L'explication
embarrassée de Claude Dagens réduit à l'opposition entre deux
conceptions le devoir de l'Eglise envers la foi ; faut-il la défendre
ou la proposer. La première attitude fut celle de Pie IX face
aux épreuves rencontrées par l'Eglise et la papauté au XIXème siècle.
La seconde est celle du Concile Vatican II avec la déclaration
conciliaire sur la liberté religieuse - triomphe des idéaux des
catholiques libéraux. La liberté de l'Eglise n'est qu'une liberté
parmi cet ensemble abstrait baptisé « libertés publiques ». Le
Syllabus fut « un acte de résistance à la société moderne », le
Concile Vatican II « un acte d'ouverture et comme de réconciliation
avec cette société. Mgr Dagens se défend d'y voir une contradiction
entre deux politiques pontificales. Pie IX et Jean XXIII ont simplement
exercé différemment leur mission. Pie IX a défendu vigoureusement la
foi catholique et l'autorité de l'Eglise, Jean XXIII a cherché « à
proposer largement et généreusement cette foi au monde moderne.
»
Le
contexte historique présenté par Paul Christophe est celui de « la
rencontre hostile entre l'Eglise et le monde moderne ». Son analyse
paraît bien vieillie et tributaire de l'historiographie libérale. À
titre d'exemple, son jugement sur l'Encyclique « Miravi vos » écrite
« dans un langage qui remplaçait une véritable argumentation
doctrinale par des exclamations oratoires » et des explications hors de
toutes réalités, caractéristiques d'une réaction de défense.
Passons sur la présentation assez complète de l'élaboration des
documents romains et les tentatives d'accommodement des libéraux, en
premier lieu celle de Mgr Dupanloup. Retenons sa conclusion : « A l'époque
moderne, le Syllabus a été surtout invoqué par Mgr Lefebvre et par
ses partisans ». Reconnaissant l'opposition entre Quanta Cura et
Vatican II Paul Christophe croit voir dans « la tendance intégriste »
un glissement : « Ce mouvement de résistance à la société moderne
est devenu volonté de résistance à révolution légitime de l'Eglise
».
En
canoniste Mgr Roland Minnerath pose la question du degré d'autorité du
Syllabus. Contrairement à l'auteur précédent, il juge le texte de Pie
IX « rassemblé à la hâte » dans le but de réaliser un « coup médiatique
». L'encyclique et le Syllabus s'expliquent par un contexte politique
et doctrinal dont le terme est « une volonté d'affrontement ». Il
s'agit pourtant, Minnerath le reconnaît d' « une condamnation définitive
» par le magistère et qui rencontra le soutien de l'épiscopat
catholique. Le Syllabus « est bien un document du magistère pontifical
du XIXème siècle », du magistère authentique. Mais l'incompréhension
persistante du monde tient de l'ignorance par l'Eglise « de la
distinction des deux pouvoirs ». De là l'incapacité du pape Pie IX et
de ses successeurs jusqu'à Pie XII à traiter correctement les problèmes
contemporains et « des conduites et des jugements aberrants ».
L'effort de Mgr Minnerath tend à établir la continuité nécessaire
pour des actes émanant de la même autorité. Il s'agit de justifier la
liberté des cultes et la déclaration conciliaire sur la liberté
religieuse. Entre le Syllabus et Vatican II ce qui a changé « c'est
une autre appréciation du rôle de l'Etat en matière religieuse ».
Selon l'auteur nous sommes en face d'un autre Etat soucieux de « protéger
la liberté religieuse de tous ses citoyens ». Face à cet Etat
certainement virtuel la conception de l'Eglise, société parfaite comme
l'Etat mais supérieure à lui par son objectif plus élevé, est
devenue inadéquate. L'Etat moderne s'imposerait des limites, donnant à
la séparation supposée un climat de « sainte coopération ».
Naïveté
ou complicité, ne tranchons pas mais relevons l'erreur commune de
Monseigneur Minnerath et de nombreux auteurs sur le sens des
condamnations pontificales. Le professeur de Strasbourg écrit : « Dans
les catégories de la liberté de conscience et de culte, c'est le
rationalisme et l’indifférentisme religieux qui étaient visés »
Non, il est clair que pour Quanta Cura, la liberté revendiquée sous le
nom de liberté des consciences et des cultes est bien une liberté
civile. Lorsque Grégoire XVI ou Pie IX condamnent la liberté de
conscience, c'est en elle-même et non à cause des fondements
naturalistes ou indifférentistes. Pas plus qu'ils ne proscrivent la
liberté des cultes pour des raisons de limites. Par principe les autres
cultes n'ont aucun droit à la liberté civile, seules des circonstances
particulières peuvent contraindre l'Eglise à en accepter
l'existence.
L'historien
n'a pas à substituer aux données dogmatiques le contexte historique
dont le rôle est d'aider à préciser ici les conditions d'exercice du
magistère. Sa tâche est immense, il peut facilement montrer la valeur
prophétique de Quanta Cura et du Syllabus, comme leur actualité.
L'histoire s'est chargée de démentir les critiques faites au Syllabus.
L'Eglise n'était pas en retard, elle était en avance. Pie IX voyait
des événements futurs cachés derrière l’irénisme des catholiques
libéraux. Le siècle de totalitarisme, de guerre, de dictature, de mort
des corps et de mort des âmes était annoncé par Pie IX. S'il y a des
textes dépassés ce sont ceux de Vatican II, sa vision optimiste par
principe était celle d'un monde inexistant. Le Concile de Jean XXIII et
de Paul VI rejetait les vraies questions, il ne pouvait donner les
bonnes réponses.
Pie
IX avait mis les hommes en garde contre trois fausses conceptions des
rapports entre l'Eglise et l'Etat. D'une façon graduée il avait
condamné l'indifférence totale en matière religieuse, puis l'absence
de distinction entre la vraie religion et les fausses, enfin le refus du
pouvoir civil de prêter assistance à la vraie religion.
Le
syllabus et ses analyses d'une société politique sans rapport avec la
nature humaine dont l'aboutissement est l'absorption de toute la vie
sociale par l'Etat, est une mine d'argument pour toux ceux qui
accepteront de le lire avec les yeux de la foi.
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