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Bonaparte prestissimo

Joël Prieur

Nouvelle revue CERTITUDES - juillet-août-septembre 2002 - n°11

Faire de l'histoire un roman, ce n'est pas forcément insulter la réalité des événements passés ni tracer une croix sur l'objectivité d'un récit. Parfois au contraire, le roman nous aide à mieux saisir l'histoire. il y a des maîtres du genre comme Michel Peyramaure. En abordant ce gros ouvrage, La Furia, qui nous conte la guerre du jeune Bonaparte en Italie au tournant du XVIIIe siècle, on a l'impression d'abord que Philippe Bomet entend nous faire partager son enthousiasme pour l'histoire militaire : chaque bataille, depuis Montenotte, la première victoire du jeune général républicain, chaque mouvement des troupes françaises et des troupes impériales est minutieusement reconstitué (cartes à l'appui). Parfois notre auteur ose prendre en défaut Napoléon lin même écrivant ses souvenirs et se trompant sur un chiffre ou sur une date. Quelle précision! Au fur et à mesure que j'avançais dans l'ouvrage, au rythme fougueux que donnait à ses troupes ce dieu de la guerre naissant au monde, je m'inquiétais de la vision d'ensemble que pouvait porter un ouvrage si pointilliste. Ce luxe, cette profusion romanesque de la reconstitution historique ne nuit-elle pas à une véritable compréhension de cette guerre d'Italie, de ses motivations avouables ou inavouables ? me demandais-je, en passant d'un chapitre à l'autre. Et plus j'avançais. Plus je constatais, au contraire, que les personnages de cette grande fresque se mettaient en place et que le lecteur sortait d'un tel livre avec les idées claires, sur le Directoire, sur Napoléon et sur son mythe, sur l'Europe en lutte contre la Révolution française. Manifestement Bornet aime Napoléon, mais il est sans complaisance avec son héros et le montre prisonnier de ses commanditaires, de son idéologie personnelle et finalement de cette armée révolutionnaire dont il est le chef. Parmi les portraits les plus touchants de cette superbe reconstitution qui nous fait assister à l'envol de l'aigle, il y a bien sûr les figures de tel ou tel des futurs maréchaux dont les noms restent attachés à Paris comme une ceinture de gloire, Murat, Berthier, Masséna, et tant d'autres plus ou moins célèbres car la gloire du Corse les a éclaboussés un instant. Mais on s attarde aussi sur les personnages réels ou imaginaires de certains Autrichiens, le maréchal Wurmser qui défend Mantoue et lutte contre les Jacobins impies, ou Hans le jeune volontaire retrouvé mort agrippé à son drapeau, après Rivoli.

Ce monde-là, cette Europe-là ne veut pas mourir. Metternich finalement l'emportera d'ailleurs sur Bonaparte, mais à quel prix ! Nous n'en sommes - pour lors - qu’au prélude de cette symphonie héroïque qui ébranla l'Europe jusqu'à Waterloo. Est-ce un présage ? Le livre se termine sur la mort de Venise, république sérénissime, promenant orgueilleusement le Lion qui lui sert d'emblème sur tous les rivages de la Méditerranée et qui n â pas survécu à ces nouveaux républicains, va-nu-pieds trop impatients de se mettre à table, sans foi ni loi, sans respect ni piété pour la belle endormie au fond de sa lagune...

C'est une véritable furia historique qui saisit Philippe Bornet évoquant Bonaparte, et elle est communicative. Le général Lacaze, préfaçant cet ouvrage, souhaite que la campagne d'Italie ne soit qu'une « première étape » dans le travail de l'historien.

Quelle oeuvre magnifique en perspective: nous faire revivre Austerlitz (c'était un 2 décembre) et puis Waterloo, nous faire vivre au rythme de la pensée et au risque des contradictions de ce "petit caporal" que l'on peut égaler aux plus grands conquérants et dont on peut déplorer en même temps que sa gloire ait recouvert d'une fine poudre d'or ce que Pierre Chaunu appelait « le grand déclassement français».

Philippe Bornet, La furia, Bonaparte en Italie, éd France-Empire.