Symposium ?
Ce n'est pas un mot barbare, c'est un nom grec, emprunté à une vieille
tradition platonicienne, et qui signifie : un moment où l'on boit
ensemble, en devisant des choses les plus hautes. Rassurez-vous : même
si, c'est vrai, personne n'est mort de soif durant ces deux jours, on ne
peut pas dire que le symposium international de théologie, organisé à
l'occasion des 40 ans de Vatican II, se soit déroulé sur le modèle du
Banquet que nous suggère Platon. Si une ivresse a saisi les
participants, elle fut celle qu'évoque la Sainte Ecriture, quelque
chose comme une sobre satisfaction de l'esprit.
Disons-le
autrement et disons-le sans peur : notre symposium fut, de l'aveu de
tous les participants, un moment de grâce et de lumière. La recherche
ardente de la vérité catholique, à travers l'erreur conciliaire, a été
menée, il faut le préciser pour nos lecteurs, dans une atmosphère
indescriptible de joie intellectuelle (gaudium de veritate), de
gravité et de force. Les prêtres et les laïcs - au coude à coude
pour la durée de ce symposium - avaient offert deux jours de leur temps
à cette entreprise, cela ne va pas de soi! Chacun avait préparé son
intervention, minutieusement (selon la règle préalable qui nous a réunis
en ces journées : « tout participant est intervenant »).
Chaque intervention était suivie d'un débat, au coins duquel était
manifeste non la division mais l'unanimité et la volonté de progresser
ensemble. Et le même scénario se reproduisait en même temps dans six
salles pour six commissions différentes.
Quelle
ivresse ? Une sobre satisfaction de l'esprit
Il
vaut la peine de les énumérer, ces six commissions, pour donner à
tous un aperçu de la richesse théologique (j'allais dire de la
puissance de feu) de notre petite assemblée. La première commission -
honorée par la présence et l'intervention précise de l'abbé de
Cacqueray, supérieur du district - était consacrée à la nouvelle
conception de l'homme et à la nouvelle doctrine sociale qui en découle.
La seconde envisageait la nouvelle conscience que l'Eglise a voulu
prendre d'elle-même à l'occasion de ce Concile, tout ce qui constitue
une nouvelle ecclésiologie. La troisième commission a étudié plus
particulièrement les relations entre l’Eglise et les autres
religions, en sondant les raisons profondes du parti pris unanimiste qui
se découvre dans les exhortations au dialogue constituant l'ordinaire
de l'actuelle pratique magistérielle. La quatrième commission s'est
occupée de liturgie et a tenté de caractériser (autour de l'idée de
participation active) la nouvelle théologie de la célébration. La
cinquième commission, certainement la plus technique, s est penchée
sur la notion conciliaire de révélation, en revisitant la célèbre
problématique théologique des sources de la foi. Quant à la sixième
commission (last but not least), elle a souhaité se borner à étudier
les faits en remettant Vatican II dans son contexte historique, tant il
est vrai qu'il faut saisir les idées lorsqu'elles naissent, sans leur
laisser le temps de s’engoncer dans la gangue d'un système clos.
Il
importe aussi de donner un visage à toutes ces idées, au moins celui
des présidents de commission : l'abbé de Tanoüarn, pour la première
; l'abbé Lagneau (venu spécialement du Séminaire de La Reja qu'il
dirige en Argentine) pour la seconde; le Révérend Père Pierre Marie
OP pour la troisième (il est saris conteste le théologien du couvent
de La Haye aux Bonshommes) ; l'abbé Christophe Héry pour la quatrième
(il prépare un livre très fouillé sur la question liturgique) ; le Révérend
Père Emmanuel Marie OP, pour la cinquième (c'est le bibliste du
couvent et l'actuel responsable de la revue théologique Le sel de la
terre) ; enfin l'abbé Alain lorans, fondateur de l'Institut
Universitaire Saint-Pie X, pour tout ce qui relève de l'histoire du
Concile. On notera; dans cet organigramme, la présence en force des Pères
dominicains, emmenés par leur supérieur le Père Innocent-Marie,
co-organisateur du symposium avec l'abbé de Tanoüarn et Michel Moubèche.
Il faut souligner également la venue de l'abbé Emmanuel du
Chalard, organisateur à Rome et à Paris des Congrès théologiques de
la revue Si Si No No, qui a chaleureusement encouragé les
promoteurs de cette réunion.
Clercs
et laïcs : deux cultures, une seule foi
Citer
quelques thèmes plus particuliers ? Ce serait faire des jaloux,
car chaque intervention avait son impact : il est décidément difficile
de choisir, surtout pour le modeste reporter que je suis, et qui ne
pouvait évidemment pas se trouver dans six salles à la fois. Il me
semble que dans le climat de terrorisme intellectuel et spirituel qui règne
en ce moment, il est inutile de citer les laïcs valeureux et compétents,
chacun en son domaine, qui renforçaient, en nombre, et qui enrichirent
par leur savoir la petite escouade des soutanes et des coules. Les
professeurs de séminaire découvraient que leurs confrères dans le
ministère continuaient eux aussi à travailler ; les professeurs à
l'université côtoyaient les juristes ; clercs et laïcs conjuguaient
deux cultures au service d'une seule foi. Magnifique témoignage
d'union!
Deux
évêques représentaient l'Eglise enseignante, parmi tous ces
chercheurs : Mgr Williamson fit l'allocution inaugurale. II avait bien
voulu traverser l'Atlantique pour marquer son soutien à notre
initiative. Son parler franc, sa mesure, sa volonté d'exclure même
l'apparence du sédévacantisme ont encouragé les congressistes dans la
même direction. Consigne majeure : pas de langue de bois, objectivité
d'abord! Mgr Tissier de Mallerais intervint plutôt au cours de la dernière
demi-journée de ce symposium, lorsqu'il fallut rédiger la déclaration
finale. Un document de travail avait été visé par les présidents de
commissions, réunis sous son autorité. Restait à mettre sur pied la
partie la plus délicate du programme : chacun des
intervenants-participants était appelé à proposer des suggestions
(sur le fond et sur la forme) pour améliorer ce document. Durant deux
heures, Mgr Tissier écouta patiemment les uns et les autres énoncer à
tour de rôle leurs propositions. Après une rapide concertation avec
les organisateurs, il donnait posément son avis, dûment consigné, au
fur et à mesure, par le greffier de cette séance peu ordinaire, Michel
Franc, coordinateur pratique de notre symposium. Chacun
rivalisa de discipline et de liberté d'esprit. Mgr Tissier de Mallerais
cultivait, lui, surtout la patience. La déclaration finale que vous
lirez dans les pages suivantes est le fruit de cet étonnant labeur...
Ce
qui ressort d'abord de ces deux journées à huis clos, c'est qu'elles
correspondaient manifestement à une attente... Le troisième jour, à
l'espace Austerlitz, cette attente satisfaite a engendré un véritable
enthousiasme : 800 personnes en permanence, pour des conférences qui
s'annonçaient ardues : c'est bien le signe que des paroles libératrices
ont été prononcées, que ces vérités théologiques sur le Concile,
apparemment arides, étaient reçues par tous avec une sorte de
soulagement, j'allais dire de gratitude envers l'autorité qui avait
permis ce jour.
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