En
1996 paraissait en français, aux éditions de L’Age d’Homme, Le
Cheval rouge d’Eugenio Corti qui restera probablement, tant par
son ampleur que par son ambition, comme un des grands romans italiens de
cette fin de siècle. Publié en mai 1983 chez un modeste éditeur
milanais, Le Cheval rouge, en raison à la fois d’un ton
qu’on n’entendait plus dans les lettres
italiennes depuis Alessandro Manzoni[i],
d’un amour pur de la patrie et d’une salutation profonde aux vertus
traditionnelles et chrétiennes, s’est progressivement imposé auprès
d’un large public de la Péninsule, touché de retrouver là une image
vraie de l’héroïsme et des épreuves de l’Italie. Je ne reviendrai
pas sur les conditions de ce phénomène littéraire. François Livi,
dans sa préface au roman[ii],
a bien marqué que ce dernier était par essence anti-idéologique et
que Corti, à l’exemple de Lampedusa, de Morselli, avait bénéficié,
par la seule force de son talent, de la reconnaissance populaire
obtenue, en grande partie, contre les modes littéraires et le
conformisme intellectuel marxisant tout puissant depuis la guerre
froide, encore bien vivace dans la tête des faiseurs d’opinion. Bien
des lecteurs savaient pourtant qu’il était absurde d’enfermer la
production littéraire dans les règles fixées par le Sicilien Elio
Vittorini, et qu’il suffisait d’égrener les noms des plus
illustres, depuis Bachelli ou D’Annunzio, pour comprendre que les
lettres italiennes, un jour ou l’autre, nous donneraient, sans manichéisme,
le panorama complet du siècle écoulé en évoquant, avec la compassion
qui a tant manqué aux écrivains néoréalistes, tout le destin
italien, la souffrance de ses fils et la résistance des consciences
face au mal et à la teneur des idéologies modernes. C’est maintenant
chose faite, et nous pouvons remercier Corti de s’être attelé,
pendant plus de dix ans, à cette tâche immense. Le voilà donc sur
notre table, ce gros livre de plus de mille pages, au titre tiré de l’Apocalypse
de saint Jean. Car Le Cheval rouge de Corti est bien celui
dont parle l’Apôtre lorsqu’il voit le livre aux sept sceaux et
l’Agneau qui, après l’avoir reçu, l’ouvre en levant, l’un après
l’autre, chacun des sceaux. C’est le cheval rouge monté du cavalier
de la guerre, qui suit le cheval blanc conduit par l’archer couronné,
entendu à l’ouverture du second sceau. Il lui est donné « d’ôter
la paix de dessus la terre, et de faire que les hommes
s’entre-tuassent. »[iii]
Titre général donné par Corti à son ouvrage et aussi à la première
des trois parties du livre, le cheval rouge, symbole de la guerre
universelle comme signe messianique, introduit le roman. Il fera place
au cheval livide, entendu à l’ouverture du quatrième sceau, monté
du cavalier de la mort et suivi de l’Enfer, qui a pour charge de «
faire mourir les hommes par l’épée, par la famine, par la mortalité...
» Une fois sa course arrêtée, lui succède l’arbre de vie, symbole
de la nouvelle Jérusalem, sis au milieu de la ville et dont les
feuilles sont là « pour guérir les nations. » Corti a ainsi
distribué les trois grandes parties de son livre, grandiose évocation
de l’histoire italienne depuis la déclaration de guerre de juin 1940
jusqu’au référendum sur le divorce de 1974, selon un tempo et une
signification très précise : celle du devenir d’une Italie profondément
chrétienne, arrachée à son provincialisme traditionnel, précipitée
dans la fournaise de la guerre, humiliée par la défaite, en butte aux
ravages des idéologies et au laminoir de ce que Pasolini appellera, peu
de temps avant sa mort, le nouveau pouvoir.[iv]
Ce faisant, Corti nous laisse entrevoir que le nom de ses enfants de
papier peuplant cette vaste fresque est inscrit au Livre de Vie. Voilà
pourquoi, indépendamment de son ambition littéraire et de ses qualités
morales dont nous parlerons plus après, une des grandes leçons de ce
roman est celle des retrouvailles des lettres italiennes avec « un écrivain
sincèrement catholique » et « un grand poète de la foi chrétienne
», mots mêmes qu’avait employés L’Osservatore romano, en mai
1873, pour saluer la disparition de Manzoni. Mais, à la différence de
l’auteur des « Promessi Sposi », qui penchait pour le Jansénisme[v],
Corti n’est pas cet accusateur pessimiste des pouvoirs et des
institutions, hanté par la brutalité des puissants et révolté par la
violence que fait subir aux hommes la société dans son effort désespéré
pour donner un sens à ce qui lui échappe.[vi] S’il fait du Mal, comme
Manzoni, l’adversaire absolu, les raisons qu’il fournit sont plus précises
et plus convaincantes. Sans doute le grand théâtre de la cruauté
qu’est la Lombardie de la guerre de Trente Ans, en proie aux luttes
entre Impériaux et Français, aux ravages de la peste, ne change pas
beaucoup de celui de la Seconde Guerre mondiale. Mais le Mal n’est pas
uniquement cette force dévorante et obscure, assise à l’ombre du péché
originel, il a proliféré en notre siècle pour des raisons
historiques, politiques et culturelles bien définies dont il importe de
cerner les causes afin d’en limiter les effets terrifiants.
Entrons
maintenant plus avant dans le livre. La première partie, celle du
Cheval rouge, plonge le lecteur à l’époque de la déclaration de
guerre et mêle, dans une prose simple où le respect des vies décrites
est remarquable, les destinées de jeunes adolescents du pays de la
Brianza[vii]
- Ambrogio, Bonsaver, Manno, Pierello, Stéphane, Michèle Tintori
-conscrits mobilisés de la classe 21 qui seront, à l’exception de
Manno envoyé sur le front libyen et de Pierollo en Croatie occupée,
affectés dans les divers régiments d’élite du corps expéditionnaire
italien - l’Armir -, partie intégrante de la grande armée européenne
lancée par le Reich à l’assaut de l’UR.S.S. Ils
y trouveront, lors de l’épouvantable retraite de décembre
1942 et janvier 1943, imposée par la percée russe pour dégager
Stalingrad, soit la mort, pour Stephano et Bonsaver, soit la captivité,
pour Michèle Tintori, soit la souffrance des blessures, pour Ambrogio.
La seconde partie, celle du Cheval livide, retrace la fin de l’Afrique
germano-italienne, la fuite audacieuse de Manno hors du sol tunisien
pour échapper à l’emprisonnement par les Alliés sur le point de
prendre Tunis, l’atmosphère au moment de la chute du Duce,
l’affectation du jeune officier en Albanie, où il apprend
l’armistice du 8 septembre 1943, son retour sur le sol natal,
l’Italie à genoux, au bord de la guerre civile, les Allemands
toujours présents, qu’il faut désormais combattre, la mort de Manno
dans les premières batailles aux cotés des soldats américains.
Entre-temps, Michèle Tintori fait l’expérience de l’univers
concentrationnaire soviétique, du cannibalisme des camps, du bourrage
de crâne, du mépris absolu du matériel humain dans un régime qui prétendait
pourtant n’oeuvrer que pour lui. Le cavalier aux yeux morts fauche désormais
les vies à foison. L’Europe est à feu et à sang. Partout, la liesse
des peuples libérés s’accompagne de crimes, de massacres,
d’exactions, de désastres. Le front russe, où la vie ne vaut rien,
n’est plus que ce brouillard barbare, immense et rouge, où le courage
allemand va définitivement succomber. En Italie du Nord, les Allemands,
aidés des républicains de Salo, s’arc-boutent avec acharnement ;
les forces résistantes et fascistes rivalisent de férocité aux côtés
des grandes armées combattantes. Les troupes conquérantes installent
la division idéologique de l’Europe et, quand la tuerie générale
cesse, la carte de la liberté ou de l’asservissement est désormais
fixée pour près de cinquante ans. Pourtant, la troisième partie,
celle de l’arbre de vie, redonne aux Italiens leur place en ces
nouveaux temps de paix. Qu’en feront-ils toutefois ? Corti suit
Ambrogio, qui préside désormais aux destinées de l’usine de son père,
et Michèle, revenu des camps soviétiques, devient cet artiste, cet écrivain
en qui l’auteur a probablement mis le plus de lui-même et où il
n’est pas difficile de voir son porte-parole.[viii]
Trente années de vie politique italienne défilent sous nos yeux depuis
la victoire d’Achille De Gasperi aux élections d’avril 1948, qui
sauve définitivement l’Italie du communisme, jusqu’au référendum
sur le divorce de 1974, qui sonne le glas du pouvoir sans partage de la
Démocratie chrétienne et de l’influence du Vatican sur la politique
italienne. L’Italie, à l’instar des autres grands pays européens
du monde libre, adopte alors ces réformes dont le bilan moral n’est
plus à dresser et qui, naturellement, semblent l’avoir vidée de l’énergie
nationale dont elle se réclamait jusque-là. Et, lorsque Aima, la femme
de Michèle, meurt accidentellement, peu de temps après le référendum
de 1974, Corti laisse enfin le lecteur, seul, avec ce grand livre refermé
dont le sens, au fil des pages, s’est dessiné avec une netteté
remarquable : la vie est un combat pour le royaume qui n’appartient
qu’aux hommes de bonne volonté. Je voudrais revenir, tant pour leur
valeur descriptive que pour leur résonance dans la littérature
italienne, sur ces descriptions du front russe et, notamment, celles des
batailles de Meskov, d’Arbousov, de Nikolaïevka, d’Amaoutovo[ix]
qui jalonnent la retraite de la fin de l’année 1942 et qui
virent l’anéantissement des meilleures unités de Mussolini. Le front
russe ! Sommet et symbole de l’affrontement mécanique armé
européen, énorme broyeur inutile d’hommes et de vies, chaudière
incandescente, hurlante de douleur, où, par pelletés géantes, furent
jetées des générations entières, hanteras-tu, domineras-tu encore
longtemps de ton aura mythologique faite de courage, de crime et de désespoir
la conscience des enfants perdus de l’Europe ?[x]
Bal des Ardents à l’échelle des continents, flux et reflux
monstrueux entre les deux bornes babyloniennes du XXème siècle, Moscou
et Berlin, capitales inoubliables de la cruauté européenne, ce magma
effroyable d’héroïsme et de tuerie constitue certainement le plus
sinistre des soleils d’acier et de chair qui ont rougeoyé à
l’horizon de notre ère. Luttes sans fin sur les rives glacées du Don
ou de la Volga, luttes sans fin dans la houle des champs de blés de
l’Ukraine, luttes sans fin dans les marécages et les plaines de
Pologne, sur les rivages baltes, dans les fondrières et les bois de
bouleaux de Mazurie, dans les villes rasées, dans les derniers
retranchements d’une Allemagne à l’agonie[xi] ;
masures misérables bondées de blessés, églises incendiées, ghettos
rayés de la carte, faubourgs dévastés, populations déplacées,
enfants et bêtes massacrés ; nazis bardés de fer, teutoniques
sans croix, racistes exterminateurs, ayant rameuté dans leur
internationale noire tous les peuples d’Europe, Hongrois, Belges, Français,
Roumains, Italiens... ; communistes athées, bourreaux à la
pesante veste de cuir, philanthropes de la mort, dialecticiens
redoutables, rouages diaboliques d’une épuration interminable, étendue
à tout l’univers, ayant rameuté dans leur internationale rouge tous
les peuples de la terre : les saisons de cet interminable front sont des
saisons de mort.
Malaparte,
qui parcourra en 1941, comme envoyé spécial dans les fourgons de
l’armée allemande, les immenses plaines conquises, écrira plus tard
dans « Kaputt » que ce combat titanesque laisserait pour
toujours un goût de sang dans la bouche des Européens, et qu’il
avait été, à son paroxysme, significatif de l’état auquel était
parvenue la condition de l’homme.[xii]
Les remarques de l’auteur de « Kaputt » ne doivent cependant
pas faire penser que Corti décrit la guerre sur le front russe avec les
yeux de ce journaliste incomparable qu’était Malaparte, où le mentir
vrai et l’imagination débridée, propres à l’auteur de « Technique
du coup d’Etat », firent les délices des lecteurs de l’immédiate
après-guerre, fascinés de retrouver dans ce regard littéraire
moderne, tragiquement vraisemblable, l’absurde, l’atroce, la déraison
de toutes ces années[xiii].
Malaparte n’a pas fait la même guerre que Corti. Le premier fut ce
correspondant de guerre célèbre à la plume menteuse, redoutée, loin
du front, protégé par Ciano et le colonel Cumming, oscillant entre ses
contradictions, ses peurs, ses lâchetés et ses fidélités politiques,
tout préoccupé de la construction de sa merveilleuse villa de Capri.[xiv]
Le second fut ce tout jeune soldat combattant dont Ambrogio et Michèle
sont directement issus.[xv]
Le
rapprochement qui s’impose, c’est avec Mario Rigoni Stern qu’il
faut le mener. Comme Corti, Mario Rigoni Stern fut, à vingt ans, au
sein d’un bataillon d’élite de chasseurs alpins, acteur anonyme de
cette retraite du Don où sombra la VlIIème armée italienne. De cette
expérience traumatisante naîtra, en 1953, « Le Sergent dans la
neige »[xvi],
compris immédiatement à sa sortie comme un joyau de la littérature
italienne d’après-guerre, et que les enfants étudient à l’école.
Une prose simple, précise, rendue comme éternelle par la sourde mélancolie
qui s’en dégage ; un texte à la fois limpide et dense où se
confondent l’expérience du soldat vaincu, la peur, le courage de
l’homme, le regret jamais guéri des amis tombés ; un hymne à
la bravoure italienne, tant moquée de nos stratèges en chambre, bien réelle
toutefois,
mais ensevelie sous le poids honteux de l’impréparation générale et
de la débâcle. Le court livre de Mario Rigoni Stern tend la main au
texte fleuve de Corti et le rejoint pour saluer, dans une oeuvre commune
de mémoire et de piété, les vies brisées de tous ces jeunes gens
qu’ils évoquent à la façon d’un chant d’Homère. Ainsi Mario
Rigoni Stern au temps de l’avancée heureuse, malgré les heurts, les
blessés, vers les rives du Don : « On était bien dans nos bunkers...
On se serait vraiment cru dans nos montagnes, à écouter les bûcherons
se héler entre eux. » Ainsi Corti : « Mais, autant dans le secteur de
Stefano que dans ceux d’Ambriogo, de Bonsaver, de Luca, de Michèle
Tintori, on n’avait de ces combats que de faibles échos, apportés
par quelque journal déjà vieux, ou encore par les communiqués de
guerre... » Ainsi Mario Rigoni Stern, lors de la retraite par un froid
dantesque, dans la tempête, les bourrasques de givre et de neige, sous
les coups de l’ennemi, sans matériel lourd, dans l’abandon et le désordre
le plus total : « Y avait-il tant des nôtres en Russie, pour que la
colonne fût si longue ? Combien d’avant-postes tels que le nôtre
y avait-il eu ? Cette interminable colonne devait hanter
mon regard, des mois durant, et ma mémoire à jamais. » Ainsi Corti :
« Ils revirent les interminables étendues de neige où, si longtemps
qu’on avançât, on avait l’impression de se trouver toujours au même
point, ils envisagèrent ces jours et ces nuits de marche dans le climat
polaire qui terrorisait même ceux qui n’étaient pas blessés. »
Ainsi Mario Rigoni Stern lorsque tout est fini : « Et tant, tant
d’autres qui dorment dans les champs de blé parsemés de pavots, ou
entre les herbes fleuries de la steppe, avec les vieux des légendes de
Gorki et de Gogol. Et les quelques survivants, où sont-ils
aujourd’hui ? » Ainsi Corti : « Chacun en son for intérieur se
voyait avec une invincible répulsion cadavre sur la neige, pareil aux
cadavres qui s’y trouvaient déjà, misérables petits tas de chair
congelée et de loques. »
Comme
si le jeune sergent chef alpin et le lieutenant d’artillerie avaient
choisi l’écriture pour ramener cette page d’histoire à la compréhension
des vivants, pour leur offrir la douleur de la guerre, pour accueillir
enfin ceux qui ne sont pas revenus dans leurs foyers, pour honorer leurs
nouveaux enfants venus des quatre coins du pays - vous vous souvenez
bien, n’est ce
pas, ceux qui ânonnaient, petits, sous la férule de maîtres s’évertuant
à leur enseigner la noble tâche du Risorgimento, ceux qui aidaient le
père à la ferme et aux champs, ceux qui n’étaient jamais malades,
ceux qui posaient sur les photographies avec toute la famille, ceux qui,
devenus grands, pensaient aux filles, voulaient s’établir... - naïf
troupeau de paysans, d’artisans, d’ouvriers, d’étudiants, aux
mille et un dialectes, lancés dans cette aventure qui les tuera, les
mutilera ou les laissera, pantelants, au bord de la vie avec des larmes
plein les yeux.[xvii]
C’est
comme si tous deux avaient donné corps à la prophétie de Leopardi, écrite
cent vingt-cinq ans plus tôt[xviii],
qui prédisait la chute des fils d’Italie, « légion par légion, à
demi nus, défaits, ensanglantés », « leurs cadavres abandonnés sans
sépulture sur cette horrible mer neigeuse », entendait « leur plainte
par le boréal désert et les sylves sifflantes » et annonçait que,
dans ce malheur infini, « le nom des vaillants et des forts ne cessera
jamais d’être confondu avec celui des lâches et des vils. »[xix] Mais Mario Rigoni Stern,
moraliste pacifique, « écrivain de paix qui parle de la guerre », rédige
pour mettre au cœur de son oeuvre sa propre expérience, celle de ses
souffrances physiques et morales. Corti, en revanche, porte en lui tout
un univers et atteint, par son ampleur, aux dimensions de « La Guerre
et la Paix » ou de « Vie et Destin. »[xx]
Le romancier décrit les trains du corps expéditionnaire, les mois de
l’avance italienne, les premiers combats, les positions au bord du
Don, les champs de bataille de la retraite, la débandade des unités,
le piège de la poche, les onze percées successives, les pertes
effroyables.
Il
embrasse ces scènes dans une vision globale, mêle les destins
individuels aux mouvements des bataillons, des régiments, des armées,
passe à l’ennemi, revient au cœur des lignes, s’introduit dans les
isbas à la puanteur épouvantable, dans les tranchées, sonde les
consciences, assiste les agonisants. On s’écroule avec les faibles,
on marche et on combat avec les Alpins et les Bersagliers, on y côtoie
les luges couvertes de blessés, les officiers désemparés, perdus, les
mules harassées et vaillantes. (Mais oui ! La souffrance des
animaux !) On entend les chars lourds à l’approche, les canons
tonner. Partout le gel, les températures inhumaines, la nature indifférente
et hostile. Partout la mort, les mortiers russes, le combat à dix
contre cent. Partout des hommes livrés au néant qui s’acharnent à
passer coûte que coûte pour ne pas mourir.
Mais
il y a plus. L’auteur, en romancier chrétien, donne un sens métaphysique
au grincement cauchemardesque de la meule des événements. De
nombreuses digressions et notes, religieuses, sociales, politiques, -
procédé cher à Corti - émaillent le déroulement de l’action et
forgent cette perspective métaphysique, voulue passionnément par le
romancier : toutes les pages du livre ne sont qu’une lente préparation
à la proclamation de la valeur de la vision chrétienne de
l’histoire, et, de ce fait, aux preuves que c’est folie de s’en écarter.
Ambrogio et Michèle avaient demandé, lors de leur affectation, la
Russie pour comprendre à quoi ressemblait cette entreprise unique, «
cette rédemption de l’homme et de la société en dehors du Christ et
du christianisme, et même contre le Christ. »[xxi]
Ils en découvrent les prémices dans les visages terriblement usés des
paysans[xxii],
ils devinent ce que furent, « en dépit de l’accablant fatalisme des
Russes », la terrible famine planifiée de 1931, les horreurs de la
collectivisation, les fusillades d’orphelins, la Grande Terreur.
Toutes ces notes et réflexions sont comme une propédeutique à ce que
confirmera le Cheval livide, lorsque Michèle sera passé de l’autre côté,
celui des camps soviétiques, miroirs fidèles et multiples de
l’entreprise communiste. La course des événements familiarise ainsi
progressivement les jeunes soldats à la découverte de ce qu’ils
pensaient intuitivement, qu’ils avaient appris à l’aune de
l’enseignement de l’Eglise et des leçons familiales, il leur
appartient maintenant d’en faire l’expérience dans leur chair, de
mettre un visage sur le mal, d’en respirer l’haleine délétère,
et, s’ils en réchappent, de comprendre que leur combat pour la
survie, leur témoignage, se doublent à jamais d’une autre guerre :
celle des idées où se défend la valeur insurpassable de la cité chrétienne.
Au fond, Corti ne fait que dire : le totalitarisme est l’enfant du
Mal, le volontarisme athée débouche sur une catastrophe, l’homme
comme horizon de l’homme reste une monstruosité. Tout se tient.
Le
Mal est cette roue d’Ixion qui écrase tout, que pousseront sans cesse
sur la terre les régimes montés à l’assaut de Dieu. Cette découverte,
il appartiendra à Michèle Tintori, le premier, de la voir à l’œuvre
au « Lager 74 » pour prisonniers de guerre, celui de Krivovaïa, où règne
le cannibalisme.[xxiii]
Les pages où le jeune officier, miraculé des griffes de la police
militaire russe et du commissaire politique italien, sorte de Boudarel
d’avant le temps, découvre, pour la première fois, dans l’obscurité
de la nuit, les piles de cadavres nus sur la neige sale, la bouche
grande ouverte, et pressent les détenus accroupis autour de ce ragoût
infâme sont, incontestablement, les plus dures du livre. Suivront
celles des écuries aux couloirs pestilentiels, couverts de sang diarrhéique,
véritables porcheries humaines, celles de la distribution de lavasse où
meurt ébouillanté le soldat fermier du district de Pavie, celles de la
bagarre hallucinante pour avoir du sang frais, et, les plus atroces de
toutes, celles où, dans un baraquement de soldats, Michèle voit,
horrifié, assis et rangés dans un ordre impeccable, les morts et les
vivants, attendant un pain qui ne sera jamais distribué.[xxiv]
Qui ne se rappelle la scène de l’étuve des forçats dans les
« Souvenirs de la Maison des Morts » de Dostoïevski ? Mais les
directives changent lorsque les Bolcheviks entrevoient qu’ils peuvent
gagner la guerre et asseoir la Révolution mondiale. Michèle assiste au
conditionnement psychologique des prisonniers, à la fermentation de la
propagande, à la réactivation de la dialectique binaire -
fascisme/antifascisme — qui restera à jamais le symbole, le lit de
Procuste de notre servitude.
Car,
chose étrange, et comme pour donner raison à la marche du communisme,
à la Passion selon le bourreau russe répond la Passion selon le
bourreau allemand. Manno, en Albanie, assiste au désarroi italien qui
suit l’armistice. Corti montre l’ancien partenaire de l’Axe,
brutalement ennemi, le mépris des Allemands, longtemps contenu, déchaîné
à l’égard de leurs pitoyables adversaires, leurs crimes de guerre,
la parole bafouée, les officiers italiens systématiquement fusillés,
à Céphalonie, à Corfou, à Porto Limone, la fin sans gloire de
l’occupation italienne dans des Balkans et une Grèce infestés de
partisans et, là aussi, devenus le théâtre d’une haine dévorante.[xxv]
D’ailleurs, le jeune lieutenant russe, qui sauva Michèle lors de la
retraite sur le Don, l’avait compris : « Là où il s’agit de tuer,
les Allemands ne peuvent pas être absents. »[xxvi]
Reviennent alors, pêle-mêle à la mémoire des jeunes gens, les crimes
de guerre sur les prisonniers soviétiques, le massacre des Juifs de
Vorochilovgrad, les considérations d’Ambrogio sur les paroles de Pie
XI qui désignaient, avant la guerre, les antéchrists au sens évangélique
du terme, l’appréhension que ces Allemands invincibles sont bien, eux
aussi, les séides d’une idéologie de terreur et de destruction.
La
terrible histoire recommence comme toujours. Et les pièces de ce puzzle
démoniaque commencent à se mettre en ordre. Michèle voit désormais
la réalité communiste tout entière. « Loger » de femmes,
d’enfants, déportés innocents, condamnés, toute une société
oscillant entre hécatombe, peur, délation, mensonge : la connaissance
toujours plus claire qu’il acquiert de l’expérience lui donne à la
fois l’explication générale du projet communiste - massacrer est le
mécanisme bien huilé de la violence devant accoucher de l’homme neuf
- et la clef pour interpréter l’autre tentative totalitaire du siècle,
le nazisme, frère jumeau concurrent, frère jumeau zélé à la régénération
de la société[xxvii].
L’histoire se dévoile comme une grande leçon. Elle déploie sa
documentation sanglante, et, au-delà des événements, Michèle et
Ambrogio découvrent maintenant sa signification comme à livre ouvert.
La
mort de Manno, à la bataille de Montelungo, un des avant-postes de
Monte Cassino, emporté par son ange gardien - Vous avez bien lu !
Par son ange gardien ! - sonne pour l’Italie comme le chant de la
résurrection. Mais il faut que la haine aille au bout de sa logique et
recouvre tout. Les pages où Corti retrace les épisodes de la Résistance,
au-delà de l’énorme travail de documentation qu’il a fallu à
l’auteur, au-delà de la vision des combats, au-delà des rivalités
entre maquisards royalistes, démocrates, communistes, baignent aussi
dans cette terrible réalité. La roue rouge tourne à toute vitesse. Le
personnage de Praga, en qui Corti voyait la figure moderne du possédé,
montre que les partisans communistes font couler le sang comme de
l’eau.[xxviii]
Tout
est affreusement mêlé, la liesse avec le désespoir, les retrouvailles
avec les massacres, la liberté avec les cachots, et force est de se
demander ce qu’il serait advenu de l’Europe si les Alliés
n’avaient couvert de leur autorité les zones libérées.[xxix] De cela, Corti ne cache
rien. Pendant ce temps, le front allemand craque en Prusse orientale, et
Pierello assiste à des scènes apocalyptiques : viols collectifs,
pendaisons de déserteurs, gamins et vieillards en armes, cohortes de
civils réfugiés, esclaves de la propagande, tirant leurs charrettes,
en fuite sur des routes encombrées, sur des marais gelés, sur des
bandes sableuses vers Königsberg, vers Danzig, vers une hypothétique
protection. La vengeance des hommes chauffe à blanc la tuerie dans un
crescendo épouvantable, que plus rien ne peut briser, qui doit aller
jusqu’au bout de sa course folle, l’anéantissement de l’autre, et
Pierrolo, comme Tiffauges, pourrait citer les paroles de Notre Seigneur
qui semblent résumer toute la misère de ces temps : « Priez pour que
votre fuite n’ait pas lieu en hiver... »[xxx]
La
guerre touche désormais à sa fin. Ambrogio, qui se remet de ses
blessures après avoir frôlé la mort, Pierollo, les rescapés
retrouvent avec soulagement l’Italie, pourtant complètement dévastée.
La vie civile, les émois amoureux, les devoirs d’état, les combats
et les luttes, maintenant politiques, pour la reconstruction du pays au
sein du Comité de Libération Nationale, reprennent leurs droits. Michèle,
lui, revient des camps en septembre 1946, après avoir perfectionné, si
l’on peut dire, son enseignement : drainage vers la Kolyma des peuples
d’Europe orientale « libérés », trains de déportés
roumains où se répètent les scènes de cannibalisme, enfants des républicains
espagnols arrachés à leurs parents et transformés en bêtes,
commissaires politiques - on lira le portrait du commissaire Robotti,
beau-frère de Palmiro Togliatti[xxxi]
- qui nient la réalité pour sauver le messianisme des idées, et,
surtout, découverte des camps nazis d’extermination qui réduit à néant
les accusations « d’arriération russe », commodément avancées
pour minimiser l’ampleur du crime soviétique, et met les deux régimes
à triste égalité.
Il
sait, d’un savoir absolu, que la lutte contre le Mal est au cœur de
la vie du monde. Il nomme maintenant, avec les seuls termes qui leur
conviennent, cette incroyable quincaillerie philosophique des deux
derniers siècles écoulés - tribunal de l’Histoire, lutte des
classes, renversement dialectique, lois scientifiques, prolétariat élu,
Soviets et électricité, révolution permanente, réalisme
socialiste... - et cette affolante galerie de démons qui y ont mijoté
leur cuisine à goût de viscères - Locomotive de l’Histoire, Petit Père
des peuples, Grand Timonier, Lider Maximo, Frère n°1, Génie des
Carpates... Cela restera le plus grand mystère de ce siècle, prétendument
intellectuel, prétendument salvateur, d’avoir cru à tous ces
boniments et d’avoir plié le monde à ces assassins, de ne pas avoir
compris, finalement, que l’amour de la vie était infiniment supérieur
à tout cela.
Eh
oui, chers intellectuels, savants, professeurs, artistes, éducateurs,
vous défilez maintenant devant nous, entonnant à nouveau d’une voix
rouillée votre péan à la gloire de l’homme en construction, nous
savons bien qui vous êtes ! Et nous, Français, qui avions ouvert
le bal, qu’avons-nous à dire de si précieux avec nos charmants
philosophes, à l’instar de notre bon Diderot qui voyait déjà en
Catherine II, ce tyran abominable, " la Sémiramis du Nord " ?
Car
Michèle raconte aux Italiens une histoire qui dérange - le mot de
Pascal, « les hommes ont mépris pour la religion ; ils ont en
haine et peur qu’elle soit vraie », est d’une actualité immuable[xxxii]
et le premier livre qu’il publie en 1947, la tragédie qu’il donne,
quatorze années plus tard[xxxiii], se heurtent au mur de
l’incompréhension, de l’ignorance, de la paresse intellectuelle,
mais, surtout, à la peste des disciples de Gramsci et consorts, à la
conscience sélective et honteuse de la majorité des démocrates chrétiens.
Toutefois, la communauté des saints protège l’Italie, et, sous la
plume du romancier, se succèdent ces lignes étonnantes où la
Providence ne cesse de se manifester : soliloque de Togliatti, élections
du 18 avril 1948, reconstruction enthousiasmante suivie,
malheureusement, de l’instabilité politique, entrée de Rodolfo au séminaire...
Sont
évoqués de même, avec beaucoup d’amertume et de foi, la solitude
littéraire de Michèle, pourtant détenteur d’une expérience ignorée
de la culture italienne, la figure insultée de Pie XII, les temps
douloureux du Concile, l’effondrement de la puissance tutélaire de
l’Eglise, la rapide évolution des moeurs... Autant de pages arrimées
aux desseins inconnus de Dieu. La défaite du Non au référendum sur le
divorce, qui coïncide avec la mort d’Alma, compagne lumineuse, tuée
dans un accident d’automobile par un drogué, échoue à bloquer la
dernière possibilité de résister à la déchristianisation de la société
italienne.
Un
autre temps commence. C’est le nôtre, et son histoire reste à écrire.
Se lèvera-t-il du Frioul, des Marches, de l’Ombrie, de Sicile, le poète
italien qui reprendra la parole ? Mais voilà, le livre est terminé.
Corti, comme il l’avait ardemment souhaité tout au long de sa vie, a
livré le bon combat.
A
nous, catholiques, il donne un livre rare, construit. Un livre où il réaffirme
ce que nous n’aurions jamais dû oublier : que le piège du monde
prend la forme du messianisme, qu’il soit ce marxisme de sinistre mémoire
ou, comme Le Cheval rouge le suggère fortement dans son évocation
des années soixante et du Concile, ce christianisme d’avant-garde,
que l’histoire des hommes est pourtant simple, qu’il s’agit de la
lutte du Bien contre le Mal, que la figure des pasteurs du passé est
indéfectible, que la cité terrestre suppose humilité et patience, que
l’Eglise est un rempart, que la Contre-Réforme fut ouvrage de génie
et, qu’en définitive, la volonté de progrès ne se fait pas contre
la vie présente, mais avec elle et pour elle. Je laisse les lecteurs se
nourrir aux vertus de ce grand livre et y voir la signification chrétienne
de notre époque.
En
le lisant, ils penseront aussi au Tolstoï des années qui
suivirent « Anna Karénine », celui du « Père Serge », du « Faux
coupon », du prince Nekhlioudov, au Tolstoï qui nous avait assurés,
malgré son mépris aveugle des « idoles », que la réforme ne peut être
qu’intérieure et qu’il est du devoir de l’écrivain de se mettre
au service de la compassion évangélique. Ils penseront à Pasternak
qui voyait, depuis la Révolution de 1917, le figuré devenir littéral,
les terreurs devenir terribles. Es penseront à Vassili Grossman, à sa
tristesse, à toutes ces vies brisées, à tous ces témoins silencieux,
à la place si faible de la bonté humaine dans le déroulement des années.
Ils penseront aux textes du Pasolini de la fin, à son regret du «
monde paysan prénational et préindustriel », à son effroi devant la
disparition de « l’âge du pain », à sa peur du nouveau pouvoir.[xxxiv]
Es
penseront à l’Italie d’autrefois magnifiée par Sandro Penna dans Un
peu de fièvre, par Bassani dans L’Odeur du foin. Ils
penseront à Ignazio Silone, ancien membre fondateur du P.C.I., déclarant,
en 1949, à Maurice Nadeau que la seule révolution véritable en Italie
sera à l’exemple de celle de saint François d’Assise. Ils
penseront à Alberto Moravia évoquant à la fin de la guerre la résurrection
de Lazare.[xxxv]
Quelle leçon ! Quelle revanche sur le siècle ! Comme la littérature
est puissante ! « Quel jardinier bizarre est le maître qui’
fait attendre à celui qui plante un arbre qu’il soit mort avant de
laisser mûrir le fruit » ![xxxvi]
Et
peut-être verront-ils, au bout du compte. Le Cheval rouge non
seulement comme un grand livre de littérature, mais encore comme la
part d’honneur catholique que les lettres italiennes offrent à notre
temps.
|
[i]
Alessandio Manzoni (1785-1873). Les lecteurs de Certitudes se doivent de
lire, s’ils ne l’ont déjà fait, Les Fiancés — Histoire
milanaise du XVIIème siècle, véritable classique des lettres
italiennes au XVIIèrne siècle, dont Goethe surveilla la genèse, et
qui fut loué par Balzac et Lamartine à sa parution, en 1842, mais qui
reste encore aujourd’hui trop ignoré de la France. Manzoni porta en
lui ce livre, sous des formes successives, pendant plus de vingt ans et,
en le publiant, il donna au roman historique catholique une profondeur
jusque -à inconnue au temps du Romantisme européen. Le parallèle avec
Eugenio Corti est évident.
[ii]
François Livi. Préface au Cheval rouge. Editions de L’Age
d’Homme.
[iii]
Apocalypse de Jean. Traduction de Bossuet. Je n’ai aucune compétence
pour procéder à une exégèse du texte de l’Apôtre. Je sais
seulement que les quatre cavaliers de couleur de l’Apocalypse
annoncent les fléaux qui s’abattront sur le monde, et que Corti a
suivi la symbolique de Jean en prenant pour image de la guerre, le
cheval rouge, et de la mort, le cheval livide.
[iv]
« Mais je connais - car je les vois et les vis- quelques-unes
des caractéristiques de ce nouveau pouvoir qui n’a pas encore de
visage : par exemple, son refus du vieux sandéfisme et du vieux cléricalisme,
sa décision d’abandonner l’Eglise, sa détermination (couronnée de
succès) de transformer paysans et sous-prolétaires en petits-bougeois,
et, surtout, son ardeur cosmique, à aller jusqu’au bout du "développement"
: produire et consommer. » Pier Paolo Pasolini Le véritable
fascisme et donc le véritable antifascisme 24 juin 1974. Nous
rappellerons, à propos de L’arbre
de vie,
ces textes polémiques de Pasolini, rassemblés par Flammarion dans le
recueil intitulé Ecrits corsaires, concernant ce que le cinéaste
écrivain appelait « la mutation anthropotogrigue des Italiens.
» Il est vrai que le cinéaste écrivain fut, à mon sens, un des plus
prophétiques et perspicaces commentateurs de révolution de la société
et de la politique italiennes à partir des années soixante.
[v]
Après sa conversion à Paris en 1810, conversion brutale et
miraculeuse, le jour même du mariage de Napoléon et de Marie-Louise,
Manzoni fréquenta longuement l’abbé Dègola, prêtre génois lié
aux jansénistes français et qui œuvrait alors à la conversion des
calvinistes, il en restera marqué toute sa vie. Sur l’itinéraire
spirituel de l’écrivain, il faut lire l’admirable préface de
Giovanni Macchia que Gallimard a eu le bon goût de faire figurer en tête
de l’édition de poche du chef-d’œuvre de Manzoni. (Les
Fiancés
Folio classique -n°2527)
[vi]
C’est vrai que Les Fiancés
se terminent bien, que Renzo et Lucia, après bien des errances,
convoleront, et que cette fin heureuse, si souvent soulignée par les
commentateurs, semble abolir les épreuves traversées par les deux
jeunes gens. Je pense toutefois que Les Fiancés,
si l’on accepte de considérer que le livre fut écrit au temps du
Romantisme, c’est-à-dire selon les canons littéraires en vigueur
avant le grand courant réaliste, est un livre beaucoup plus noir que Le
Cheval rouge, car le destin, contre lequel on ne peut se rebeller, y
est tout puissant, et l’acceptation chrétienne et les vertus évangéliques,
bien que très fortement marquées, s’apparentent souvent à certaines
formes du stoïcisme.
[vii]
En Lombardie, au nord de Monza, région formée de collines constituées
par un amphithéâtre morainique.
[viii]
Michèle, « le plus ouvertement autobiographique des personnages du
roman... » François Livi. Dans le tourbillon de l’histoire
Postface au Cheval rouge.
[ix]
Sur la ligne de retraite vers le front mobile allemand qui protège
Kharkov.
[x]
« A quoi rêvait-il,
Verret, devant son alcool ?A la
fingueuse de Baader ?
A la
petite fille du pasteur de Stuttgart à laquelle il faisait réciter
Lamartine ? Aux garçons de la
L.V.F. qu’il avait peut-être désespéré
rejoindre dans les plaines de Poméranie ? »
Jacques Chessex. L’Ogre Merveilleux Prix Concourt 1973
[xi]
« A chaque pas, Tiffauges rencontrait des Jungmannen tués, les uns
intacts et comme endormis, isolément
ou par grappes - et il songeait avec un déchirement à l’hypnodrome
-, d’autres mutilés, déchiquetés, méconnaissables. »
Michel Tournier. Le Roi des Aulnes Prix Goncourt 1970. Livre
sublime, superbement écrit.
[xii]
« Le héros principal est Kaputt. monstre gai et cruel. Aucun mot
mieux que cette dure et quasi mystérieuse expression allemande : "Kaputf
", qui signifie littéralement : brisé, fini, réduit en miettes,
perdu, ne saurait mieux indiquer ce que nous sommes, ce qu’est
l’Europe, dorénavant : un amoncellement de débris. »
Malaparte. Préface de Kaputt
[xiii]
Kaputt,
prolongement littéraire des articles de sa correspondance de guerre,
rassemblés sous le titre La Volga naît en Europe, fut publié
en 1944 à Naples. Il s’agit de la peinture de l’Europe occupée par
les Allemands. En 1949, Malaparte donnera la seconde partie de cette
fresque fabuleuse, La Peau. Cette fois-ci, il s’agit de décrire
l’Europe libérée par les Alliés. Les deux livres, incroyablement
pessimistes et cruels, sont extraordinaires et eurent, à l’époque,
un succès considérable. Mais à cette date, l’écrivain s’éloigne
de son génie.
[xiv]
Malaparte y reçut le maréchal Rommel, peu avant El Alamein, auquel il
fit croire qu’il avait "dessiné le paysage" ! Ironie
de la vie, c’est dans ces mêmes lieux que fut porté à l’écran,
vingt ans plus tard. Le Mépris d’Alberto Moravia.
[xv]
Comme Corti, mobilisé en février 1941 à la caserne du 21ème régiment
d’artillerie à Piacenza. Parole d’un romancier chrétien
Editions de L’Age d’Homme.
[xvi]
Le Sergent dans la neige Editions 10/18 - n°2634. Mario Rigoni
Stern, natif du plateau d’Asiago, à la limite de la Vénétie
et de la province de Trente, est un des écrivains italiens
contemporains les plus admirés aujourd’hui pour la qualité de sa
langue et la force morale qui se dégage de son oeuvre. Les éditions
10/18, Desjonquères, Laffont et La Fosse aux ours ont publié
l’essentiel de son oeuvre. Son autre chef-d’œuvre - Histoire de
Töonle
-, qui relate, en outre, les combats de la Première Guerre mondiale
dans la région du plateau, est une méditation empreinte de détachement
sur la notion moderne de frontière, et d’émotion poétique sur la
destruction de l’ordre traditionnel de la civilisation des
Septs-Communes. Lire l’article chaleureux de Sébastien Lapaque dans
le Figaro littéraire du 27 septembre 2001 L’adieu
aux armes de Mario Rigoni
Stern.
[xvii]
Sur le monument de Dante en préparation à Florence.
[xviii]
Mario Rigoni Stern. Retour sur le Don Editions Desjonquères.
[xix]
Près de 78500 hommes de L’ARMIR mourront ainsi sur les champs de
bataille ou dans les loger soviétiques. Le Cheval rouge (page
510)
[xx]
Vassili Grossman. Vie et Destin Editions L’Age d’Homme. 1980.
François Furet disait qu’il s’agissait « d’un des livres les
plus tristes du siècle. »
[xxi]
Le Cheval rouge (page 117)
[xxii]
« L’aspect des Russes sous Staline, qui ne sortirait plus jamais
de la mémoire d’Ambrogio » (page 134)
[xxiii]
« Mais comment pourrions-nous imaginer ne pas avoir faim ? Le
Lager est la faim : nous sommes nous-mêmes la faim, la faim incarnée. »
Primo Levi Si c’est un homme 1958
[xxiv]
Le Cheval rouge (pages 485 à 513)
[xxviii]
« Je
n’ai pu parvenir qu’à cette conclusion : quand ils n’ont pas été
des parasites inutiles et traîtres, les communistes se sont conduits
avec une barbarie inqualifiable. (...) Tïto lui-même les a abandonnés,
apparemment écœuré, bien que leurs procédés leur soient venus de
lui et des nazis, et qu’ils aient été identiques à ceux qu’il a
utilisés avec tant de cynisme et de succès contre son peuple et les
malheureux soldats italiens qui sont allés se battre pour lui en toute
bonne foi. » Louis de
Bemières La mandoline du capitaine Coreffi.
[xxix]
Comme en France, et exactement pour les mêmes raisons idéologiques,
les exactions de la Résistance communiste - particulièrement dans ce
que l’on appela, en Italie du Nord, Le triangle de la mort -
feront, de la part de l’intelligentsia, notamment en ce qui concerne
les assassinats de prêtres, l’objet d’un silence scandaleux. « Avec
un peu de perspective, on peut affirmer aujourd’hui que ces mois qui
ont suivi la guerre ont été la période la plus honteuse de toute
l’histoire de l’Italie. » Eugenio
Corti. Parole d’un romancier chrétien
[xxx]
Admirablement citée par Michel Toumier dans Le Roi
des Aulnes
[xxxi]
Le Cheval rouge (page 788 à 791)
[xxxii]
Pensées
[xxxiii]
Allusion aux livres de Corti La plupart ne reviennent pas, Les
derniers soldats du Roi, et Procès et mort de Staline, publiés
respectivement en 1947,1951 et 1962.
[xxxiv]
Pier Paolo Pasolini. Etroitesse de l’histoire et immensité du
monde paysan 1974
[xxxv]
La Ciociara
1957
[xxxvi]
Jean-Paul de Dadelsen Jonas
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