Saint Grégoire fut élu pape en 590, ou
moment de la peste de Rome, celle-là dont la fin fut annoncée par l'ange
remettant son épée au fourreau, au sommet du tombeau d'Hadrien (château
Saint-Ange). Les moines du Barroux viennent de rééditer les homélies prononcées
par ce pape pendant les deux premières années de son pontificat. Temps de
frayeur ; après la peste c'était les Lombards qui menaçaient la ville.
Nous vivons des années guère moins
sombres, ce qui devrait nous disposer à écouter ces sermons qui parlent de
pénitence et de pardon. Grégoire y mêle les exemples concrets, pris dans la vie
quotidienne, parlant de gens que tous ont pu connaître, à un commentaire
savant, allégorique, d'une grande richesse. Que le mot d'allégorie ne trompe
pas. Le principe est que chaque phrase a plusieurs étages de sens ; le moindre détail
de la parole sacrée est éclairé, expliqué. Par exemple, à propos de la femme
qui allume sa lampe pour retrouver la drachme perdue (saint Luc, 15) : « Qu'est-ce
qu'une lumière dans un vase de terre, sinon la divinité dans la chair ?
» et le propos rebondit sur un psaume : « La force gui se dessèche comme un
vase de ferre cuire, c'est-à-dire la chair assumée par le Christ et endurcie
par les tourments de la Passion ». Réseau serré d'analogies, langage de
la poésie, à l'opposé de notre langage mathématique (un signe, un seul sens).
Ces élévations débouchent toujours sur la vie chrétienne, les conseils
pressants de pardon, de charité. « Le Royaume de Dieu te coûte ni plus ni
moins que ce que tu possèdes ». Il exhorte à la pénitence, il rappelle la
miséricorde. Mais aussi le Jugement. Nous en avons perdu l'habitude, et
beaucoup doivent penser avec Pirenne, l'historien belge, que cette piété est
bien sombre et bien angoissée. On préfère laisser entendre que la sortie
débouche immanquablement sur la béatitude. Nous ne risquons rien. Comme si nos
vies, et ce que nous en faisons, n'avaient pas d'importance. Mais alors, nous
ne compterions pas, trop légers pour être pris au sérieux. Ce n'est pas du tout
ce langage que tenait saint Grégoire. On hésite à choisir entre ces textes. Ils
sont tous beaux, tous éclairés d'un rayon divin. J'ai un faible pour les
homélies sur Jean-Baptiste, sur Marie-Madeleine et pour la Pentecôte.
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