La
célèbre anagramme de Rome dit bien le dessein de ce numéro de
Certitudes. Il s'agit d'amour, il s'agit de notre amour de Rome, il
s'agit de dire que Rome est le berceau de tout amour véritable, le siège
de la charité universelle, le lieu mystérieusement prédestiné d'un
accomplissement qui pour l'homme est vraiment surnaturel.
- Mais pourquoi ce privilège romain
direz-vous ? L'amour - autant qu'on sache - n'appartient à personne...
Il n'est pas plus romain qu'aztèque ou chinois.
L'amour n'appartient à personne, mais
c'est justement pour cela qu'il est romain, en vertu de la promesse du
Christ : Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Le
Christ a donné à Pierre la clé d'amour, l'unité surnaturelle dans la
charité qui dure - dans les heurs et malheurs -jusqu'aujourd'hui. C'est
à cause de cet amour qui vient de Pierre que nous ne pouvons pas ne pas
aimer Pierre : l'enquête sans précédent que nous avons entreprise
parmi les prêtres de la Fraternité Saint Pie-X montre à l'envi que le
combat de la Tradition, même s'il est mené parfois malgré le pape, ne
se déploie vraiment que pour l'amour de Pierre.
C'est la première conclusion de ce numéro
: le christianisme authentique, qu'il soit oriental ou occidental, ne
peut pas ne pas être romain. Mais la romanité ne s'identifie pas
simplement à une obéissance abstraite et inconditionnelle. Elle a
elle-même un contenu ; et, plus encore qu'un contenu (le dogme catholique), la romanité a une forme
qui n'appartient qu'à elle et que nous avons essayé de mieux cerner.
Au fond, c'est cette forme qui n'a pas survécu au Concile, selon les
propres paroles du pape Jean XXIII. Il est frappant de constater que les
déclarations d'amour à la romanité qui se sont succédé au cours du
siècle dernier - celle de l'abbé Berto au début de son livre Pour la
sainte Eglise romaine par exemple - ne définissent pas leur propre
fondement. Rome c'est pèle mêle, pour cet auteur, le thomisme,
l'ultramontanisme et puis une atmosphère, celle de la Ville, la seule
dont il soit inutile de préciser le nom. Existentiellement, l'abbé
Berto avait sans doute raison. Nous n'avons pas - et personne plus
jamais n'aura son expérience d'une romanité vitale, qui parle latin
couramment et manie avec alacrité les concepts dont nous sommes au
mieux les usagers un peu empruntés... Quant à l'ultramontanisme, on a
vu où a mené ce grand mouvement de centralisation ecclésiale - à
l'implosion et au culte d'une religion à la carte.
C'est pour cela que nous avons osé partir
en quête d'une romanité qui aujourd'hui est perdue et qu'il faut
retrouver par un effort personnel. Il ne s'agit pas seulement du dogme
chrétien, je le répète, mais de l'esprit dans lequel on doit recevoir
ce dogme. La romanité, c'est le génie du dogme, c'est le naturel du
surnaturel, c'est la piété avec la doctrine, comme le répétaient les
élèves du Père Le Floc'h au Séminaire français.
Le risque est grand aujourd'hui de se
laisser abuser par des contrefaçons de romanité, par un idéalisme de
la romanité, par une conception de l'obéissance qui, comme dit
l'Evangile, filtre le moucheron mais laisse passer le chameau. Le risque
est grand d'un pharisaïsme romain. Notre romanité, certes, n'est ni dévotieuse
ni révérencieuse. Personnellement je garde toujours à l'esprit la
formule de La Bruyère sur le dévot : « c'est un homme qui sous un roi
athée serait athée ». Une chose est sûre : nous ne sommes pas de
cette romanité-là... Notre irrévérence nous protège... Mais nous ne
voulons pas pour autant oublier le Nom du Père. Simplement, nous savons
bien que l'amour vrai n'est jamais servile.
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