Beaucoup de bruit ces
temps-ci autour de la messe traditionnelle, célébrée le 24 mai dernier à la
Basilique Sainte Marie Majeure... L'occasion paraissait pourtant presque banale
: sur la demande de laïcs italiens de l'association Una vox, le cardinal Castrillon
Hoyos a célébré la messe selon le rite dit de saint Pie V. La mayonnaise est
montée lorsque deux journaux, d'habitude bien informés, le Times de
Londres et Il Messaggero de Turin ont affirmé qu'au cours de cette
messe, trois des quatre évêques sacrés par Mgr Lefebvre seraient réintégrés
dans l'Eglise officielle... Bobard de guerre, bien sûr. Depuis les "tirs
amicaux" en Irak, on devrait avoir pris l'habitude de la désinformation
permanente, mais quand l'Eglise est en jeu, on n'arrive pas à s'y résoudre...
Il faut bien reconnaître
pourtant que c'est la guerre au Vatican, une guerre qui n'a pas fini de faire
parler d'elle, alors que le pape Jean Paul II choisit sa quatorzième encyclique
pour déclarer haut et fort qu'il est temps de revenir à la théologie tridentine
de la messe. L'enjeu de cette guerre peut échapper au profane, qui a rapidement
tendance à penser que les ecclésiastiques ne savent parler que du sexe des
anges. Mais cette fois, c'est infiniment plus grave : il s'agit encore et
toujours du concile Vatican H, dont l'Église ne finit pas de se remettre, il s'agit
du symbole de ce concile, la messe nouvelle dite de Paul VI.
Retour au concile
de Trente
Pour les tenants
sincères de Vatican n, il est clair que ce concile marque une sorte de ligne de
fracture entre deux mondes, entre deux époques, entre deux identités
chrétiennes. Tout retour en arrière est impossible. Alors, parce qu'à trois
reprises, au cours de sa quatorzième lettre encyclique, Jean Paul II, dans une
atmosphère de fin de règne et de dispositions testamentaires, a enfreint cette
loi de l'histoire, ne craignant pas d'évoquer son admiration pour un autre
concile, le concile de Trente, la tension est montée à son comble...
Néanmoins, il n'y a eu à
ma connaissance qu'un seul kamikaze à prendre publiquement position contre
l'esprit nouveau, l'esprit de respect et de piété envers la Tradition, qui
transparaît dans l'encyclique Ecclesia de eucharistia. Bien entendu,
c'est dans les colonnes de La Croix qu'il a trouvé refuge, il s'agit de
l'ancien directeur de l'Institut Supérieur de Liturgie à la Catho, successeur
du Père Gy, le Père De Klerck. La violence de son réquisitoire anti-pape
contraste avec cette personnalité couleur muraille, qui jusque-là ne s'était
guère mise en avant. A-t-il servi de porte-plume à d'autres, que leurs
fonctions ou leurs charges retiennent de s'exprimer ? C’est possible. En tout
cas, jamais son opinion n'avait ébranlé qui ou quoi que ce soit, au cours de sa
carrière scientifique. Oh ! Dans certain petit livre de vulgarisation qu'il
commit, on vit bien où allait son cœur. L'épisode vaut qu'on y revienne : la
nouvelle liturgie ajoute, après la récitation du Pater, la formule d'origine
protestante : « Car c'est à Toi qu'appartiennent le règne la puissance et la
gloire. » Il avoua que cette réforme ne lui paraissait pas heureuse en nos temps
de démocratie et de droits de l'homme... Donner gloire à Dieu, cette attitude
d'un autre âge scandalisait notre curé soixante-huitard. Oui, tel est De Klerck
: ni meilleur ni pire qu'un autre, mais bien dans sa génération...
C'est un scandale du
même genre qui secoue aujourd'hui notre expert liturgiste : « L'encyclique,
déclare-t-il, oublie de se situer dans un cadre historique. Elle reste dans un
cadre théologique qui est strictement celui du XIIIème siècle. » Oh ! M. le
professeur n'est pas entièrement négatif sur ce document : « Ce texte, dit-il,
a incontestablement du souffle. On sent un homme (sic : il s'agit du pape
enseignant comme pape) qui veut marquer sa foi sur (re-sic) l'eucharistie et
insiste sur l'impulsion qu'elle donne à la vie. L'eucharistie sème dans le
monde le germe de l'histoire nouvelle dans laquelle les puissants sont
renversés de leurs trônes. On sent là quelqu'un qui parle vrai. »
Le schisme mou du
père De Clerck
Le Père De Clerck a
raison de souligner que cette encyclique reste attachée aux présupposés
conciliaires pour tout ce qui concerne la théorie de la construction du Royaume
de Dieu sur la terre. Hélas ! Rien n'est parfait. Mais cet aspect mineur de la
réflexion pontificale est devenu sous la plume de l'expert l'aspect le plus
important de l'encyclique, le seul qui soit conciliairement récupérable. Pour
le reste, hélas, « il manque toute une vision théologique, largement reçue,
plus ample, plus riche (comprenez qu'il s'agit de la sienne) ». Quant à la
théologie de saint Thomas dont le pape se sert largement, « elle a su faire ses
preuves, mais son auteur répondait aux besoins théologiques et aux
préoccupations d'une époque »... Fermez le ban ! Le réquisitoire du Père De Clerck
représente une des plus belles manifestations du schisme mou que j'ai vue
depuis longtemps, il pense qu'il peut se le permettre parce qu'il a sans doute
l'impression de parler au nom d'une majorité des prêtres de sa génération. Mais
voilà quelqu'un que l'on bouleverserait si on lui disait que lorsqu'il taxe la
foi du pape de médiévale, il se trouve, lui, objectivement schismatique ! Et
pourtant il en est bien ainsi... Oh ! M. le professeur qualifierait sans doute
en retour ce genre de considération de purement médiévale. Je suis prêt à
reconnaître, quant à moi, que le cadre dans lequel je définis son schisme n'a
pas évolué depuis... le Moyen Age... Mais cela ne change rien à l'affaire ! Le
schisme est bien là !
Une encyclique
libératrice
La quatorzième
encyclique de Jean Paul II est parue à l'occasion du Jeudi saint - le 17 avril
dernier. Elle risque fort de marquer durablement la vie de l'Eglise : enfin
l'omerta est rompue. On peut parler de théologie sacramentelle et on doit en
parler dans des termes qui sont ceux de la Tradition...
Je vois trois raisons de
nous réjouir immédiatement. Disons d'abord d'un mot : le pape, en 61
paragraphes, retrouve les accents de la théologie et de la spiritualité
traditionnelle pour évoquer le Mystère de ce qu'il nomme lui-même « le très
saint sacrement » (n°26 ). Mais ce n'est pas tout : Jean Paul II semble
répondre tout particulièrement aux critiques récentes de la Fraternité Saint-Pie
X, comme le remarquait sur le coup Yves Chiron avec son habituelle acribie dans
son bulletin Aletheia. Il y a mieux encore : Jean Paul II admet
intégralement la teneur de ces critiques et tente dans cette encyclique une rectification
du Concile.
Voici des exemples de ce
que j'avance :
a- D'abord concernant le
sacerdoce des laïcs et leur capacité a participer comme acteurs à la liturgie, le pape prend le
contre-pied du concile en général et de Lumen gentium en particulier ;
il réaffirme sur ce point la doctrine traditionnelle, initiée dans ses Jentacula
par Cajétan (contre Luther). Voyons le texte de l'encyclique pour entrer un
peu plus avant dans l'analyse de ce problème absolument crucial.
Jean Paul II cite le
concile : « Participant au sacrifice eucharistique, les laïcs offrent à Dieu la
victime divine et s'offrent eux-mêmes avec elle » (LG 11). Quiconque lit
attentivement cette formule de Vatican II aperçoit une double offrande des
fidèles, celle par laquelle ils s'offrent eux-mêmes en un sacrifice spirituel
et celle par laquelle, participant activement à la liturgie, ils offrent le
corps et le sang du Christ avec le prêtre, « président de cette action sacrée
». Délibérément, le pape ferme le champ ouvert ici par le concile. De manière
très traditionnelle, il évoque le sacrifice spirituel des fidèles qui, sur la
patène avec l'hostie, offrent leur cœur et leur vie en même temps que le Christ
: « En donnant son sacrifice à l'Eglise, le Christ a voulu également faire sien
le sacrifice spirituel de l'Eglise, appelée à s'offrir aussi elle-même
en même temps que le sacrifice du Christ » (n°13). Mais il faut noter qu'il
fait silence sur une offrande par les fidèles du corps et du sang du Christ,
alors que cette erreur théologique se trouve en toutes lettres dans Vatican II.
Et quelques lignes plus bas, il explique les raisons de ce silence sur ce qui
est pourtant à la fois la lettre du concile et l'esprit de la nouvelle liturgie
: « L'eucharistie est un don qui dépasse radicalement le pouvoir de l'assemblée
» (n°29). Que de chemin parcouru depuis le fameux article 7 de Missale romanum,
où l'on définissait la messe comme « l'assemblée du peuple de Dieu » ! Quelle
joie pour tous les chrétiens de voir que, sans le dire trop fort, l'Eglise, par
la voix du pape, revient sur ce point à sa Tradition.
Jean Paul II en retrait
sur le Concile concernant trois points...
b- Voyons maintenant un
deuxième problème : le caractère sacrificiel de la messe. Le pape, dans sa
dernière encyclique, insiste sur le fait que le sacrifice de la messe « est un
sacrifice au sens propre et non au sens générique, comme s'il s'agissait d'une
simple offrande que le Christ fait de lui-même en nourriture spirituelle pour
les fidèles » (n°13). Et il ajoute : « C'est avant tout un don au Père,
sacrifice que le Père a accepté, échangeant le don total de son Fils qui s'est
fait obéissant jusqu'à la mort, avec son propre don paternel, c'est-à-dire avec
le don de la vie nouvelle et immortelle dans la Résurrection ». Jean Paul II
n'emploie pas le mot : sacrifice propitiatoire, mais il paraphrase de
belle manière cette expression... Il lève, ce faisant, l'une des principales
ambiguïtés de Sacrosanctum concilium, la constitution conciliaire qui
évoque fréquemment le sacrifice du Christ, mais qui s'est abstenue d'en définir
l'enjeu vital pour tous les hommes et qui ne précisait en rien son caractère
propitiatoire... Un regret subsiste cependant : il n'est pas question de la
justice de Dieu, offensé par les péchés des hommes, mais uniquement de son
amour. Qu'est-ce donc qu'un amour sans justice ? Pourquoi avoir peur de ce mot
? Pourquoi avoir peur de parler du salut de chaque âme, passée au crible par le
Divin Juge ?
c- Le troisième point sur lequel Jean Paul II
s'attarde, c'est la notion du « mystère pascal ». On aurait pu craindre
(dans la ligne des critiques émises récemment à travers le livre publié par la
FSSPX) que ce mystère pascal, dans l'esprit du pape, soit une simple
représentation, un mémorial purement scénique ou médiatique, comme cela tendait
à l'être sous la plume d'un théologien des années Cinquante comme Dom Casel. Il
n'en est rien. D'emblée, Jean Paul II, évoquant le mystère pascal, écarte cette
hypothèse : « L'eucharistie n'est pas seulement l'évocation mais encore la représentation
sacramentelle. C'est le Sacrifice du Christ qui se perpétue au long des siècles
» (n°11). Notons au passage le trait d'union, qui coupe en deux le mot représentation,
pour lui donner un sens réaliste : présentation nouvelle du même fait. Dans
cette présentation nouvelle « s'opère l'oeuvre de notre rédemption » (loc.
cit.).
Deux conséquences
: pour celui qui célèbre et pour ceux qui communient
Ce réalisme sacramentel
a deux conséquences immédiates que le pape n'a pas manqué de relever. Tout d'abord
quant au ministre de l'eucharistie : Le prêtre célèbre la messe « in persona Christi
», Vatican II est d'accord sur ce point (dit le pape) avec toute la Tradition,
en particulier avec le magistère des papes du XXème siècle, parmi lesquels il
cite saint Pie X (n°29). Le ministre qui célèbre l'eucharistie vit « une
identification spécifique, sacramentelle au grand prêtre de l'Alliance éternelle
» c'est-à-dire au Christ. Cette célébration est donc au coeur de sa vie
d'homme.
Deuxièmement : quant à
celui qui communie, il doit se trouver en état de grâce, pour recevoir le corps
et le sang du Christ. C'est de manière solennelle que le pape rappelle ce
point, alors qu'aujourd'hui tout le monde communie sans préparation : « Je
désire redire que demeure et demeurera toujours valable dans l'Eglise la norme
par laquelle le concile de Trente a appliqué concrètement la sévère monition de
l'apôtre Paul, en affirmant que pour une digne réception de l'eucharistie,
"si quelqu'un est conscient d'être en état de péché mortel, il doit
auparavant confesser ses péchés" » (n°36).
Je pense que, parvenu à
ce point, le lecteur comprendra clairement que cette quatorzième encyclique
papale, L'Eglise vit de l'eucharistie, marque le grand retour de
la théologie du concile de Trente dans la présentation aux fidèles du saint
sacrement de l'eucharistie. A trois reprises, Jean Paul II évoque avec une
grande solennité les décisions « toujours valables » de cette assemblée antiluthérienne
(n° 9 ; n°15 ; n°36) et « l'admiration » qu'il éprouve pour leur rigueur.
Deux vaticanistes
anti-tridentins
Normal, direz-vous sans
doute ! Mais Jean Paul II n'ignore pas qu'il s'oppose formellement, ce disant,
aux lobbies progressistes les plus influents, il y a deux ans, le 2 avril, dans
La Croix, le Père Bruno Chenu (récemment décédé) s'en prenait violemment à ce
qu'il appelait « la théologie lefebvriste ». Il expliquait tout simplement «
pourquoi Vatican II a "corrigé" le concile de Trente ». Pudiquement
le verbe « corrigé » avait été mis entre guillemets, mais l'article lui-même,
signé par l'un des responsables du journal était extrêmement violent : « C'est
toute une conception de Dieu, du Christ, du ministère et de l'Eglise qui s'est
trouvé transformée » lors du dernier concile, grâce au « ressourcement » du
concile de Trente.
Qu'est-ce qui donna une
telle assurance à ce plumitif ? Qu'est-ce qui lui permit de décréter
l'existence de cette fracture dans l'histoire de l'Eglise entre avant et après
Vatican II ?
On pense immédiatement
aux travaux d'un vaticaniste bien en cour comme Guiseppe Alberigo, qui ne perd
pas une occasion depuis trente ans d'expliquer que « Vatican II marque la fin
du tridentinisme ». Voilà, en tout cas, à travers cette encyclique le désaveu
cinglant que Jean Paul II a souhaité apporter à l'école anti-tridentine, toute
puissante dans l'Eglise post conciliaire et si peu inquiétée dans ses
différentes prébendes...
Ajoutons que le pape
souhaite retrouver non seulement la doctrine de Trente mais aussi la
spiritualité eucharistique traditionnelle, il insiste à plusieurs reprises sur
la « dignité » nécessaire aux célébrations : « Il faut malheureusement déplorer
que surtout à partir des années de la réforme liturgique post-conciliaire, en
raison d'un sens mal compris de la créativité et de l'adaptation, les abus
n'ont pas manqué, et ils ont été des motifs de souffrance pour beaucoup, une
certaine réaction au "formalisme" a poussé quelques-uns en particulier
dans telle ou telle région [suivez mon regard] à estimer que les
"formes" choisies par la grande tradition liturgique de l'Eglise et
par son Magistère ne s'imposaient pas. » On a ainsi « introduit des innovations
non autorisées et de mauvais goût ». Curieusement, Jean Paul II ne rappelle pas
que c'est suite à la volonté expressément manifestée par les Pères conciliaires
que les expériences liturgiques se sont multipliées, sous le seul contrôle de
l'évêque local (cf. SC n°40, §2). Là encore, on s'éloigne de Vatican II sans le
dire.
Et que penser des
encouragements apportés dans l'encyclique à la vénération de l'eucharistie en
dehors de la messe, aux processions, saluts du Saint Sacrement, communions
spirituelles ? Ce sont des pratiques antéconciliaires qui se trouvent désormais
recommandées. « il revient aux pasteurs d'encourager, y compris par leur
témoignage personnel, le culte eucharistique, en particulier les expositions du
Saint Sacrement... » (n°25).
Quelques
regrets...
On pourrait donc dire
sans exagérer qu'à travers cette quatorzième encyclique, la doctrine et la
piété du concile de Trente font une entrée solennelle dans l'Eglise
conciliaire.
Et pourtant... Il faut
expliquer un étrange silence. En 61 paragraphes, il n'y a pas un mot sur le
rite traditionnel. On nous affirme par exemple que « la foi demeure inchangée
». On ajoute : « il est essentiel pour l'Eglise qu'elle le demeure » (n°27).
Mais le problème spécifiquement liturgique, le problème de l'ordonnance
concrète du culte divin n'est pas abordé. On nous promet un document plus
spécifique sur ce thème (n°52). Mais en attendant, on n'hésite pas à définir l’apostolicité
de la liturgie par l'apostolicité de la foi en la liturgie, comme si la
permanence des rites eux-mêmes n'avait aucune importance. Comme si la foi des
fidèles n'était pas conditionnée par les rites qui l'expriment plus ou moins
clairement.
Cette persistance
apostolique des rites n'a pas retenu l'attention du rédacteur de l'encyclique :
« L'eucharistie est apostolique parce qu'elle est célébrée conformément à la
foi des apôtres » (n°27). Ce n'est pas ainsi que le jésuite Suarez définissait
l’apostolicité de la liturgie, il parlait quant à lui des rites reçus des
apôtres (apostolicae caremoniae), cela n'est pas la même chose ! En son
temps, le Père Bouyer avait démontré que l'apostolicité de la liturgie n'est
pas seulement vérifiable dans l'ordre de la
signification des rites, mais aussi à travers la matérialité de leur
persistance, en remontant au culte rendu dans le Temple de Jérusalem et dans
les synagogues... Hélas, cette partie de son oeuvre semble aujourd'hui devenue
lettre morte... Nouvelle liturgie et nouveaux rites obligent !
Dans un document sur la
messe, ce silence de Rome sur la liturgie a de quoi intriguer l'observateur.
On peut en proposer deux
explications, pas incompatibles l'une avec l'autre d'ailleurs. Soit l'on se dit
: le pape a admis la théologie traditionnelle de la messe, il ne peut pas
régler en même temps tous les problèmes, il finira bien par revenir au rituel
qui va avec... Soyons heureux de ce rappel de la foi catholique en
l'eucharistie. Cette encyclique est libératrice. Le peuple chrétien, opprimé
dans la rectitude de sa croyance par de mauvais pasteurs, trouvera de fait dans
ce texte un moyen de se défendre contre tout amoindrissement de la foi
eucharistique dans les paroisses.
Soit l'on préfère penser
que la domination intellectuelle du concile Vatican II persiste à Rome et que
cette dissociation entre le fond théologique et la forme liturgique de la messe
est affreusement typique des structures mentales héritées de l'esprit du
concile : « Autre est le fond, autre la forme » vaticinait déjà Jean XXIII dans
son Discours d'ouverture. Cet unijambisme spirituel (qui fait considérer les
formes de la prière et les expressions de la foi comme purement facultatives) a
déjà fait bien des ravages ! dans ce contexte, le moins que l'on puisse dire
est qu'un simple rappel théologique, si précis soit-il, est insuffisant, pris
en lui-même, parce qu'il fait silence sur ce qui est, pédagogiquement
l'essentiel de la crise : le vide rituel. On ne fera pas l'économie d'un retour
aux formes dans lesquelles l'Eglise offre sa Tradition depuis des siècles. Mais
en même temps, on peut penser qu'après avoir retrouvé la théologie du concile
de Trente, l'Eglise finira par reprendre d'elle-même le chemin des « cérémonies
traditionnelles héritées des apôtres » comme dit Suarez. Il suffit d'attendre !
Et d'abord d'attendre, comme le demande Mgr Fellay depuis deux ans, la
reconnaissance par Rome du droit imprescriptible de la liturgie traditionnelle.
La messe dite du 24 mai
a fait couler suffisamment d'encre pour qu'on la nomme ainsi. Simple (et
hardie) demande de l'association italienne Una vox, comme je le disais
tout à l'heure, elle est devenue très rapidement un enjeu majeur pour toute la
mouvance de ceux que l'on nomme les ralliés et que l'on pourrait appeler plus
respectueusement mais moins éloquemment les catholiques Ecclesia Dei... « II y
a des moments où l'histoire s'accélère » me confiait récemment l'un des
responsables de ce mouvement avec un chevrotement dans la voix.
En fait d'accélération
de l'histoire, les amateurs de sensations fortes risquent tout de même d'être
un peu déçus. 3000 personnes (dont quelques centaines de Français), six cardinaux
(dont le célébrant), deux pères Abbés... La manifestation avait grande allure à
Sainte-Marie Majeure en ce samedi de mai...
« Cette demande va du
reste bien au-delà du nombre que vous êtes » déclarait le cardinal Castrillon Hoyos,
préfet de la Congrégation du Clergé durant son homélie. Le message de Rome aux
fidèles n'eut pourtant rien d'apparemment sensationnel ; il faut lire de très
près le texte de cette adresse aux fidèles pour y déchiffrer une évolution.
Mais il n'est pas permis
d'ignorer que - dans la célébration très respectueuse de la liturgie, comme
dans tel passage de l'homélie - on découvre un vrai changement de ton à l'égard
du rite romain traditionnel. Dédaignant les textes du magistère récent sur ce
sujet - tous trop restrictifs - le cardinal ne fit aucune référence à l'induit
de 1984 Quattuor abhinc annos, dans lequel le pape se donnait le
ridicule d'autoriser (au compte-gouttes !) la célébration de la messe dite de
Saint Pie V. Dans ce texte, (entre autres brimades) il avait été prévu que le
célébrant - dûment patenté par l'évêque local pour procéder à la célébration -
couche dans un registre les noms de tous les assistants. Ce principe de l'album
des présents a dû revêtir une certaine importance dans l'esprit des
apparatchiks qui nous gouvernent spirituellement, puisqu'on le retrouve encore
dans les documents érigeant l'administration apostolique Saint Jean-Marie
Vianney en janvier 2002, à Campas au Brésil : les prêtres de Campos qui
appartiennent à cette administration ont le droit de célébrer la messe
traditionnelle, du moment qu'ils le font devant des chrétiens qui ont bien
voulu inscrire leur nom dans l'album (in albo dit le texte latin), dans
le registre de ladite administration. Quant à Ecclesia Dei afflicta, le
Motu proprio du 2 juillet 1988 qui a scellé la réponse romaine aux quatre
sacres effectués par Mgr Lefebvre, il renvoyait dès les premières lignes aux
dispositions disciplinaires de Quattuor abhinc annos. Ces différents
textes envisageaient toujours la célébration de la messe traditionnelle comme
une tolérance (ou comme un privilège, si l'on veut être positif). On restait
dans l'ordre de la privata lex.
Le cardinal Castrillon
Hoyos reconnaît le droit de citoyenneté de la messe traditionnelle
La grande nouveauté du
discours du cardinal Hoyos, le 24 mai à Sainte-Marie-Majeure, c'est qu'il ne se
place plus désormais dans la perspective d'une privata lex. Il ne parle
plus de permission ou d'autorisation, il ne décrit plus aucun privilège ni ne
formule une tolérance. Il ose enfin parler du « droit de citoyenneté » ou de «
droit de cité » du rite romain traditionnel dans l'Eglise. La messe de Saint
Pie V est redevenue une messe citoyenne !
Certes, un discours n'a
pas force de loi par lui-même. Ce terme, employé par un cardinal de Curie, ne
changera pas la face du monde, il est très utile néanmoins, car, en réinscrivant
la messe traditionnelle dans le droit général, il reconnaît que la Tradition
liturgique n'a pas besoin d'une loi pour exister dans l'Eglise. Sa fonction
actuelle de préfet de la Congrégation du clergé, c'est-à-dire de responsable de
tous les prêtres du monde, donne une indéniable force à son discours.
L'événement n'est donc pas si microscopique que cela, il importe sans doute de
donner le maximum de publicité à ce changement de ton, que l'on considérera
désormais comme un acquis dans le combat de la Fraternité Saint-Pie X pour traditionaliser
l'Eglise universelle.
J'ajouterai simplement
quant à moi que si, par la bouche de ce cardinal, Rome a reconnu avec une
certaine solennité le droit de la messe traditionnelle, on devra bien
reconnaître aussi le droit imprescriptible des Mêles de rite latin à y assister
et à se sanctifier par elle...
Et il faudra donc que
soit souligné le déni de justice dont ont été victimes pendant tant d'années
les catholiques attachés à la Tradition liturgique et que l'on a, pour ce
motif, considérés comme des parias à l'intérieur de l'Eglise. Voilà une vraie
repentance en perspective, une repentance qui ne concerne pas des prédécesseurs
lointains, sur la poitrine desquels on bat... leur coulpe, une repentance
vraiment évangélique, une demande de pardon des responsables aux victimes...
Quel beau geste d'unité et de fraternité chrétienne ! Rien qu'à l'imaginer,
j'en suis ému ! « Nous demandons solennellement pardon aux fidèles et aux
prêtres qui, dans le désordre liturgique universellement régnant, sont restés
attachés à la liturgie traditionnelle et qui, pour ce motif, ont été chassés
des églises et considérés comme excommuniés contre toute justice».
Si une telle cérémonie
se présentait, on pourrait dire que l'Eglise aurait ouvert ses fenêtres toutes
grandes à l'Evangile et à l'Esprit saint qui le grave en nos coeurs. Quel
spectacle de chrétienté ! Quel geste noble ! Quel signe fort ! Quelle paix ce
serait entre les chrétiens, réconciliés par leur Tradition commune !
Ab hoste maligno...
Mais ne rêvons pas ! Il est
sans doute trop tôt encore...
Le cardinal Hoyos semble
pourtant conscient de la gravité de l'enjeu, puisque dans les derniers mots de
son prêche, il demande (en latin hélas, et cette fois je m'en plaindrai !),
qu'« avec le secours de la Vierge Marie, nous puissions remporter ensemble la
victoire sur l'Ennemi qui est le Malin : Ab hoste maligno ! face
à l'ennemi, il ne faut pas rêver, il faut agir.
Nous sommes au début de
la longue marche vers la Justice dans l'Eglise, justice qui ne fera aucune
acception de personne mais sera pour le seul service du Christ et de son
Evangile. Pour la survie de l'Eglise catholique, apostolique et romaine au XXIème
siècle !
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