Les
4 et 5 octobre derniers se tenait à Paris un symposium de théologie, réunissant
près de 70 participants venus de plusieurs continents pour travailler
sur le dernier concile. - Pourquoi faire toute une affaire de ce groupe
d'études, direz-vous ?
C’était
la première fois que le texte de Vatican II était abordé de front,
dans l'objectivité que procure un recul de deux générations. 11
octobre 1962, 4 octobre 2002. 40 ans, c'est l'âge de la maturité pour
un homme ; l'âge du bilan pour un concile.
Tous
ceux, qui, comme le cardinal Ratzinger, allaient répétant que la réception
de ce concile n'était pas terminée auront bientôt à s'expliquer sur
les difficultés apparemment insurmontables soulevées par l'application
de ces textes.
Certains
nous disent qu'il faut encore attendre pour que Vatican II produise son
fruit authentique. Plusieurs siècles seront peut-être nécessaires, me
disait récemment un journaliste, avec une innocence désaimante. Mais
si l'on prend l'exemple du concile de Trente, on est bien obligé de
constater qu'un demi-siècle suffit pour vérifier ce que doit produire
un concile dans la vie de l'Eglise. Moins d'un demi-siècle après la clôture
du concile de Trente, au tournant du XVIIème siècle, s'engageait une
merveilleuse renaissance spirituelle, autour de François de Sales, de
Pierre de Bérulle ou de Vincent de Paul (pour ne parler que des Fiançais)...
Nous pensons que, 40 ans après sa convocation, Vatican II commence également
à produire un résultat qui représente bien ce qu'il est. Il apparaît
clairement que les fruits de cette assemblée sont des fruits amers,
pour une doctrine qui, en elle-même, en tout ce quelle a de formel et
de novateur, est sans rapport avec la doctrine catholique.
40
ans: l'âge du bilan
Oh!
Bien sûr, nous trouvons dans ces textes quelques rappels utiles de la
doctrine ou de la discipline antérieure. Nous trouvons aussi les traces
du combat héroïque que livra la minorité conciliaire du Coetus
internationalis patrum pour maintenir les pères dans l'orthodoxie
catholique. Mais tout ce que Vatican II possède en propre, tout ce
qu’il enseigne de manière originale constitue - à côté de la
doctrine catholique, respectée dans ses grandes lignes - un univers
nouveau, irréductible à l'univers chrétien traditionnel. Cet univers
religieux ne s élabore pas forcément en contradiction avec la théologie
traditionnelle. Les principaux noeuds doctrinaux sont tranchés dans le
bon sens : pouvoir plénier du pape sur tous les fidèles ; rapport
entre tradition et Ecriture ; mission corrédemptrice de Marie, sur
ces sujets attendus et bien balisés depuis longtemps, la Minorité
conciliaire a obtenu en général gain dé cause d'une manière ou d'une
autre. Même lorsque la Majorité professait une autre théologie, elle
a dû courber l'échine plus ou moins discrètement et accepter que la
théologie du deuxième concile du Vatican s’inscrive dans une
continuité certaine par rapport à la théologie romaine
traditionnelle. Mais Vatican II ne s'est pas contenté de répéter le
passé.
A
cette répétition docile des schémas théologiques classiques, se
trouve juxtaposé un renouvellement considérable des formulations et de
la problématique théologique.
Exemples ?
L'Eglise catholique reste nécessaire au salut (selon le schème bien
connu : Hors de l’Eglise point de salut!). Mais cette nécessité est
différente car la conscience que l’Eglise prend d'elle-même a évolué...
Désormais elle se considère non plus comme l'arche de salut des sociétés
humaines, mais comme un simple vecteur d'action spirituelle au service
de l'Humanité. On ne parle donc plus de la même nécessité, Pour les
pères de Vatican II, la présence de l’Eglise « comme un signe dressé
au milieu des nations » est nécessaire, mais l'appartenance (visible
ou invisible) à cette Eglise est devenue facultative. L'idée même
d'appartenance à l'Eglise apparaît comme répulsive.
Dans
la mesure où il introduit un certain nombre de paramètres doctrinaux
totalement nouveaux et qui n’appartiennent pas à la Tradition
catholique, il est permis, il est même nécessaire de critiquer ce
concile. Je dirais e il s'agit d'un devoir et que ce devoir nous presse
dans la mesure où nous sommes attachés à l'enseignement divin,
transmis par l'Eglise depuis 2000 ans. Nous ne souhaitons pas tomber
dans un esprit de critique systématique, mais apporter une pierre à la
reconstruction de la Catholicité dévastée. Nous ne critiquons pas le
Concile pour le plaisir de nous éloigner de l’Eglise ou dans un
esprit de gloriole personnelle. Par notre liberté critique, nous
souhaitons rendre service à ceux qui auront mission de conduire
l'Eglise, au seuil du IIIème millénaire.
Comme
l'expliquait Mgr Williamson dans la conclusion qu'il donna aux festivités,
la Tradition catholique a été plutôt sur la défensive jusqu'à
maintenant. Il est temps désormais de passer à l'offensive. Sur le
plan doctrinal en particulier.
Une
nouvelle dimension de notre combat
Les
décisions que dut prendre Mgr Lefebvre en 1988 face aux sanctions
romaines, il les a prises en tant qu’« épiscope et gardien de nos âmes
», il a mené ce qu'il nommait lui-même « l'opération survie » de
la Tradition catholique.
II
semble que les négociations qui ont eu lieu à Rome, à l'occasion de
l'année jubilaire (2000), entre Mgr Fellay et tel ou tel cardinal, nous
aient fait passer, sans que, sur le coup, nous en ayons pris conscience,
à une autre dimension du combat. Lorsque la Fratemité Saint-Pie X a
demandé à Rome que soit reconnu le droit pour tout prêtre catholique
de célébrer la messe traditionnelle, une étape importante a été
franchie dans l'histoire du retour de l'Eglise à sa Tradition. Il est
clair désormais que le but et la raison d'être de la FSSPX n'est pas
simplement sa propre reconnaissance juridique dans un statut
particulier, mais le bien commun de l’Eglise tout entière.
La
Fraternité Saint-Pie X a été et demeure l'arche liturgique, qui offre
aux nouvelles générations le rite sacré dans sa forme
imprescriptible. Mais elle est appelée en outre - par le malheur des
temps - à devenir dans l'Eglise, une instance critique de la déviation
doctrinale qui fut patente durant le Concile. Les déviations textuelles
doivent être identifiées et dénoncées, parce que, même lorsque tout
le monde semble les oublier ou en faire peu de cas, les écrits restent.
Les documents de Vatican II constituent la charte de toute la pastorale
actuelle. On ne peut pas faire comme si ils n'existaient pas. Il est
impossible d'oublier Vatican II ou de faire comme si ce concile ri avait
jamais existé. On a l'impression, en écoutant certains catholiques
dits conservateurs qu'ils voudraient bien faire l'impasse sur cet événement
fondamental. Mais ce n’est pas possible hélas ! Il faut donc
recevoir Vatican II. De façon ouvertement et franchement critique.
Le
cardinal Hoyos dira sans doute que cette démarche est peu charitable,
comme il l'a écrit dans une longue lettre adressée à notre supérieur
général. Mais quoi qu’en pense le cardinal Hoyos ou, en tout cas,
quoi qu’il en ait écrit, il s'agit là pour nous d'un devoir de
charité parce que ces déviations sont mortifères, parce qu'elles
tuent les canes, parce que tant que les textes demeureront, le danger
subsistera que l'on s'en réclame pour plonger l'Eglise dans une
confusion toujours plus profonde.
Il
ne s'agit pas de s'ériger en censeurs : « Ne jugez pas et vous ne
serez pas jugés » dit Notre Seigneur. Le Censor morum des Vieux
Romains mettait en cause les personnes et corrigeait des abus. Nous
avons essayé, quant à nous, d'en rester strictement à la lettre du
Concile, sans la confondre ni avec tel ou tel interprète plus ou moins
autorisé, ni avec certains champions indiscrets de cette « Nouvelle
Pentecôte », ni avec certains abus postconciliaires. Ce que nous
avons clairement compris, c'est que la lettre de ce Concile était
elle-même abusive, c'est que la doctrine organique de ce Concile
n'avait plus rien de chrétien et c'est ce qu'exprime notre déclaration
finale [inclue dans le même numéro.
NOTE DU WEBMASTER]. Si nous avons reçu
la grâce de la fidélité, nous ne pouvons pas ne pas porter ce témoignage
à la face de l'Eglise. C'est notre manière de la servir, c'est notre
manière d'en faire partie, c'est notre manière d'agir comme une partie
- agere ut pars disait Cajétan - dans l’Eglise.
La
thèse sédévacantiste est hors sujet
Nous
sommes et nous resterons membres de l’Eglise dans la mesure même où,
presque seuls, de par notre marginalisation juridique, nous pouvons, à
la face de l'Eglise, remplir ce ministère de vérité et de liberté.
C'est notre critique aimante et persévérante qui nous fait agir, de façon
responsable, comme une partie dans l'Eglise. Et cela n'est possible,
cela n'est envisageable que dans la mesure aussi où nous remplirons
cette fonction critique sans forfanterie, avec la conscience de notre
indignité. Si nous voulons remplir ce ministère critique, ce n'est pas
que nous soyons meilleurs que les autres. Simplement, il nous a été
donné la grâce de comprendre la terrible imposture qui tue lentement
notre sainte Mère l'Eglise, nous nous devons donc de l'avertir, quoi
qu'il puisse nous en coûter.
Quelle
est cette imposture ? Inutile de chercher du côté de la vacance
du Siège. Ce cas d'école théologique est trop restrictif : il
envisage la possibilité d'un pape hérétique et devant être déposé,
comme si la situation de l’Eglise, actuellement en état d'implosion généralisée,
n'était pas infiniment plus grave, dépassant largement le fait de l'hérésie
ou de la non hérésie d'un pape. Dans le collapsus que nous traversons,
déclarer la vacance du Siège apostolique, c'est se mettre devant une
sorte de vacance de l'Eglise tout entière... L'hypothèse n'est pas
tenable, elle est impie, le grand canoniste qu'était Bouix l'a dit à
l'avance en examinant cette thèse : quand le remède est pire que le
mal, il vaut mieux s'abstenir de l'administrer.
Mgr
Lefebvre avait souvent à la bouche une expression sur laquelle il nous
est loisible de réfléchir : il parlait d'une nouvelle religion. II ne
s'agissait pas dans son esprit de l’Eglise et de sa constitution
divine, mais d'une sorte de cancer religieux qui s'est attaqué à
l’Eglise. On peut citer sa Lettre aux Catholiques perplexes, où
il évoque la crise de l'Eglise comme un conflit entre deux religions
(cf. p. 178). On peut également se référer au sermon pour les
ordinations sacerdotales de 1976 : « Il est évident que le rite
nouveau suppose une autre conception de la religion catholique, une
autre religion » (cf. ses Sermons historiques, P. 27). Jean de
Viguerie dans son essai sur la déchristianisation, du point de vue qui
est le sien, c'est-à-dire du point de vue de l'historien, tient le même
langage : « C'est là le fait majeur, la foule des déchristianisés
par le nouveau christianisme. C'est là l'explication essentielle. La
nouvelle religion de l'aggiornamento fabrique des non-pratiquants.
Elle affaiblit, elle exténue toute vie religieuse dans les âmes. Je
dis bien la nouvelle religion (...) Religion fantomatique : elle a ses cérémonies,
elle a les églises. Mais pourquoi s'y rendre ? Ce ne sont que des
pantomimes. Et d'ailleurs on ne vous demande même pas d'y aller.
Etrange religion » (Nouvelle
revue Certitudes n° 1, janvier 2000, pp. 29-30). Si l'on
interroge les sociologues, après avoir questionné un historien, on
obtient le même genre de réponse. Voici par exemple Emile Poulat à
propos du champ d'observation qu'il connaît bien, la France : « Dieu
dans notre pays ri est plus objet de preuve, sujet de droits et
d'honneurs, évidence d'une société, personnage de l'histoire. Il relève
de l'intime conviction, d'une évidence intérieure ou d'une expérience
participative dont on rend témoignage sans que son expression publique
outrepasse son audience privée. » Et de conclure en une formule qui
dit toute la nouvelle religion : « Nous venons de siècles où l'homme
était à la grâce de Dieu; nous sommes entrés dans un temps où Dieu
est à la discrétion de l'homme, » (La solution laïque et ses
problèmes, Paris, 1997, p. 127).
Ce
qui est frappant, c'est de constater comment les grands thème de
l'enseignement conciliaire, que nous décrivons dans notre déclaration
finale, sont à la fois cohérents entre eux et récurrents de
constitutions en décrets et en déclarations. On voit poindre au fil
des textes une sorte de doctrine parallèle, qui n'est pas formellement
hérétique, parce qu'elle ne touche pas aux dogmes, mais qui
s'introduit comme une nouvelle règle de la foi au coeur de l'Eglise.
Les dogmes demeurent, mais cette règle nouvelle modifie profondément
notre manière de les comprendre et de les vivre. C’est cette règle
nouvelle qu'il nous faut appeler une nouvelle religion, parce quelle
confère aux chrétiens qui s'y soumettent une identité nouvelle, une
nouvelle manière de se rattacher à l'objet de leur foi.
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