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Le Concile tel qu'en lui-même - Réponse à La Nef sur Vatican II

Abbé G. de Tanoüarn

Nouvelle revue CERTITUDES - juillet-août-septembre 2002 - n°11

Dans son numéro de décembre 2002, La Nef tente une synthèse de Vatican II, qui soit recevable par les traditionalistes. Cet effort de conciliation est courageux mais il ne donnera satisfaction ni aux authentiques conciliaires ni aux traditionalistes conséquents...

D'entrée de jeu, dans ce dossier, l'abbé Denis Le Pivain traite de l'autorité de Vatican II et donc du statut (pastoral ou doctrinal) du concile. Il montre très bien que les deux termes - « pastoral » et « doctrinal » - ne s'opposent pas ; au lieu de les opposer, il se contente donc de fondre ces deux dimensions en une seule, la plus classique, celle de toujours, la dimension doctrinale pure. Il ne lui vient pas à l'idée qu'en faisant cela, il n'est pas fidèle à l'intention de Jean XIII, réaffirmée par le pape Paul VI juste après la fin du concile. Il ne lui vient pas à l'idée qu'avec Vatican II, on se trouve en face d'une nouvelle exposition ou d'une nouvelle expression de la foi, ni dogmatique ni purement pragmatique, mais plutôt comme le réaffirmera le pape Roncalli à plusieurs reprises, avant et pendant le concile, en quête de nouvelles formes, adaptées à cette deuxième moitié du XXe siècle. Jamais un tel mot d'ordre n'avait été donné à aucun concile. Si le pape Paul VI a tenu à réaffirmer en 1966 la fidélité du concile à la ligne pastorale que lui avait tracée Jean XXIII, c'est bien parce que dans ce concile toute la doctrine est pastorale et toute la pastorale induit une doctrine cohérente. On n'est pas fidèle à l'intention du concile si l'on se contente d'utiliser des instruments d'analyse largement dépassés, en ramenant l'enseignement des Pères au magistère ordinaire de l'Eglise ainsi que le fait l'abbé Le Pivain. Pour peu que l'on accepte de faire un effort pour concevoir Vatican II tel qu'en lui-même (et non pas seulement tel qu'on aimerait qu'il ait été), il faut bien réfléchir sur ce que Jean Madiran nomme son intention fondamentale, son intention objective, exprimée par Jean XIII dans le célèbre discours d'ouverture et dont nous rappelons ici les termes : « Autre est le dépôt de la foi et autre la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d'importance à cette forme et travailler patiemment à son élaboration. On devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement surtout pastoral ».

L'abbé Le Pivain fait l'option doctrinale

Au témoignage du cardinal Congar, l'un des meilleurs interprètes de la pensée du pape Roncalli sur ce point reste le Père Chenu. Il ne s'agit pas - explique l'ex-régent du Saulchoir - de séparer officiellement la doctrine et la pratique comme les libéraux du temps de Léon XIII séparaient la thèse (doctrinale) et l'hypothèse (conditionnée par les circonstances concrètes). Il faut imaginer au contraire que grâce au regard pastoral que nous portons sur l'expérience chrétienne des fidèles aujourd'hui, « la pratique devient pour une mesure source de doctrine ». Sous la plume du Père Chenu, la pastorale n'est pas une dimension qui excluerait la doctrine dans un pragmatisme pur, mais au contraire une manière d'intégrer la doctrine à la prédication quotidienne, en l'enrichissant des enseignements concrets que nous trouvons dans la vie même de l'Eglise. L'abbé Le Pivain ne voit pas ce « genre littéraire » particulier dans lequel s'inscrit la démarche doctrinale de Vatican II ; sa fidélité proclamée s'en ressentira nécessairement à un moment ou à un autre. Il ne perçoit pas ce que l'esprit de ce concile recèle de spécifique.

Certains lecteurs ont sans doute du mal à suivre ces explications. Je voudrais, pour leur permettre d'accéder à la compréhension de ce qu'il y a de plus spécifique dans ce concile, proposer une comparaison tirée du marxisme. On ne peut pas dire que les ouvrages classiques de Lénine, L'Etat et la révolution ou Matérialisme et empiriocriticisme par exemple, soient des ouvrages de pragmatique pure. Ils recèlent une doctrine. Mais cette doctrine se formule comme une praxis adaptée au stade historique où se trouve la lutte prolétarienne. L'idée de pastorale pourrait être comme l'équivalent chrétien de la praxis léniniste. Il s'agit de comprendre comment les circonstances concrètes de la vie de l'Eglise deviennent une source de réflexion qui induit de nouvelles formulations du dogme chrétien, comme l'expliquait Jean XXIII. A sa suite les pères conciliaires ont élaboré une doctrine qui se veut pastorale ; et ils se sont laissé guider par cette intention pastorale qui induit des formes doctrinales, des concepts nouveaux et un vocabulaire en rupture de scolastique.

Notre constat initial: Vatican II comporte une doctrine, n'est donc pas un jugement si simple à poser. Il faut en même temps concevoir qu'il s'agit d'une doctrine d'un genre nouveau, qui est une doctrine pastorale. Réduire cette doctrine à n'être que l'expression du magistère ordinaire de l'Eglise, cela semble une infidélité à l'intention spécifique de ce concile, telle qu'elle est exprimée par Jean XXIII et maintenue par Paul VI.

Le critère ultime de cette praxis chrétienne est l'efficacité

Le but de cette doctrine en effet n'est pas uniquement d'exprimer la vérité catholique ; cette doctrine pastorale entend fournir les moyens d'un exposé efficace de la foi. Le critère ultime de cette praxis chrétienne qu'est la pastorale n'est pas la vérité mais l'efficacité. L'abbé Le Pivain le pressent vraisemblablement puisqu'il cite ce mot d'ordre de Jean XXIII, toujours dans le discours d'ouverture : « Ce qui est très important pour le concile oecuménique, c'est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté de manière plus efficace. » Notons le contraste qu'établit déjà le bon pape Jean, avant même que les travaux aient commencé, entre l'avant concile « moins efficace » et l'après concile qui sera « plus efficace » dans la présentation du dépôt sacré de la doctrine chrétienne.

L'efficacité pastorale est devenue un impératif essentiel, à côté de la vérité de la doctrine. Très rapidement, et comme pour se donner les moyens de cette pastorale nouvelle, Vatican II réfléchira à une nouvelle forme de magistère, qui intègrerait ce critère de l'efficacité ajouté par Jean XXIII. C'est ce que l'on nomme aujourd'hui le « magistère authentique », il est présenté au paragraphe 25 de Lumen gentium : magistère de « rayonnement », d'« illustration », on doit y adhérer par « un hommage religieux de notre esprit » et une « adhésion sincère », non comme à un message infaillible mais comme à la prédication d'un successeur de Pierre ou simplement d'un successeur des apôtres. Le critère de l'adhésion est le respect dont on entoure ces personnages sacrés et non le contenu objectif du dépôt de la foi. Pastoral d'abord!

L'erreur de méthode de l'abbé Le Pivain est patente : il "oublie" la nouvelle dimension pastorale, induite par Vatican II et il transforme le texte du Concile en un texte doctrinal, au sens pur et traditionnel du terme. Ce faisant, il est infidèle à l'intention fondamentale du Concile. Je vais maintenant proposer au lecteur de Certitudes quelques exemples de l'exégèse déficiente des textes de Vatican II, dans ce même numéro de La Nef. Ces erreurs de lecture ne sont pas forcément concertées, mais elles reposent toutes sur l'idée qu'il existe dans le texte de Vatican II un plan doctrinal, ayant valeur dogmatique et qui donc doit se réduire à la doctrine catholique traditionnelle ou bien annoncer une nouvelle doctrine catholique désormais obligatoire pour tous les fidèles. Cet essai de la Nef est courageux, pétri de bonnes intentions, mais il ne parvient pas à s'établir dans ce qui fait l'originalité du dernier concile, cette doctrine pastorale, cette pastorale doctrinale que l'on doit nommer une praxis. Son principal défaut ? Un terrible manque de souplesse!

Souple, nous le serons peut-être trop quant à nous, sautant d'un texte à l'autre, sans prétendre du tout à une critique exhaustive.

L'abbé Loiseau traditionaliste malgré lui ?

Soulignons tout d'abord une erreur de fait, et qui n'est pas sans conséquences, dans le texte de l'abbé Fabrice Loiseau (que je salue au passage). Plusieurs théologiens, dit l'abbé, nous fabriquent une Eglise au service du Royaume, qui serait plus large (ce royaume) que l'Eglise elle-même. Ainsi l'Eglise catholique ne pourrait pas se prendre elle-même pour fin, elle ne pourrait prétendre d'après eux à s'absolutiser comme médiation . Très belle défense de la saine doctrine, M. l'abbé ! L'Eglise doit pouvoir s'absolutiser comme médiation, sous l'unique Médiateur qui est le Christ. Malheureusement, piètre apologie pour un concile qui tient justement le discours que vous reprochez à « plusieurs théologiens ». Reportez-vous à la déclaration finale de notre symposium [dans le même numéro - NOTE DU WEBMASTER], pour les références. Quant à vous, je constate que vous avez eu du mal à fournir des références tirées du concile lui-même, c'est compréhensible, il n'y en a pas! Alors vous citez (sans guillemets)  Dominus Jesus, un document signé par le cardinal Ratzinger en l'an 2000, sur l'unité et l'unicité de l'Eglise catholique. Vous faites dire à Son Eminence : « L'Eglise est identique au Royaume, elle est l'incarnation de la communion des saints ici-bas.  »

Diable de théologie antéconciliaire, guère ratzinguérienne sur le fond. Je m'étonne donc et, sur cette indication non référencée, je me rends au texte auquel vous faites allusion. Il dit exactement l'inverse de ce que vous lui faites dire : « Affirmer l'union inséparable entre l'Eglise et le Royaume, écrit le cardinal Ratzinger au n'19, ne signifie pas que le Royaume de Dieu - même considéré dans sa phase historique - s'identifie avec l'Eglise dans sa réalité visible ». Le cardinal dira-t-il que le Royaume est identique à l'Eglise dans ses limites invisibles ? Point du tout. L'identité que vous posez de manière fort catholique entre l'Eglise et le Royaume est explicitement niée par le cardinal, qui préfère parler (ce n'est pas la même chose) d'une « union inséparable ». Quelle est la nature de cette union inséparable entre l'Eglise et le Royaume ? Le Préfet du Saint Office répond dans le même texte : « L'Eglise est le signe et l'instrument du Royaume, appelée à l'annoncer, à l'instaurer ». Le rapport entre l'Eglise et le Royaume n'est pas ici un rapport d'identité mais un rapport de moyen à fin.

Mais M. l'abbé, n'est-ce pas justement ce rapport de moyen à fin dont vous imputiez la responsabilité à « plusieurs théologiens ». Eh! bien, parmi ces théologiens, il y a le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, et vous le surprenez là dans l'exercice de ses fonctions. Ce qui est sûr, c'est qu'il interprète Vatican II dans le même sens que le fait notre déclaration finale... Peut-être simplement parce qu'il a participé à la rédaction du Concile, parce qu'il l'a lu et relu, parce qu'il s'estime chargé de le mettre en oeuvre, sans préjugés.

M. l'abbé, votre doctrine, sur l'Eglise et sur le Royaume, est magnifiquement catholique. J'ai le regret de vous dire qu'elle n'est pas fidèle au concile Vatican II, que vous prétendez illustrer et défendre...

Une théologie des religions est-elle possible?

Je vous trouve tout aussi peu conciliaire dans l'appréciation que vous portez sur le dialogue interreligieux, et je me permets de vous renvoyer pour cela au livre collectif Nous formons un seul corps, où se trouve transcrit le débat que j'ai eu sur ce point avec le Père Bonino et le Père Lelong. Vous dites qu'il faut savoir porter « un regard chrétien sur cette réalité sociale, historique, anthropologique qu'est la religion ». 

A la bonne heure ! Bannissons les préjugés! comme vous le dites vous-même, sachons regarder en face ces fausses religions, en toute objectivité. Ce que nous contestons, ce n'est pas la nécessité de ce regard chrétien, c'est qu'il soit possible de porter (sans pétition de principe) un regard théologique sur les autres religions. parce que la dimension religieuse de l'homme à laquelle vous faites allusion n'est pas forcément une dimension actuellement surnaturelle. Il me semble absurde d'intégrer toutes les religions du monde dans un système théologique de vérités plus ou moins complètes, car les vérités auxquelles ces religions ont accès sont des vérités d'ordre naturel, qui n'exigent aucune révélation surnaturelle. Faites la différence entre un « regard chrétien » et une intégrale théologique, tenez-vous à l'intégrale théologico-spéculative, n'essayez jamais de violer la conscience d'un croyant en tentant de le convertir à votre croyance personnelle, mais au contraire apprenez-lui à connaître sa religion, pour que se libèrent les semences du Verbe qui sont en lui, et là vous serez devenu authentiquement conciliaire. Mais à ce moment-là, serez-vous encore catholique ? pas dans votre pratique en tout as, le secret des coeurs appartenant à Dieu seul.

 

L'abbé Christian Gouyaud, que je n'ai pas vu depuis le séminaire d'Ecône, me semble beaucoup plus conséquent dans son adhésion au concile. Elle est totale. Elle est sans réticence, hélas ! Réfléchissant sur l'oecuménisme, il note le glissement entre l'ancienne et la nouvelle théologie avec beaucoup d'objectivité, comme nous l'avons noté (et déploré nous-mêmes durant notre symposium) : « Si le concile ne développe pas la doctrine de Pie XII sur l'appartenance invisible (in voto) à l'Eglise des personnes qui ne sont pas en lien concret avec l'institution ecclésiale, c est sans doute pour les trois raisons suivantes : dépasser une vision jugée trop extérieure et juridique de l'Eglise société; situer la nécessité de l'Eglise moins du côté de l'appartenance du sujet (cause matérielle) que de l'exercice impérieux de la mission salvifique (cause efficiente) ; éviter l'annexionnisme" des "catholiques malgré eux" m. Pas d'écho de la doctrine de Pie XII sur l'appartenance implicite à l'Eglise. Par quoi se trouve-t-elle remplacée ? Je cite: « Au concept d'appartenance implicite déjà évoqué se substitue celui de communion, qui semble désigner de manière plus adéquate le lien à l'Eglise sacrement. »

Je crois qu'il est nécessaire de donner quelques explications au lecteur qui ne serait pas spécialiste de théologie. L'abbé Gouyaud explique très bien le passage de l'avant-concile à l'après-concile en matière d'oecuménisme. Avant le concile, Pie XII pouvait parler, dans Mystici corporis, d'une appartenance implicite à l'Eglise de toutes les âmes sauvées en dehors du périmètre visible de cette Eglise. Après le concile, cette théorie n'est plus tenable, parce que la notion même d'appartenance explicite à l'Eglise est mise de côté, au moins par les experts et théologiens qui ont rédigé les textes soumis à l'approbation des Pères (voir ici même : Le concile au jour le jour, 16 octobre 1963).

L'abbé Gouyaud : en pleine communion avec la nouvelle doctrine pastorale

L'abbé explique dans son jargon qu'il importe désormais de « situer la nécessité de l1glise moins du côté de l'appartenance du sujet que de l'exercice impérieux de la mission salvifique », c'est-à-dire du côté d'un salut automatique conféré par l'Eglise « moyen universel de salut ». Plus besoin d'appartenir implicitement ! Plus besoin d'appartenir explicitement ! Universellement, l'Eglise vous sauve, sans que vous ayez eu le temps de lui dire : « Je te veux. » On peut après cela appeler vertueusement à « éviter l'annexionnisme » et à ne pas faire des « chrétiens malgré eux ». Qu'on le reconnaisse ou qu'on ne le reconnaisse pas, il y a dans ce souci de promouvoir la non-appartenance au nom de l'exercice impérieux de la mission salvifique une forte dose d'annexionnisme.

Mais me direz-vous, ce n'est pas un prêtre d'Ecône qui tient ce discours, c'est un prêtre conciliaire. Eh oui ! Tout est là... Le concile a dit, et il faut bien que ceux qui font profession urbi et orbi d'obéir au concile en viennent à respecter ses décrets! L'abbé Gouyaud fait un merveilleux effort théologique, qui devrait être davantage reconnu, et par Rome et par ses supérieurs... Il a bel et bien abandonné les oripeaux de la théologie traditionnelle. Ecoutez-le encore : « Du plan subjectif des personnes, on passe au plan objectif des moyens. » Le bon apôtre ! Ces quelques mots achèvent de le dévoiler. Il met au crédit de Vatican II l'objectivité! Il n'a que mépris pour « la subjectivité des personnes ». Mais enfin qu'est-ce donc que le salut, sinon une histoire de personnes! Qu'est-ce que le salut, sinon cette mystérieuse et terrible préférence de Dieu, «qui nous a aimé le premier » et qui exige d'être aimé par-dessus tout. Tout cela est démodé et l'abbé Gouyaud nous écarte résolument de cette perspective (jugée sans doute « subjective » c'est-à-dire sentimentale). Situons-nous enfin dans l'objectivité des moyens, nous demande-t-il. Oui, encore une fois, foin de l'appartenance subjective (simple cause matérielle qu'il faut donc « moins » regarder) ! Sachons faire les comptes, en hommes efficaces. Quels sont les biens qui nous sont communs avec les juifs, avec les protestants, avec les musulmans ? Formons cette grande communion humaniste, qui se fonde sur les biens qui, objectivement, nous sont communs : les juifs ont l'alliance (c'est la théorie du cardinal Lustiger) ; les protestants ont l'Ecriture ; les musulmans ont la foi dans le Dieu d'Abraham. Peu importe la manière dont les diverses religions enseignent l'usage de ces biens communs. Nous attarder à cette considération serait encore croupir dans le subjectivisme «valeureusement» dénoncé par l'abbé tout à l'heure. SOYONS OBJECTIFS, soyons bourgeois, sachons compter, ne considérons que les biens qui nous sont communs : quelle foule cela génère! Les masses qui ont déserté les églises, on les retrouve dans ce merveilleux schéma compensatoire ! Quel baume ! Oui, c'est la « consolation de la théologie », comme dirait Boèce en regardant mourir l'empire romain.

« La valeur salvatrice des communautés non chrétiennes indique leur participation réelle à l'Eglise catholique »

Une objection vient à l'esprit immédiatement : le Christ n'a fondé qu'une seule Eglise, cela est de foi. Mais cette théorie de la communication dans les biens communs ne signifie-t-elle pas qu'il y a plusieurs Eglises ?

- Bien sûr que non, répond l'abbé. Il n'y a qu'une Eglise. Elle est le moyen universel de salut ; et pourtant les autres religions « ne sont pas dépourvues de valeurs dans le mystère du salut », ajoute encore l'abbé, répétant Gaudium et spes. Comment comprendre cela ? Eh bien! C'est que les moyens peuvent faire nombre sans problème. Il y a un moyen universel et des systèmes D qui s'additionnent, tout cela s'enchaîne merveilleusement.

- Mais comment comprendre la valeur salvatrice des communautés non-chrétiennes, s'il n'existe qu'une seule Eglise ? insiste Jean Bouche d'Or. L'abbé ne se laisse pas démonter par cette objection qu'il écarte d'un revers de main : « La valeur salvatrice de ces communautés vient de leur participation à l'Eglise catholique. »

Vous avez bien compris ? Je récapitule : Il faut abandonner la vision trop subjective d'une appartenance purement personnelle à l'Eglise. L'Eglise n'est qu'un moyen. A côté d'elle, on trouve de nombreux biens « salutaires et par conséquent salvifiques ». Elle est le moyen universel du salut. Les autres communautés participent réellement de sa médiation par les biens qu'ils conservent (l'alliance, la Bible, les sacrements, la foi, l'honnêteté, que sais-je ?). Et voilà en un tour de main, l'Eglise grosse de toutes les communautés, Eglise d'Eglises comme disait le Père Tilliard, ou Eglises de communautés diverses, dont les fois sont plurielles mais dont certains biens sont communs. Et puis comme il faut éviter vertueusement l'annexionnisme et qu'il paraît patent en cette occurrence, on ajoutera, avec Jean Paul II dans Ut unum sint, que ce ne sont pas ces communautés qui s'agrègent mystérieusement à l'Eglise catholique mais qu'« il y a présence active de l'Eglise du Christ » dans ces autres communautés.

Quelle belle synthèse de la religion de Vatican II. Voyez, M. l'abbé Loiseau, combien vous avez été inconséquent tout à l'heure de prôner l'identité entre l'Eglise catholique et le Royaume. Qu'est-ce que le Royaume, sinon la magnifique perspective que nous ouvre le concile Vatican II sur une religion universelle, où toutes les communautés possèdent des biens en commun, se respectent donc et ne cherchent pas le moins du monde à se convertir mutuellement. Les catholiques eux-mêmes ont résolument mis au placard des vieilleries cet oecuménisme du retour qu'ils avaient pratiqué trop longtemps dans le passé. Ils se sont proposés pour établir le recensement de la planète, en prêtant attention à tout ce qui peut rassembler les hommes entre eux et en bannissant la considération de ce qui les divise, selon la géniale intuition du pape Jean XXIII. Dans les sommets interreligieux les plus vastes, comme à Assise, ce sont les catholiques qui rédigent les invitations. Ils appellent cette fonction de secrétariat la médiation universelle de l'Eglise. Après tout, ils ont tant abandonné de leur vieille religion que la planète reconnaissante leur doit bien cette petite compensation.

Non, Christophe, Vatican II n'est pas un mythe

Christophe Geffroy, avec lequel j'aime tellement discuter, s'étonne sans doute que je ne fasse pas davantage écho à sa propre manière de voir. Dans ce dossier de La Nef, il est l'amphitryon. Laïc peut-être mais seigneur donc et maître du lieu... et libre d'y inviter qui il veut.

Je me permets, cher Christophe, une petite remarque sur votre propre contribution dans ce dossier, excellente presque en tous points dans sa dénonciation de la réception progressiste de Vatican II. Mais vous commenciez bien mal pourtant. Ne sachant plus où donner de la tête, face aux divagations conciliaires des clercs et des laïcs que vous avez recensés, en ce quarantième anniversaire, vous vous demandiez, dès les premières lignes, si le concile n'est pas « un mythe où chacun puise ce qu'il veut bien y trouver ». Soyez plus respectueux, cher Christophe, la doctrine de Vatican II n'est pas un mythe mais une réalité, qu'il faut apprendre à connaître. Demandez à l'abbé Gouyaud qu'il vous éclaire sur le sens authentique du « Saint Synode » des experts et théologiens. Vous serez sans doute moins surpris de ce que peuvent en écrire vos confrères de La Croix ou de La Vie. Et peut-être, si le coeur vous en dit, une fois éclairé sur la religion de Vatican II, instruit du péril conciliaire, détestant la perspective qu'il nous dévoile, prendrez-vous le maquis avec nous ? Peut-être entrerez-vous en résistance ?