Dans
son dernier ouvrage, Le feu sacré, Régis Debray évoque le problème de
la réforme liturgique. Oh ! il n'en ressort pas une doctrine, c'est une
conviction qui se manifeste. Lecture cursive.
«
Une liturgie tient mieux la route qu'une philosophie. Mille deux cents ans pour
l'ordinaire de la messe catholique en latin, qui, de Charlemagne à Vatican II,
avec l'inflexion du Ritus servandus de 1568, le missel de Pie V, n'a pour
l'essentiel pas changé. N'importe quel rituel est une petite machine à
remonter le temps. Ou plutôt le renouvellement lustral d'une Première Fois
immaculée, dont la répétition fait tourner à l'envers nos aiguilles de
montre, vient-il réduire le fossé entre nos heures et l'éternel. (...)
Reconstituant est ce présent bien encadré : il remet du stable au coeur de
l'instable. L'Eglise catholique qui admet plus de sacrements (sept) que les
protestants (deux) tranquillise mieux ses ouailles que les Eglises réformées.
(...) Mais nos anxiolytiques ont un ennemi sournois : la routine. Pasteurs et prêtres
deviennent des officiers d'état civil, le baptême une formalité et la
communion un signe de bonnes moeurs. La gestuelle se tasse en gesticulation. Il
faut alors rétablir un minimum de transparence pour que le charme continue d'opérer
: pas trop (nos chants d'église en français benêt) ni trop peu (le slavon
liturgique). Même si le sacré ne doit pas être complètement intelligible
comme l'avait vu Brassens (« sans le latin, la messe nous emmerde »)(...)
Rien
d'étonnant que les sociétés de pensée qui économisent sur le décorum aient
la vie brève ; alors que les sodalités initiatiques vieillissent moins vite.
La doctrine du Grand Orient de France s'expose en six lignes de lieux communs :
la recherche de la vérité, le perfectionnement intellectuel et social de
l'humanité, la concordance générale, avec pour idéaux la tolérance, le
respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience. Le fil
d'or d'une obédience qui relie en son sein des générations, n'est pas à
chercher dans ce programme de sénateur à vie (centriste), même si la pauvreté
intellectuelle d'une telle plate-forme ne laisse pas de surprendre. On la
trouvera plutôt dans les usages et procédures reconduits depuis le XVIIIe siècle,
qui porte l'essentiel de la symbolique (...)
Au
fond les fidèles ne s'y trompent pas qui tiennent beaucoup plus à leurs rites
qu'à leur dogme. Toucher au rituel est infiniment plus mutilant que de toucher
à une vérité de foi. Les ouvertures de Vatican II sur le magistère de vérité
ont inquiété beaucoup de cathos, la réforme liturgique les a divisé. Le
schisme intégriste de Mgr Lefebvre est dû à la liturgie autant qu'à la
reconnaissance de la liberté religieuse (...) Sur les droits de la conscience -
des goûts et des couleurs. Mais remplacer le latin par le vernaculaire, réorienter
l'autel vers la nef pour célébrer face à rassemblée, cela, c'est beaucoup
plus grave. (...) La réforme de l'Ordo Missae de 1969 atteignait inévitablement
les défenses immunitaires d'un corps fragilisé. Tous sur le pont. Une
liturgie, c'est plus qu'un spectacle, c'est une assurance vie » (Op. cit.
Fayard, 396 pp., mars 2003, pp. 256-257).
Cette
sainte colère d'un agnostique donne à penser... Cette foi dans la liturgie
donne à espérer... même si elle n'est pas tout à fait la nôtre !
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