pontificales. Le professeur de Strasbourg écrit : « Dans les catégories de la liberté de conscience et de culte, c'est le rationalisme et l’indifférentisme religieux qui étaient visés » Non, il est clair que pour Quanta Cura, la liberté revendiquée sous le nom de liberté des consciences et des cultes est bien une liberté civile. Lorsque Grégoire XVI ou Pie IX condamnent la liberté de conscience, c'est en elle-même et non à cause des fondements naturalistes ou indifférentistes. Pas plus qu'ils ne proscrivent la liberté des cultes pour des raisons de limites. Par principe les autres cultes n'ont aucun droit à la liberté civile, seules des circonstances particulières peuvent contraindre l'Eglise à en accepter l'existence. 

L'historien n'a pas à substituer aux données dogmatiques le contexte historique dont le rôle est d'aider à préciser ici les conditions d'exercice du magistère. Sa tâche est immense, il peut facilement montrer la valeur prophétique de Quanta Cura et du Syllabus, comme leur actualité. L'histoire s'est chargée de démentir les critiques faites au Syllabus. L'Eglise n'était pas en retard, elle était en avance. Pie IX voyait des événements futurs cachés derrière l’irénisme des catholiques libéraux. Le siècle de totalitarisme, de guerre, de dictature, de mort des corps et de mort des âmes était annoncé par Pie IX. S'il y a des textes dépassés ce sont ceux de Vatican II, sa vision optimiste par principe était celle d'un monde inexistant. Le Concile de Jean XXIII et de Paul VI rejetait les vraies questions, il ne pouvait donner les bonnes réponses. 

Pie IX avait mis les hommes en garde contre trois fausses conceptions des rapports entre l'Eglise et l'Etat. D'une façon graduée il avait condamné l'indifférence totale en matière religieuse, puis l'absence de distinction entre la vraie religion et les fausses, enfin le refus du pouvoir civil de prêter assistance à la vraie religion.

Le syllabus et ses analyses d'une société politique sans rapport avec la nature humaine dont l'aboutissement est l'absorption de toute la vie sociale par l'Etat, est une mine d'argument pour toux ceux qui accepteront de le lire avec les yeux de la foi.

Paul Christophe et Roland Minnerath, « Le Syllabus de Pie IX », préface de Mgr Dagens, Paris, Le Cerf, septembre 2000,106 pages, 75 F.