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Joël Prieur

Nouvelle revue CERTITUDES - juillet-août-septembre 2002 - n°11

Daniel Lindenberg s'inquiète: et si l'ordre revenait à la mode ? Il est vrai que « le ventre de la bête immonde n'est plus fécond » (sic) répète-t-il mécaniquement, comme pour se rassurer lui-même. Mais lorsqu'on constate, en 2002, l'apparition dans le paysage intellectuel, français de « nouveaux réactionnaires », il y a tout de même de quoi s inquiéter, de quoi s'alarmer.

Vigilance! vigilance! nous crie-t-il, comme au bon vieux temps des années 30. Et puis le crieur se fait sycophante, il donne des noms, beaucoup de noms très disparates et, à défaut de chef d'orchestre, il désigne à la vindicte des bien-pensants deux symboles qui doivent cristalliser la méfiance de tous les vrais démocrates : Michel Houellebecq et Maurice Dantec. Le premier est ouvertement islamophobe et il dit à qui veut l'entendre que le libéralisme sexuel est une impasse : le monstre, il veut vraiment désespérer Billancourt et empêcher le monde de tourner rond, pense Lindenberg en parfait collaborateur de l'ordre nouveau. Il est vrai (on se console comme on peut) qu'une telle désinvolture a coûté le Goncourt à cet écrivain de talent, mais - et voilà le drame d'aujourd'hui - sa notoriété n'a fait que croître depuis lors. Quant à Dantec, poursuit le délateur, ses insomnies de dépressif chronique lui ont ouvert un monde de lectures interdites, qu'il assume aujourd'hui en toute décontraction. Deux siècles après la Révolution française, il existe donc un auteur pour revendiquer le contre-révolutionnaire Joseph de Maistre et l'intégrer dans son panthéon littéraire ! Cinquante ans après que l'humanité ait connu les heures les plus sombres de son histoire, il se trouve un folliculaire pour défendre la mémoire de Drieu La Rochelle! Etonnement de Lindenberg, qui décide de mener une enquête exhaustive sur ces nouveaux réactionnaires. Comment pourrait on les caractériser ? Lindenberg est bien en peine de nous expliquer pourquoi il met dans le même sac Pierre Marient et Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut et Maurice Dantec... Il se hasarde néanmoins : « Au fond, ce qui gît au cceur de cette nouvelle sensibilité et cherche confusément sa formulation conceptuelle depuis quelques années, c'est un nouveau jugement sur la démocratie » (p. 14). Les mânes de Charles Maurras, le grand théoricien royaliste, hantent l'esprit du zélateur stalinien de la Pensée unique. Son nom revient régulièrement ; il est cité dès la première page à propos de la célèbre distinction entre le pays réel et le pays légal. Que signifie cet appel au peuple « réel », se demande Lindenberg, sinon « une méfiance à l'égard de l'Etat de droit ». M. de La Palice aurait sans doute apprécié cette explication. Que nous propose notre zélé zoïle en lieu et place de cette méfiance ? Une foi inconditionnelle dans « le triangle d'or », démocratie-droit de l'homme-état de droit (p. 14).

C'est justement dans cette foi inconditionnelle que gît l'ambiguïté du livre. Le titre choisi pour cette enquête dans la tribu des intellectuels marque bien la dualité de Lindenberg lui-même. L'essayiste entend d'abord décrire un état d'esprit réactionnaire, qui se marque par une réévaluation des pensées de l'ordre. Cet ordre-là, c'est entendu, il le déteste, il est détestable et tout le monde doit le détester. La haine obligatoire n'est plus la haine, pense sans doute notre entonneur de Patenôtre, s'il pense à quelque chose en diluant son fiel à chaque page. Mais en même temps qu il nous écrit sa détestation de l'ordre, ce censeur nous rappelle tous à l'ordre, en interdisant et en diabolisant toute critique, grâce au bon vieux procédé de l'amalgame : « Sans inquisition ni vigilance maniaque, on peut considérer que Dantec restaure une bibliothèque politique qu'il est très difficile de distinguer de celle que l'on peut trouver dans une librairie d'extrême droite ou dans les stands d'une fête bleu-blanc-rouge » (p. 92).

Pour qui roule Lindenberg ? Le sait-il lui-même ? Il s'agit sans doute d'un de ces innombrables stipendiés qui adorent leur servitude. Tout juste, ce livre nous le montre-t-il parfois comme fasciné par ce qu'il dénonce: « Certaines des flèches décochées par les nouveaux réactionnaires vont dans le mille » soupire-t-il (p. 44).

Il me vient une pensée affreuse : n'y a-t-il pas beaucoup de complaisance dans ces 95 pages ? Lindenberg ne serait-il pas lui aussi, de manière plus ou moins consciente, un de ces nouveaux réactionnaires qu'il dénonce ? Un peu comme ce chroniqueur de cinéma catholique, qui allait voir tous les films X à l'affiche, en en rendant compte méthodiquement à ses lecteurs - métier oblige ! Mais au-delà de ces considérations toutes personnelles, la polémique parisienne suscitée par ce petit livre mérite sans doute que l'on insiste sur la morale de cette histoire. En se mettant ouvertement du côté de ceux qui rappellent à l'ordre, en jouant sans complexe les maîtres censeurs, Lindenberg montre a contrario où est la liberté de penser et où demeure l'avenir de l'intelligence. Messieurs les censeurs, bonsoir!

Daniel Lindenberg, Le rappel à l'ordre, Enquête sur les nouveaux réactionnaires, éd. du Seuil.