D'entrée
de jeu, dans ce dossier, l'abbé Denis Le Pivain traite de l'autorité
de Vatican II et donc du statut (pastoral ou doctrinal) du concile. Il
montre très bien que les deux termes - « pastoral
»
et « doctrinal
»
- ne s'opposent pas ; au lieu de les opposer, il se contente donc de
fondre ces deux dimensions en une seule, la plus classique, celle de
toujours, la dimension doctrinale pure.
Il ne lui vient pas à l'idée qu'en faisant cela, il n'est pas fidèle
à l'intention de Jean XIII, réaffirmée par le pape Paul VI juste après
la fin du concile. Il ne lui vient pas à l'idée qu'avec Vatican II, on
se trouve en face d'une nouvelle exposition ou d'une nouvelle expression
de la foi, ni dogmatique ni purement pragmatique, mais plutôt comme le
réaffirmera le pape Roncalli à plusieurs reprises, avant et pendant le
concile, en quête de nouvelles formes, adaptées à cette deuxième
moitié du XXe siècle. Jamais un tel mot d'ordre n'avait été donné
à aucun concile. Si le pape Paul VI a tenu à réaffirmer en 1966 la
fidélité du concile à la ligne pastorale que lui avait tracée Jean
XXIII, c'est bien parce que dans ce concile toute la doctrine est
pastorale et toute la pastorale induit une doctrine cohérente. On n'est
pas fidèle à l'intention du concile si l'on se contente d'utiliser des
instruments d'analyse largement dépassés, en ramenant l'enseignement
des Pères au magistère ordinaire de l'Eglise ainsi que le fait l'abbé
Le Pivain.
Pour peu que l'on accepte de faire un effort pour concevoir Vatican II
tel qu'en lui-même (et non pas seulement tel qu'on aimerait qu'il ait
été), il faut bien réfléchir sur ce que Jean Madiran nomme son
intention fondamentale, son intention objective, exprimée par Jean XIII
dans le célèbre discours d'ouverture et dont nous rappelons ici les
termes : « Autre est le dépôt de la foi et autre la forme sous
laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le
même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d'importance
à cette forme et travailler patiemment à son élaboration. On devra
recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un
enseignement surtout pastoral ».
L'abbé
Le Pivain fait l'option doctrinale
Au
témoignage du cardinal Congar, l'un des meilleurs interprètes de la
pensée du pape Roncalli sur ce point reste
le Père Chenu. Il ne s'agit pas - explique l'ex-régent du Saulchoir -
de séparer officiellement la doctrine et la pratique comme les libéraux
du temps de Léon XIII séparaient la thèse (doctrinale) et l'hypothèse
(conditionnée par les circonstances concrètes). Il faut imaginer au
contraire que grâce au regard pastoral que nous portons sur l'expérience
chrétienne des fidèles aujourd'hui, « la pratique devient pour une
mesure source de doctrine ». Sous la plume du Père Chenu, la pastorale
n'est pas une dimension qui excluerait la doctrine dans un pragmatisme
pur, mais au contraire une manière d'intégrer la doctrine à la prédication
quotidienne, en l'enrichissant des enseignements concrets que nous
trouvons dans la vie même de l'Eglise. L'abbé Le Pivain ne voit pas ce
« genre littéraire » particulier dans lequel s'inscrit la démarche
doctrinale de Vatican II ; sa fidélité proclamée s'en ressentira nécessairement
à un moment ou à un autre. Il ne perçoit pas ce que l'esprit de ce
concile recèle de spécifique.
Certains
lecteurs ont sans doute du mal à suivre ces explications. Je voudrais,
pour leur permettre d'accéder à la compréhension de ce qu'il y a de
plus spécifique dans ce concile, proposer une comparaison tirée du
marxisme. On ne peut pas dire que les ouvrages classiques de Lénine, L'Etat
et la révolution ou Matérialisme et empiriocriticisme par
exemple, soient des ouvrages de pragmatique pure. Ils recèlent une
doctrine. Mais cette doctrine se formule comme une praxis adaptée au
stade historique où se trouve la lutte prolétarienne. L'idée de
pastorale pourrait être comme l'équivalent chrétien de la praxis léniniste.
Il s'agit de comprendre comment les circonstances concrètes de la vie
de l'Eglise deviennent une source de réflexion qui induit de nouvelles
formulations du dogme chrétien, comme l'expliquait Jean XXIII. A sa
suite les pères conciliaires ont élaboré une doctrine qui se veut
pastorale ; et ils se sont laissé guider par cette intention pastorale
qui induit des formes doctrinales, des concepts nouveaux et un
vocabulaire en rupture de scolastique.
Notre
constat initial: Vatican II comporte une doctrine, n'est donc pas
un jugement si simple à poser. Il faut en même temps concevoir qu'il
s'agit d'une doctrine d'un genre nouveau, qui est une doctrine
pastorale. Réduire cette doctrine à n'être que l'expression du magistère
ordinaire de l'Eglise, cela semble une infidélité à l'intention spécifique
de ce concile, telle qu'elle est exprimée par Jean XXIII et maintenue
par Paul VI.
Le
critère ultime de cette praxis chrétienne est l'efficacité
Le
but de cette doctrine en effet n'est pas uniquement d'exprimer la vérité
catholique ; cette doctrine pastorale entend fournir les moyens d'un
exposé efficace de la foi. Le critère ultime de cette praxis chrétienne
qu'est la pastorale n'est pas la vérité mais l'efficacité. L'abbé Le
Pivain le pressent vraisemblablement puisqu'il cite ce mot d'ordre de
Jean XXIII, toujours dans le discours d'ouverture : « Ce qui est très
important pour le concile oecuménique, c'est que le dépôt sacré de
la doctrine chrétienne soit conservé et présenté de manière plus
efficace. » Notons le contraste qu'établit déjà le bon pape Jean,
avant même que les travaux aient commencé, entre l'avant concile «
moins efficace » et l'après concile qui sera « plus efficace » dans
la présentation du dépôt sacré de la doctrine chrétienne.
L'efficacité
pastorale est devenue un impératif essentiel, à côté de la vérité
de la doctrine. Très rapidement, et comme pour se donner les moyens de
cette pastorale nouvelle, Vatican II réfléchira à une nouvelle forme
de magistère, qui intègrerait ce critère de l'efficacité ajouté par
Jean XXIII. C'est ce que l'on nomme aujourd'hui le « magistère
authentique », il est présenté au paragraphe 25 de Lumen gentium
: magistère de « rayonnement », d'« illustration », on doit y adhérer
par « un hommage religieux de notre esprit » et une « adhésion sincère
», non comme à un message infaillible mais comme à la prédication
d'un successeur de Pierre ou simplement d'un successeur des apôtres. Le
critère de l'adhésion est le respect dont on entoure ces personnages
sacrés et non le contenu objectif du dépôt de la foi. Pastoral
d'abord!
L'erreur
de méthode de l'abbé Le Pivain est patente : il "oublie" la
nouvelle dimension pastorale, induite par Vatican II et il transforme le
texte du Concile en un texte doctrinal, au sens pur et traditionnel du
terme. Ce faisant, il est infidèle à l'intention fondamentale du
Concile. Je vais maintenant proposer au lecteur de Certitudes quelques
exemples de l'exégèse
déficiente
des textes de Vatican II, dans ce même numéro de La Nef. Ces erreurs
de lecture ne sont pas forcément concertées, mais elles reposent
toutes sur l'idée qu'il existe dans le texte de Vatican II un plan
doctrinal, ayant valeur dogmatique et qui donc doit se réduire à la
doctrine catholique traditionnelle ou bien annoncer une nouvelle
doctrine catholique désormais obligatoire pour tous les fidèles. Cet
essai de la Nef est courageux, pétri de bonnes intentions, mais il ne
parvient pas à s'établir dans ce qui fait l'originalité du dernier
concile, cette doctrine pastorale, cette pastorale doctrinale que l'on
doit nommer une praxis. Son principal défaut ? Un terrible manque de
souplesse!
Souple,
nous le serons peut-être trop quant à nous, sautant d'un texte à
l'autre, sans prétendre du tout à une critique exhaustive.
L'abbé
Loiseau traditionaliste malgré lui ?
Soulignons
tout d'abord une erreur de fait, et qui n'est pas sans conséquences,
dans le texte de l'abbé Fabrice Loiseau (que je salue au passage). Plusieurs
théologiens, dit l'abbé, nous fabriquent une Eglise au service du
Royaume, qui serait plus large (ce royaume) que l'Eglise elle-même.
Ainsi l'Eglise catholique ne pourrait pas se prendre elle-même pour
fin, elle ne pourrait prétendre d'après eux à s'absolutiser comme médiation
. Très belle défense de la saine doctrine, M. l'abbé ! L'Eglise doit
pouvoir s'absolutiser comme médiation, sous l'unique Médiateur qui est
le Christ. Malheureusement, piètre apologie pour un concile qui tient
justement le discours que vous reprochez à « plusieurs théologiens
».
Reportez-vous à la déclaration finale de notre symposium [dans
le même numéro - NOTE DU WEBMASTER],
pour les références. Quant à vous, je constate que vous avez eu du
mal à fournir des références tirées du concile lui-même, c'est
compréhensible, il n'y en a pas! Alors vous citez (sans
guillemets) Dominus Jesus, un document signé par le
cardinal Ratzinger en l'an 2000, sur l'unité et l'unicité de l'Eglise
catholique. Vous faites dire à Son Eminence : « L'Eglise est identique
au Royaume, elle est l'incarnation de la communion des saints
ici-bas.
»
Diable
de théologie antéconciliaire, guère ratzinguérienne sur le fond. Je
m'étonne donc et, sur cette indication non
référencée, je me rends au texte auquel vous faites allusion. Il dit
exactement l'inverse de ce que vous lui faites dire : « Affirmer
l'union inséparable entre l'Eglise et le Royaume, écrit le cardinal
Ratzinger au n'19, ne signifie pas que le Royaume de Dieu - même considéré
dans sa phase historique - s'identifie avec l'Eglise dans sa réalité
visible ». Le cardinal dira-t-il que le Royaume est identique à
l'Eglise dans ses limites invisibles ? Point du tout. L'identité que
vous posez de manière fort catholique entre l'Eglise et le Royaume est
explicitement niée par le cardinal, qui préfère parler (ce n'est pas
la même chose) d'une « union inséparable ». Quelle est la nature de
cette union inséparable entre l'Eglise et le Royaume ? Le Préfet du
Saint Office répond dans le même texte : « L'Eglise est le signe et
l'instrument du Royaume, appelée à l'annoncer, à l'instaurer ». Le
rapport entre l'Eglise et le Royaume n'est pas ici un rapport d'identité
mais un rapport de moyen à fin.
Mais
M. l'abbé, n'est-ce pas justement ce rapport de moyen à fin dont vous
imputiez la responsabilité à « plusieurs théologiens ». Eh! bien,
parmi ces théologiens, il y a le préfet de la Congrégation pour
la Doctrine de la foi, et vous le surprenez là dans l'exercice de ses
fonctions. Ce qui est sûr, c'est qu'il interprète Vatican II dans le même
sens que le fait notre déclaration finale... Peut-être simplement
parce qu'il a participé à la rédaction du Concile, parce qu'il l'a lu
et relu, parce qu'il s'estime chargé de le mettre en oeuvre, sans préjugés.
M.
l'abbé, votre doctrine, sur l'Eglise et sur le Royaume, est
magnifiquement catholique. J'ai le regret de vous dire qu'elle n'est pas
fidèle au concile Vatican II, que vous prétendez illustrer et défendre...
Une
théologie des religions est-elle possible?
Je
vous trouve tout aussi peu conciliaire dans l'appréciation que vous
portez sur le dialogue interreligieux, et je me permets de vous renvoyer
pour cela au livre collectif Nous formons un seul corps, où se
trouve transcrit le débat que j'ai eu sur ce point avec le Père Bonino
et le Père Lelong. Vous dites qu'il faut savoir porter « un regard chrétien
sur cette réalité sociale, historique, anthropologique qu'est la
religion ».
A
la bonne heure !
Bannissons les préjugés! comme vous le dites vous-même, sachons
regarder en face ces fausses religions, en toute objectivité. Ce que
nous contestons, ce n'est pas la nécessité de ce regard chrétien,
c'est qu'il soit possible de porter (sans pétition de principe) un
regard théologique sur les autres religions. parce que la dimension
religieuse de l'homme à laquelle vous faites allusion n'est pas forcément
une dimension actuellement surnaturelle. Il me semble absurde d'intégrer
toutes les religions du monde dans un système théologique de vérités
plus ou moins complètes, car les vérités auxquelles ces religions ont
accès sont des vérités d'ordre naturel, qui n'exigent aucune révélation
surnaturelle. Faites la différence entre un « regard chrétien » et
une intégrale théologique, tenez-vous à l'intégrale théologico-spéculative,
n'essayez jamais de violer la conscience d'un croyant en tentant de le
convertir à votre croyance personnelle, mais au contraire apprenez-lui
à connaître sa religion, pour que se libèrent les semences du Verbe
qui sont en lui, et là vous serez devenu authentiquement conciliaire.
Mais à ce moment-là, serez-vous encore catholique ? pas dans
votre pratique en tout as, le secret des coeurs appartenant à Dieu
seul.
L'abbé
Christian Gouyaud, que je n'ai pas vu depuis le séminaire d'Ecône, me
semble beaucoup plus conséquent dans son adhésion au concile. Elle est
totale. Elle est sans réticence, hélas ! Réfléchissant sur l'oecuménisme,
il note le glissement entre l'ancienne et la nouvelle théologie avec
beaucoup d'objectivité, comme nous l'avons noté (et déploré nous-mêmes
durant notre symposium) : « Si le concile ne développe pas la doctrine
de Pie XII sur l'appartenance invisible (in voto) à l'Eglise des
personnes qui ne sont pas en lien concret avec l'institution ecclésiale,
c est sans doute pour les trois raisons suivantes : dépasser une vision
jugée trop extérieure et juridique de l'Eglise société; situer la nécessité
de l'Eglise moins du côté de l'appartenance du sujet (cause matérielle)
que de l'exercice impérieux de la mission salvifique (cause efficiente)
; éviter l'annexionnisme" des "catholiques malgré eux"
m. Pas d'écho de la doctrine de Pie XII sur l'appartenance implicite à
l'Eglise. Par quoi se trouve-t-elle remplacée ? Je cite: « Au concept
d'appartenance implicite déjà évoqué se
substitue celui de communion, qui semble désigner de manière plus adéquate
le lien à l'Eglise sacrement. »
Je
crois qu'il est nécessaire de donner quelques explications au lecteur
qui ne serait pas spécialiste de théologie. L'abbé Gouyaud explique
très bien le passage de l'avant-concile à l'après-concile en matière
d'oecuménisme. Avant le concile, Pie XII pouvait parler, dans Mystici
corporis, d'une appartenance implicite à l'Eglise de toutes les âmes
sauvées en dehors du périmètre visible de cette Eglise. Après le
concile, cette théorie n'est plus tenable, parce que la notion même
d'appartenance explicite à l'Eglise est mise de côté, au moins par
les experts et théologiens qui ont rédigé les textes soumis à
l'approbation des Pères (voir ici même : Le concile au jour le jour,
16 octobre 1963).
L'abbé
Gouyaud : en pleine communion avec la nouvelle doctrine pastorale
L'abbé
explique dans son jargon qu'il importe désormais de « situer la nécessité
de l1glise moins du côté de l'appartenance du sujet que de
l'exercice impérieux de la mission salvifique », c'est-à-dire du côté
d'un salut automatique conféré par l'Eglise « moyen universel de
salut ». Plus besoin d'appartenir implicitement ! Plus besoin
d'appartenir explicitement ! Universellement, l'Eglise vous sauve, sans
que vous ayez eu le temps de lui dire : « Je te veux. » On peut après
cela appeler vertueusement à « éviter l'annexionnisme » et à ne pas
faire des « chrétiens malgré eux ». Qu'on le reconnaisse ou qu'on ne
le reconnaisse pas, il y a dans ce souci de promouvoir la non-appartenance
au nom de l'exercice impérieux de la mission salvifique une forte dose
d'annexionnisme.
Mais
me direz-vous, ce n'est pas un prêtre d'Ecône qui tient ce discours,
c'est un prêtre conciliaire. Eh oui ! Tout est là... Le concile a dit,
et il faut bien que ceux qui font profession urbi et orbi d'obéir au
concile en viennent à respecter ses décrets! L'abbé Gouyaud fait un
merveilleux effort théologique, qui devrait être davantage reconnu, et
par Rome et par ses supérieurs... Il a bel et bien abandonné les
oripeaux de la théologie traditionnelle. Ecoutez-le encore : « Du plan
subjectif des personnes, on passe au plan objectif des moyens. » Le bon
apôtre
! Ces quelques mots achèvent de le dévoiler. Il met au crédit de
Vatican II l'objectivité! Il n'a que mépris pour « la subjectivité
des personnes ». Mais enfin qu'est-ce donc que le salut, sinon une
histoire de personnes! Qu'est-ce que le salut, sinon cette mystérieuse
et terrible préférence de Dieu, «qui nous a aimé le premier » et
qui exige d'être aimé par-dessus tout. Tout cela est démodé et l'abbé
Gouyaud nous écarte résolument de cette perspective (jugée sans doute
« subjective » c'est-à-dire sentimentale). Situons-nous enfin dans
l'objectivité des moyens, nous demande-t-il. Oui, encore une fois, foin
de l'appartenance subjective (simple cause matérielle qu'il faut donc
« moins » regarder) ! Sachons faire les comptes, en hommes efficaces.
Quels sont les biens qui nous sont communs avec les juifs, avec les
protestants, avec les musulmans ? Formons cette grande communion
humaniste, qui se fonde sur les biens qui, objectivement, nous sont
communs : les juifs ont l'alliance (c'est la théorie du cardinal
Lustiger) ; les protestants ont l'Ecriture ; les musulmans ont la foi
dans le Dieu d'Abraham. Peu importe la manière dont les diverses
religions enseignent l'usage de ces biens communs. Nous attarder à
cette considération serait encore croupir dans le subjectivisme «valeureusement»
dénoncé par l'abbé tout à l'heure. SOYONS OBJECTIFS, soyons
bourgeois, sachons compter, ne considérons que les biens qui nous sont
communs : quelle foule cela génère! Les masses qui ont déserté les
églises, on les retrouve dans ce merveilleux schéma compensatoire !
Quel baume ! Oui, c'est la « consolation de la théologie », comme
dirait Boèce en regardant mourir l'empire romain.
«
La valeur salvatrice des communautés non chrétiennes indique leur
participation réelle à l'Eglise catholique »
Une
objection vient à l'esprit immédiatement : le Christ n'a fondé qu'une
seule Eglise, cela est de foi. Mais cette théorie de la communication
dans les biens communs ne signifie-t-elle pas qu'il y a plusieurs
Eglises ?
-
Bien sûr que non, répond l'abbé. Il n'y a qu'une Eglise. Elle
est le moyen universel de salut ; et pourtant les autres religions « ne
sont pas dépourvues de valeurs dans le mystère du salut », ajoute
encore l'abbé, répétant Gaudium et spes. Comment comprendre
cela ? Eh bien! C'est que les moyens peuvent faire nombre sans problème.
Il y a un moyen universel et des systèmes D qui s'additionnent, tout
cela s'enchaîne merveilleusement.
-
Mais comment comprendre la valeur salvatrice des communautés non-chrétiennes,
s'il n'existe qu'une seule Eglise ? insiste Jean Bouche d'Or. L'abbé ne
se laisse pas démonter par cette objection qu'il écarte d'un revers de
main : « La valeur salvatrice de ces communautés vient de leur
participation à l'Eglise catholique.
»
Vous
avez bien compris ? Je récapitule : Il faut abandonner la vision trop
subjective d'une appartenance purement personnelle à l'Eglise. L'Eglise
n'est qu'un moyen. A côté d'elle, on trouve de nombreux biens «
salutaires et par conséquent salvifiques ». Elle est le moyen
universel du salut. Les autres communautés participent réellement de
sa médiation par les biens qu'ils conservent (l'alliance, la Bible, les
sacrements, la foi, l'honnêteté, que sais-je ?). Et voilà en un
tour de main, l'Eglise grosse de toutes les communautés, Eglise
d'Eglises comme disait le Père Tilliard, ou Eglises de communautés
diverses, dont les fois sont plurielles mais dont certains biens sont
communs. Et puis comme il faut éviter vertueusement l'annexionnisme et
qu'il paraît patent en cette occurrence, on ajoutera, avec Jean Paul II
dans Ut unum sint, que ce ne sont pas ces communautés qui s'agrègent
mystérieusement à l'Eglise catholique mais qu'« il y a présence
active de l'Eglise du Christ » dans ces autres communautés.
Quelle
belle synthèse de la religion de Vatican II. Voyez, M. l'abbé Loiseau,
combien vous avez été inconséquent tout à l'heure de prôner
l'identité entre l'Eglise catholique et le Royaume. Qu'est-ce que le
Royaume, sinon la magnifique perspective que nous ouvre le concile
Vatican II sur une religion universelle, où toutes les communautés
possèdent des biens en commun, se respectent donc et ne cherchent pas
le moins du monde à se convertir mutuellement. Les catholiques eux-mêmes
ont résolument mis au placard des vieilleries cet oecuménisme du
retour qu'ils avaient pratiqué trop longtemps dans le passé. Ils se
sont proposés pour établir le recensement de la planète, en prêtant
attention à tout ce qui peut rassembler les hommes entre eux et en
bannissant la considération de ce qui les divise, selon la géniale
intuition du pape Jean XXIII. Dans les sommets interreligieux les plus
vastes, comme à Assise, ce sont les catholiques qui rédigent les
invitations. Ils appellent cette fonction de secrétariat la médiation
universelle de l'Eglise. Après tout, ils ont tant abandonné de leur
vieille religion que la planète reconnaissante leur doit bien cette
petite compensation.
Non,
Christophe, Vatican II n'est pas un mythe
Christophe
Geffroy, avec lequel j'aime tellement discuter, s'étonne sans doute que
je ne fasse pas davantage écho à sa propre manière de voir. Dans ce
dossier de La Nef, il est l'amphitryon. Laïc peut-être mais
seigneur donc et maître du lieu... et libre d'y inviter qui il veut.
Je
me permets, cher Christophe, une petite remarque sur votre propre
contribution dans
ce dossier, excellente presque en tous points dans sa dénonciation de
la réception progressiste de Vatican II. Mais vous commenciez bien mal
pourtant. Ne sachant plus où donner de la tête, face aux divagations
conciliaires des clercs et des laïcs que vous avez recensés, en ce
quarantième anniversaire, vous vous demandiez, dès les premières
lignes, si le concile n'est pas « un mythe où chacun puise ce qu'il
veut bien y trouver ». Soyez plus respectueux, cher Christophe, la
doctrine de Vatican II n'est pas un mythe mais une réalité, qu'il faut
apprendre à connaître. Demandez à l'abbé Gouyaud qu'il vous éclaire
sur le sens authentique du « Saint Synode » des experts et théologiens.
Vous serez sans doute moins surpris de ce que peuvent en écrire vos
confrères de La Croix ou de La Vie. Et peut-être, si le
coeur vous en dit, une fois éclairé sur la religion de Vatican II,
instruit du péril conciliaire, détestant la perspective qu'il nous dévoile,
prendrez-vous le maquis avec nous ? Peut-être entrerez-vous en résistance
?
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