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Que faire de Vatican II ?

Abbé G. de Tanoüarn

Nouvelle revue CERTITUDES - juillet-août-septembre 2002 - n°11

Les 4 et 5 octobre derniers se tenait à Paris un symposium de théologie, réunissant près de 70 participants venus de plusieurs continents pour travailler sur le dernier concile. - Pourquoi faire toute une affaire de ce groupe d'études, direz-vous ?

C’était la première fois que le texte de Vatican II était abordé de front, dans l'objectivité que procure un recul de deux générations. 11 octobre 1962, 4 octobre 2002. 40 ans, c'est l'âge de la maturité pour un homme ; l'âge du bilan pour un concile.

Tous ceux, qui, comme le cardinal Ratzinger, allaient répétant que la réception de ce concile n'était pas terminée auront bientôt à s'expliquer sur les difficultés apparemment insurmontables soulevées par l'application de ces textes.

Certains nous disent qu'il faut encore attendre pour que Vatican II produise son fruit authentique. Plusieurs siècles seront peut-être nécessaires, me disait récemment un journaliste, avec une innocence désaimante. Mais si l'on prend l'exemple du concile de Trente, on est bien obligé de constater qu'un demi-siècle suffit pour vérifier ce que doit produire un concile dans la vie de l'Eglise. Moins d'un demi-siècle après la clôture du concile de Trente, au tournant du XVIIème siècle, s'engageait une merveilleuse renaissance spirituelle, autour de François de Sales, de Pierre de Bérulle ou de Vincent de Paul (pour ne parler que des Fiançais)... Nous pensons que, 40 ans après sa convocation, Vatican II commence également à produire un résultat qui représente bien ce qu'il est. Il apparaît clairement que les fruits de cette assemblée sont des fruits amers, pour une doctrine qui, en elle-même, en tout ce quelle a de formel et de novateur, est sans rapport avec la doctrine catholique.

40 ans: l'âge du bilan

Oh! Bien sûr, nous trouvons dans ces textes quelques rappels utiles de la doctrine ou de la discipline antérieure. Nous trouvons aussi les traces du combat héroïque que livra la minorité conciliaire du Coetus internationalis patrum pour maintenir les pères dans l'orthodoxie catholique. Mais tout ce que Vatican II possède en propre, tout ce qu’il enseigne de manière originale constitue - à côté de la doctrine catholique, respectée dans ses grandes lignes - un univers nouveau, irréductible à l'univers chrétien traditionnel. Cet univers religieux ne s élabore pas forcément en contradiction avec la théologie traditionnelle. Les principaux noeuds doctrinaux sont tranchés dans le bon sens : pouvoir plénier du pape sur tous les fidèles ; rapport entre tradition et Ecriture ; mission corrédemptrice de Marie, sur ces sujets attendus et bien balisés depuis longtemps, la Minorité conciliaire a obtenu en général gain dé cause d'une manière ou d'une autre. Même lorsque la Majorité professait une autre théologie, elle a dû courber l'échine plus ou moins discrètement et accepter que la théologie du deuxième concile du Vatican s’inscrive dans une continuité certaine par rapport à la théologie romaine traditionnelle. Mais Vatican II ne s'est pas contenté de répéter le passé.

A cette répétition docile des schémas théologiques classiques, se trouve juxtaposé un renouvellement considérable des formulations et de la problématique théologique.

Exemples ? L'Eglise catholique reste nécessaire au salut (selon le schème bien connu : Hors de l’Eglise point de salut!). Mais cette nécessité est différente car la conscience que l’Eglise prend d'elle-même a évolué... Désormais elle se considère non plus comme l'arche de salut des sociétés humaines, mais comme un simple vecteur d'action spirituelle au service de l'Humanité. On ne parle donc plus de la même nécessité, Pour les pères de Vatican II, la présence de l’Eglise « comme un signe dressé au milieu des nations » est nécessaire, mais l'appartenance (visible ou invisible) à cette Eglise est devenue facultative. L'idée même d'appartenance à l'Eglise apparaît comme répulsive.

Dans la mesure où il introduit un certain nombre de paramètres doctrinaux totalement nouveaux et qui n’appartiennent pas à la Tradition catholique, il est permis, il est même nécessaire de critiquer ce concile. Je dirais e il s'agit d'un devoir et que ce devoir nous presse dans la mesure où nous sommes attachés à l'enseignement divin, transmis par l'Eglise depuis 2000 ans. Nous ne souhaitons pas tomber dans un esprit de critique systématique, mais apporter une pierre à la reconstruction de la Catholicité dévastée. Nous ne critiquons pas le Concile pour le plaisir de nous éloigner de l’Eglise ou dans un esprit de gloriole personnelle. Par notre liberté critique, nous souhaitons rendre service à ceux qui auront mission de conduire l'Eglise, au seuil du IIIème millénaire.

Comme l'expliquait Mgr Williamson dans la conclusion qu'il donna aux festivités, la Tradition catholique a été plutôt sur la défensive jusqu'à maintenant. Il est temps désormais de passer à l'offensive. Sur le plan doctrinal en particulier.

Une nouvelle dimension de notre combat

Les décisions que dut prendre Mgr Lefebvre en 1988 face aux sanctions romaines, il les a prises en tant qu’« épiscope et gardien de nos âmes », il a mené ce qu'il nommait lui-même « l'opération survie » de la Tradition catholique.

II semble que les négociations qui ont eu lieu à Rome, à l'occasion de l'année jubilaire (2000), entre Mgr Fellay et tel ou tel cardinal, nous aient fait passer, sans que, sur le coup, nous en ayons pris conscience, à une autre dimension du combat. Lorsque la Fratemité Saint-Pie X a demandé à Rome que soit reconnu le droit pour tout prêtre catholique de célébrer la messe traditionnelle, une étape importante a été franchie dans l'histoire du retour de l'Eglise à sa Tradition. Il est clair désormais que le but et la raison d'être de la FSSPX n'est pas simplement sa propre reconnaissance juridique dans un statut particulier, mais le bien commun de l’Eglise tout entière.

La Fraternité Saint-Pie X a été et demeure l'arche liturgique, qui offre aux nouvelles générations le rite sacré dans sa forme imprescriptible. Mais elle est appelée en outre - par le malheur des temps - à devenir dans l'Eglise, une instance critique de la déviation doctrinale qui fut patente durant le Concile. Les déviations textuelles doivent être identifiées et dénoncées, parce que, même lorsque tout le monde semble les oublier ou en faire peu de cas, les écrits restent. Les documents de Vatican II constituent la charte de toute la pastorale actuelle. On ne peut pas faire comme si ils n'existaient pas. Il est impossible d'oublier Vatican II ou de faire comme si ce concile ri avait jamais existé. On a l'impression, en écoutant certains catholiques dits conservateurs qu'ils voudraient bien faire l'impasse sur cet événement fondamental. Mais ce n’est pas possible hélas ! Il faut donc recevoir Vatican II. De façon ouvertement et franchement critique.

Le cardinal Hoyos dira sans doute que cette démarche est peu charitable, comme il l'a écrit dans une longue lettre adressée à notre supérieur général. Mais quoi qu’en pense le cardinal Hoyos ou, en tout cas, quoi qu’il en ait écrit, il s'agit là pour nous d'un devoir de charité parce que ces déviations sont mortifères, parce qu'elles tuent les canes, parce que tant que les textes demeureront, le danger subsistera que l'on s'en réclame pour plonger l'Eglise dans une confusion toujours plus profonde.

Il ne s'agit pas de s'ériger en censeurs : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » dit Notre Seigneur. Le Censor morum des Vieux Romains mettait en cause les personnes et corrigeait des abus. Nous avons essayé, quant à nous, d'en rester strictement à la lettre du Concile, sans la confondre ni avec tel ou tel interprète plus ou moins autorisé, ni avec certains champions indiscrets de cette « Nouvelle Pentecôte », ni avec certains abus postconciliaires. Ce que nous avons clairement compris, c'est que la lettre de ce Concile était elle-même abusive, c'est que la doctrine organique de ce Concile n'avait plus rien de chrétien et c'est ce qu'exprime notre déclaration finale [inclue dans le même numéro. NOTE DU WEBMASTER]. Si nous avons reçu la grâce de la fidélité, nous ne pouvons pas ne pas porter ce témoignage à la face de l'Eglise. C'est notre manière de la servir, c'est notre manière d'en faire partie, c'est notre manière d'agir comme une partie - agere ut pars disait Cajétan - dans l’Eglise.

La thèse sédévacantiste est hors sujet

Nous sommes et nous resterons membres de l’Eglise dans la mesure même où, presque seuls, de par notre marginalisation juridique, nous pouvons, à la face de l'Eglise, remplir ce ministère de vérité et de liberté. C'est notre critique aimante et persévérante qui nous fait agir, de façon responsable, comme une partie dans l'Eglise. Et cela n'est possible, cela n'est envisageable que dans la mesure aussi où nous remplirons cette fonction critique sans forfanterie, avec la conscience de notre indignité. Si nous voulons remplir ce ministère critique, ce n'est pas que nous soyons meilleurs que les autres. Simplement, il nous a été donné la grâce de comprendre la terrible imposture qui tue lentement notre sainte Mère l'Eglise, nous nous devons donc de l'avertir, quoi qu'il puisse nous en coûter.

Quelle est cette imposture ? Inutile de chercher du côté de la vacance du Siège. Ce cas d'école théologique est trop restrictif : il envisage la possibilité d'un pape hérétique et devant être déposé, comme si la situation de l’Eglise, actuellement en état d'implosion généralisée, n'était pas infiniment plus grave, dépassant largement le fait de l'hérésie ou de la non hérésie d'un pape. Dans le collapsus que nous traversons, déclarer la vacance du Siège apostolique, c'est se mettre devant une sorte de vacance de l'Eglise tout entière... L'hypothèse n'est pas tenable, elle est impie, le grand canoniste qu'était Bouix l'a dit à l'avance en examinant cette thèse : quand le remède est pire que le mal, il vaut mieux s'abstenir de l'administrer.

Mgr Lefebvre avait souvent à la bouche une expression sur laquelle il nous est loisible de réfléchir : il parlait d'une nouvelle religion. II ne s'agissait pas dans son esprit de l’Eglise et de sa constitution divine, mais d'une sorte de cancer religieux qui s'est attaqué à l’Eglise. On peut citer sa Lettre aux Catholiques perplexes, où il évoque la crise de l'Eglise comme un conflit entre deux religions (cf. p. 178). On peut également se référer au sermon pour les ordinations sacerdotales de 1976 : « Il est évident que le rite nouveau suppose une autre conception de la religion catholique, une autre religion » (cf. ses Sermons historiques, P. 27). Jean de Viguerie dans son essai sur la déchristianisation, du point de vue qui est le sien, c'est-à-dire du point de vue de l'historien, tient le même langage : « C'est là le fait majeur, la foule des déchristianisés par le nouveau christianisme. C'est là l'explication essentielle. La nouvelle religion de l'aggiornamento fabrique des non-pratiquants. Elle affaiblit, elle exténue toute vie religieuse dans les âmes. Je dis bien la nouvelle religion (...) Religion fantomatique : elle a ses cérémonies, elle a les églises. Mais pourquoi s'y rendre ? Ce ne sont que des pantomimes. Et d'ailleurs on ne vous demande même pas d'y aller. Etrange religion » (Nouvelle revue Certitudes n° 1, janvier 2000, pp. 29-30). Si l'on interroge les sociologues, après avoir questionné un historien, on obtient le même genre de réponse. Voici par exemple Emile Poulat à propos du champ d'observation qu'il connaît bien, la France : « Dieu dans notre pays ri est plus objet de preuve, sujet de droits et d'honneurs, évidence d'une société, personnage de l'histoire. Il relève de l'intime conviction, d'une évidence intérieure ou d'une expérience participative dont on rend témoignage sans que son expression publique outrepasse son audience privée. » Et de conclure en une formule qui dit toute la nouvelle religion : « Nous venons de siècles où l'homme était à la grâce de Dieu; nous sommes entrés dans un temps où Dieu est à la discrétion de l'homme, » (La solution laïque et ses problèmes, Paris, 1997, p. 127).

Ce qui est frappant, c'est de constater comment les grands thème de l'enseignement conciliaire, que nous décrivons dans notre déclaration finale, sont à la fois cohérents entre eux et récurrents de constitutions en décrets et en déclarations. On voit poindre au fil des textes une sorte de doctrine parallèle, qui n'est pas formellement hérétique, parce qu'elle ne touche pas aux dogmes, mais qui s'introduit comme une nouvelle règle de la foi au coeur de l'Eglise. Les dogmes demeurent, mais cette règle nouvelle modifie profondément notre manière de les comprendre et de les vivre. C’est cette règle nouvelle qu'il nous faut appeler une nouvelle religion, parce quelle confère aux chrétiens qui s'y soumettent une identité nouvelle, une nouvelle manière de se rattacher à l'objet de leur foi.