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Le Concile à la Russe

Propos recueillis par l'abbé Guillaume de Tanoüarn

Nouvelle revue CERTITUDES - n°7

Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. C'est avec trente ans de retard que le progressisme est arrivé à l'église Saint Louis-des-Français, sise à côté du KGB. Mais c'est le même processus révolutionnaire, foncièrement iconoclaste, qu'ont dû subir les catholiques là-bas. Le témoignage d'Alexandre Kryssov, jeune converti russe, montre bien que l'application du Concile produit les mêmes fruits sous toutes les latitudes.

Alexandre Kryssov, vous avez fondé la communauté traditionaliste de Moscou, quel est votre parcours personnel ?

Je suis né à Moscou en 1966, dans une famille d'intellectuels russes. Mon père est chercheur en micro électronique, ma mère est physicienne ; ils m'ont donné tous les deux une très bonne éducation morale, pleine d'amour, mais une éducation dont la religion était absente. Je suis devenu catholique, il y a plusieurs années. Cela fait très longtemps que je souhaitais devenir catholique, je ne sais pourquoi... Mais je ne connaissais aucune église catholique à Moscou. En 1985, alors que je séjournais en Lituanie, je suis rentré dans une église catholique à Kaunas. Attention je ne suis pas de ceux qui disent qu'ils ont rencontré Dieu brusquement dans une église ou ailleurs, ce n'est pas parce que je suis rentré dans cette église que je suis devenu catholique, je me sentais déjà catholique et mes études d'histoire m'avaient permis de mieux connaître le catholicisme romain. Ainsi d'ailleurs, avant même l'université, que les livres d'athéisme partout répandus en Union Soviétique à l'époque. Ces livres d'athéisme ont été comme mes premiers manuels de catéchisme ! Le fait de rentrer dans cette église en Lituanie à été un premier pas vers la conversion effective, mais j'ai encore réfléchi longtemps. Je me rendais régulièrement à l'église Saint-Louis-des-Français à Moscou, dont j'avais appris l'existence en Lituanie, mais je n'osais pas demander le baptême. À cette époque demander le baptême, se convertir, c'était un peu dangereux. On pouvait se faire renvoyer de l'université pour cette seule raison. De plus l'église catholique de Moscou était voisine du siège central du KGB. Au coeur de Moscou elle n'a jamais été fermée, mais devant l'église il y avait une caméra qui filmait les gens à l'entrée et à la sortie des offices. L'un de mes amis m'a raconté une anecdote à ce sujet : "Un jour par bravade, me dit-il, je salue la caméra en enlevant mon chapeau et je dis ; bonjour messieurs du KGB. Il faut croire qu'ils ne manquaient pas d'humour puisque la caméra bougea comme pour acquiescer et me rendre mon salut". Pour en revenir à mon parcours, disons que durant trois mois, j'ai résisté à la grâce qui me poussait. Finalement lorsque j'en ai eu la force spirituelle, je suis entré dans la sacristie et j'ai rencontré le vieux prêtre qui s'occupait de cette église. Tout de suite je lui ai demandé le baptême. Il m'a questionné, d'abord, pour savoir si je connaissais mes prières, je lui ai répondu que non. Il m'a donné trois jours pour étudier le Credo, le Pater et l'Ave. Après trois jours c'est encore dans la sacristie, en cachette, qu'il m'a donné le baptême en me prévenant du danger que je courais

Comment votre famille a-t-elle pris le fait que vous ayez été baptisé?

Je dois dire qu'au début je ne les ai pas mis au courant, mais j'ai fait cela naturellement. J'étais porté par une grande confiance en Dieu : ce n'est pas moi, me disais-je, qui ai choisi la foi catholique mais Dieu l'a choisie pour moi. Je n'avais donc rien à craindre ! Et pourtant il ne fallait pas trop réfléchir parce que dans ce baptême, je n'étais pas le seul à prendre des risques, mes parents aussi risquaient de subir des représailles au moins administratives et même physiques. J'ai donc attendu un an, j'ai attendu la chute du mur de Berlin ; c'est en 1989 que je les ai avertis. Aujourd'hui, je dois dire qu'ils sont admirables, ils respectent mon choix, par exemple lorsque je suis à la maison ma mère ne fait jamais de viande le vendredi alors que c'est une coutume spécifiquement catholique, qui n'existe pas chez les orthodoxes.

Y a-t-il des gens qui vous ont aidé dans votre démarche ?

Avec l'aide de Dieu je suis tombé sur un prêtre saint. Dans cette paroisse de Moscou - l'unique paroisse catholique - qui avait été fondée par les émigrés français à la fin du XVIIIème siècle, il a été comme un père pour moi, à la fois en m'avertissant des dangers et en me donnant l'exemple d'une vraie force spirituelle, il a toujours gardé le rite latin traditionnel et à cause de cela, il était mal vu à Rome. Le cardinal Willebrandt, en visite à Moscou juste avant la chute du mur de Berlin a proposé à ce prêtre, Stanislas Mazeika, de l'argent pour reconstruire l'église Saint-Louis selon le nouveau rite. La réponse du père Stanislas a été nette ; " Comme prêtre je suis né devant les autels, je veux mourir devant les autels et pas devant une table ". Mais juste après la chute du mur de Berlin, en 1990, Rome insiste pour réaliser l'aggiornamento. Le nonce apostolique vient reconnaître les lieux de la part de Rome et en 1991 un premier archevêque catholique est nommé à Moscou avec le rang d'administrateur apostolique. Il s'agit d'un biélorusse Mgr Taddeus Kondroussevitch. Son premier acte a été d'envoyer le père Stanislas à la retraite. À 85 ans dans son appartement de Moscou le père qui m'avait baptisé ouvrit une chapelle où il continua à célébrer la messe ancienne et c'est ainsi que jusqu'en 1995, date de sa mort, la messe traditionnelle était célébrée à Moscou.

Et quel est le prêtre qui l'a remplacé comme curé à Saint-Louis-des-Francais ?

Après la chute du mur de Berlin, on vit arriver à Moscou plusieurs prêtres polonais ou français et tout de suite il a fallu rendre obligatoire la nouvelle liturgie. Aujourd'hui le curé est un père assomptionniste français, ancien journaliste à La Croix, Bernard Leannec. En 1998, il s'est signalé en cassant l'autel de Saint-Louis-des-Français qui datait des origines de cette église, il a aussi détruit la chaire, la table de communion, il a jeté les sculptures et les icônes. Pour nous à Moscou toutes ces choses avaient une valeur affective considérable. Mais justement pour ce prêtre, c'était une raison supplémentaire d'agir, il fallait casser ces chefs d'oeuvre, uniques en Russie, pour rompre avec le passé. Ensuite il a brûlé tous les livres de prières anciens. Cet autodafé avait quelque chose de tragique et je dirais de satanique. Son attitude relève d'un pur vandalisme.

Mais les fidèles ont-ils réagi ?

Beaucoup de fidèles ont essayé de protester, mais contre l'autorité ecclésiastique rien n'était possible. Les plus décidés d'entre eux qui voulaient à tout prix garder la Tradition catholique se sont alors regroupés et ils ont demandé à la Fraternité Saint Pie-X de venir les soutenir. À partir de 1995, après la mort du père Stanislas, un prêtre de la Fraternité Saint Pie-X, le père Werner Bösiger, installé déjà à Minsk en Biélorussie, est venu visiter les fidèles de Moscou, il célébrait la liturgie dans des appartements privés. En 1999, nous nous sommes organisés dans des communautés catholiques sous le nom de Saint Pie V. En janvier 2000 nous avons été reconnus officiellement par l'Etat comme l'Eglise catholique de rite latin tridentin. Nous avons maintenant une chapelle fixe dans un appartement, avec un véritable autel, un tabernacle et les icônes de saint Louis, de saint Pie V et de saint Pie X. Dans cette chapelle nous nous réunissons chaque dimanche pour le chapelet et les vêpres et une fois par mois le père Bösiger vient deux jours par semaine pour dire la messe, confesser, et visiter les malades.

Avez-vous rencontré l'hostilité ouverte de la hiérarchie catholique ?

L'archevêque de- Moscou Kondroussevitch n'a fait aucune démarche officielle contre notre comunauté. De sa part, ce silence n'est ni un signe d'apaisement ni une marque de tolérance. Son attitude s'explique avant tout par un souvenir cuisant. Avant d'être archevêque à Moscou, Kondroussevitch était installé à Minsk avec le futur cardinal Svrentek. Au début des années 90, une communauté catholique de rite traditionnel s'est établie dans cette ville. Aussitôt les deux prêtres ont demandé à l'autorité biélorusse d'interdire cette communauté : " Ce n'est pas une communauté catholique, déclarèrent-ils, mais une secte totalitaire ". Le KGB biélorusse (qui existait toujours là-bas sous l'autorité du président Chevernadzé) avait donné son accord de principe à cette demande. Mais avant de faire exécuter la demande des deux hiérarques, prises peut-être d'un scrupule, les autorités biélorusses ont tenu à recevoir l'avis d'une commission indépendante sur ce groupe catholique traditionaliste : était-ce vraiment une secte ? Ils ont donc demandé à l'Eglise orthodoxe biélorusse qui dans le pays est un symbole de savoir, une force intellectuelle indépendante, de donner ses propres conclusions. Le KGB biélorusse a donc posé la question aux orthodoxes : " la Fraternité Saint-Pie-X est-elle une secte totalitaire comme le pensent les prêtres catholiques romains de Minsk ? " La réponse a surpris tout le monde : " La Fraternité Saint-Pie-X présente vraiment la foi catholique authentique et les prêtres catholiques romains de Minsk ne la présentent pas ". Le KGB a donc renoncé à poursuivre la Fraternité à Minsk. Du coup, Mgr Kondroussevitch ne tient pas trop à renouveler l'expérience à Moscou.

Quelle est l'activité de votre chapelle à Moscou ?

Nous essayons d'agir surtout en diffusant de bons textes qui souvent n'avaient jamais été traduits en russe. C'est pour cela que nous avons créé en 1999 une revue trimestrielle de 150 pages environ Pokrov. Pokrov dans la liturgie, cela désigne le manteau de la Vierge. Notre revue est en vente dans les magasins spécialisés en sciences humaines ainsi que dans beaucoup de paroisses orthodoxes, mais bien évidemment pas dans les paroisses officiellement catholiques. Aujourd'hui, nous sommes diffusés dans une trentaine de régions de Russie et dans onze pays étrangers. Notre but est de faire découvrir aux catholiques russes la vraie richesse de l'Eglise catholique. Dans chaque numéro, nous publions des documents du magistère catholique d'avant le Concile (récemment par exemple l'encyclique de Pie XII, Mystici corporis) ; dans chaque numéro, nous traduisons aussi des passages importants de la Somme théologique de saint Thomas. Je souligne que c'est la première fois que saint Thomas d'Aquin est traduit en russe, il y a aussi des articles sur l'histoire de l'Eglise catholique en Russie et dans le monde. Par exemple dans notre numéro 1 j'ai fait un gros article sur l'histoire de la paroisse Saint-Louis-des-Français à Moscou jusqu'en 1995.

Pourquoi 1995 ?

Je crois que lorsqu'ils ont cassé l'autel, ça a été vraiment la fin de cette paroisse catholique.

Quelles sont vos relations avec les orthodoxes ?

Il faut distinguer deux points de vue totalement différents. Entre les fidèles orthodoxes et les fidèles catholiques à Moscou, il n'y a aucun problème, nous avons des relations amicales parce que nous sommes tous passés, d'une manière ou d'une autre par l'épreuve de l'Union Soviétique. Mais au niveau des hiérarchies, c'est le contraire, parce que la hiérarchie catholique en Russie est constituée d'étrangers qui ne connaissent pas les réalités du pays. De plus, les catholiques là-bas vivent sur un mensonge. Us disent qu'il y a trois millions de catholiques dans le pays, parce qu'ils comptent toutes les populations d'origine catholique qui vivent en Russie, et au nom de ces trois millions de fidèles, ils se font nommer archevêques ou évêques par Rome. En fait de trois millions, il doit y avoir en Russie 60 ou 70 000 fidèles catholiques. Déclarer comme catholiques des populations lituaniennes, athées, non baptisées c'est un mensonge ! Autre exemple : à Moscou ils annoncent 60 000 catholiques. En réalité il y en a 4000 environ. Vous comprenez pourquoi la hiérarchie orthodoxe accuse les catholiques de prosélytisme, c'est un mot poli pour dire mensonge.

Quelle est la proportion de traditionalistes sur ces 4000 catholiques moscovites ?

C'est difficile à dire, pour l'instant nous sommes un petit groupe de plusieurs dizaines de personnes fidèles, mais il y a beaucoup de sympathisants révoltés par l'attitude de la nouvelle hiérarchie, il faut aussi distinguer entre les catholiques qui ont été baptisés avant la chute du Mur et ceux qui ont été baptisés depuis. Les nouveaux baptisés sont souvent très instables, ils ne restent pas dans l'Eglise catholique ; les plus progressistes vont chez les baptistes, très nombreux à Moscou. Quant à ceux qui seraient traditionnels, ils regardent du côté des orthodoxes qui ont gardé une véritable liturgie. Nous sommes peu nombreux, nous n'avons pas de prêtres pour assurer les offices le dimanche, mais déjà, grâce à nos publications nous rayonnons autant que nous le pouvons autour de nous.