Le
dilemme fera bondir n'importe quel curé - un de ces curés que l'on
disait dans le vent, il y a 30 ans et qui aujourd'hui sont des prêtres
un peu éventés... Je les entends d'ici : « Mais justement Dieu, c'est
la liberté ». Et Jean Paul II lui-même, au Bourget, en 1980, ajoutait
pour faire bonne et républicaine mesure : Dieu c'est aussi l'égalité
et la fraternité.
Malheureusement
l'histoire des idées nous apprend tout autre chose. Il y a une mutation
profonde de l'esprit religieux, qui s'amorce au XVIIIème siècle et qui
s'épanouit aujourd'hui. Désormais, Dieu ne doit plus s'imposer à
l'homme comme le roi de son intelligence et le prince de son cœur.
L'image fière, que nous avons voulu placer sur la couverture de ce
numéro, d'un Dieu qui, pour les chrétiens, est avant tout l'Autorité
naturelle ou paternelle, garante de toutes les autorités
circonstancielles et politiques n'est plus guère de saison. La
coïncidence que les anciens repéraient jusque dans l'étymologie des
mots entre la droiture et la supériorité (autour des termes latins
rectitudo/dirigere) est oubliée. L'esprit de Jean Jacques Rousseau
triomphe, et avec lui le mauvais esprit de Fénelon, le Cygne de
Cambrai, précepteur du petit-fils de Louis XIV et qui avait toujours
tendance à soupçonner toute autorité, quelle qu'elle soit.
Historiquement,
le soupçon a été politique avant d'être théologique, il a porté
sur le Roi avant de se fixer sur Dieu, mais finalement la contestation,
qu'elle soit religieuse ou qu'elle soit politique, renvoie bien au même
mouvement de l'intelligence, jalouse de toute préséance et qui
s'inquiète que la supériorité ne cache une forme de méchanceté. Du
méchant roi au méchant Dieu, il n'y a qu'un pas... Vite franchi, comme
nous le montre le cours du temps.
C'est
qu'au fond toute autorité est de nature religieuse ; c'est sans doute
cela que ressentait le jeune Maurras, lorsqu'il évoquait à propos de
l'autorité « la merveille du monde ». L'autorité vraie n'est pas de
ce monde, et c'est pour cela que l'on parle de «hiérarchie», de
pouvoir sacré ou sacerdotal. Tout vrai pouvoir est sacré. S'il n'est
pas sacré, il reflète un rapport de force (comme entre le Maître et
l'esclave de Hegel) et s'inscrit dans une spirale violente... Le
soupçon naît lorsque la sacralité du pouvoir disparaît. Est-ce à
dire que le sacré ne soit que l'illusion utilisée par le pouvoir pour
susciter le respect ? Si l'on suit la démonstration qu'administré ici
René Girard, on est porté à répondre par l'affirmative à cette
question. Les fausses religions naissent toujours d'un appétit de
pouvoir que ce soit celle qui s'adresse aux dieux de la Communauté ou
celle qui implore les dieux du stade et ceux du cinéma. Le
christianisme, religion de la Croix, envisage que toute autorité puisse
être crucifiée. Il subvertit toutes les fausses autorités lorsqu'il
renverse les faux dieux. Non pas pour une utopique anarchie, mais parce
qu'il envisage avec son divin fondateur « que celui qui veut être le
premier parmi vous soit comme celui qui sert ». |