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M. H.

Nouvelle revue CERTITUDES - n°12

Ce texte a été publié accompagné de notes de bas de page, que nous ne reprenons pas ici.

Voici deux ans le cardinal Castrillon-Hoyos tentait de réintégrer les traditionalistes dans l'Eglise conciliaire et, au prix d'une mitre, obtenait le ralliement de la Fraternité Saint-Jean-Marie-Vianney de Campos. Aujourd'hui une nouvelle onde romaine fait tanguer la flottille de la Tradition catholique.

Le 17 avril dernier, Jeudi saint, Jean-Paul II envoyait au monde une lettre encyclique intitulée Ecclesia de eucharistia. Dans ce document « aux accents conservateurs » selon l'AFP, il dénonce certains « abus qui n'ont pas manqué » et certaines « manières de faire inacceptables ». Il évoque la doctrine de la « transsubstantiation » du concile de Trente. Réaffirmant que seul un prêtre peut célébrer l'eucharistie et prohibant la communion des pécheurs publics, il condamne les célébrations eucharistiques inter-religieuses. « Le mystère eucharistique - sacrifice, présence, banquet -n'admet ni réduction ni manipulation », déclare-t-il.

Reprise en main ? Certains le pensent. « Rectification du concile », « réhabilitation de la doctrine de la messe » a-t-on pu lire. Ce ne serait qu'un début : « face aux abus liturgiques qui sont fermement dénoncés, Jean-Paul II prévient que les dicastères compétents préparent pour octobre prochain "un document plus spécifique, avec des rappels, d'ordre juridique" (N° 52) », triomphe Christophe Geffroy''.

Un mois après, le 24 mai, le cardinal Castrillon-Hoyos célébrait a Sainte-Marie-Majeure la messe de saint Pie V. Annoncée à grand renfort de publicité, cette célébration fut interprétée par les média comme « un geste de réconciliation » destiné aux lefebvristes.

Faut-il croire à un printemps de la tradition ? La lecture objective de l'encyclique interdit malheureusement cette heureuse conclusion.

Les 3 citations du Concile de Trente ne prouvent rien : les textes de Vatican II citent ce concile 21 fois et 24 fois celui de Vatican I. Elles dissimulent mal par ailleurs 26 références à Vatican II, sans compter celles au nouveau code de droit canonique et au nouveau catéchisme et aux écrits de Paul VI ou de Jean-Paul II lui-même. La révolution est beaucoup mieux acceptée quand elle se pare de l'autorité de la tradition. Réaffirmer plusieurs éléments fondamentaux de la doctrine catholique de l'eucharistie était bien le moins.

Un printemps de la Tradition ?

D'ailleurs Trente n'est cité que pour ce qui ne souffre pas de discussion (la transsubstantiation) et non pour ce que Vatican II en a occulté par complaisance aux protestants (la propitiation). Or l'abolition du caractère propitiatoire du saint sacrifice constituait l'essentiel de la réforme liturgique conciliaire. Jean-Paul II, qui ne cite jamais le rite traditionnel, déclare certes que l'Eucharistie est « un sacrifice au sens propre ». Toutefois il se garde d'user du concept de « propitiation ». Il parle seulement d'un « don en notre faveur » et surtout « en faveur de toute l'humanité ».

Le texte de l'encyclique, qui a des accents teilhardiens (« l'Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l'autel du monde », d'où son caractère « cosmique »), est en parfaite conformité avec la doctrine de Vatican II, notamment dans le discours sur l'Eglise.

L'eucharistie y est définie comme le « mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur ». Or le concile de Trente ne rapproche jamais la messe de la résurrection et définit l'eucharistie seulement comme « un seul et même sacrifice [que celui de la croix] et (...) un vrai Sacrifice de propitiation pour apaiser Dieu et nous le rendre favorable ». La supposée commémoration de la résurrection de Ecclesia de eucharistia introduit surtout le concept d’un salut universel : le sacrifice du Fils permet à l'humanité de recevoir du Père « le don de la vie nouvelle et immortelle dans la résurrection ».

De là l'eucharistie est présentée comme un « sacrement de la communion ecclésiale » qui doit déboucher sur « l'engagement oecuménique ». Celui-ci est qualifié de « don spécial de Dieu ». « Le désir de parvenir à limité nous incite à tourner nos regards vers l'Eucharistie, qui est le Sacrement par excellence de l'unité du peuple de Dieu », déclare Jean-Paul II. En clair l'eucharistie, sacrement que les catholiques partagent avec d'autres églises, marque l'unité d'un « peuple de Dieu », Eglise unique du Christ, dont les limites dépasseraient celles de la seule l'Eglise catholique. On reconnaît ici la doctrine conciliaire selon laquelle l'Eglise unique du Christ « se trouve » (subsistit in) dans l'Eglise catholique. Jean-Paul II en tire de surprenantes, mais logiques, conclusions.

La commémoration de la Résurrection introduit le concept d'un salut universel

Tout d'abord, commentant son institution par le Seigneur, l'encyclique explique que le sacrifice eucharistique est offert pour tous. Saint Luc (22, 19-20) rapporte que, le soir de la cène, le Christ déclare offrir son corps pour ses apôtres : « pro vobis », « pour vous ». A ces mots l'Eglise a rajouté dans le canon romain « et pro multis », « et pour beaucoup », c'est-à-dire pour les élus. Saint Thomas explique que la passion du Christ est suffisante pour sauver tout le genre humain, mais qu'elle n'est efficace que « pro multis », « pour un grand nombre ». Après avoir cité le passage de saint Luc, Jean-Paul II ne craint pas de le forcer en déclarant que le sacrifice de la Croix, renouvelé par le sacrifice eucharistique, a lieu « ad omnium salutem », « pour le salut de tous ». N'est-ce pas suggérer que l'on peut se sauver partout et notamment dans toutes les religions?

De là si, conformément à l'antique discipline, l'encyclique rappelle que les concélébrations avec des ministres d'autres religions sont prohibées, ces accents de rigueur ne peuvent dissimuler une stupéfiante révolution. En effet, s'il était toléré avant le concile qu'un fidèle reçoive in articulo mortis les sacrements d'un non-catholique ou qu’un prêtre catholique les administre à un mourant non-catholique, cette pratique n'était jamais permise en dehors de ces circonstances restrictives. Or, à la suite du Concile qui a déclaré que « l'Esprit du Christ ne refuse pas de se servir des Eglises séparées comme de moyens de salut », Jean-Paul II banalise cette pratique : pourvu qu'ils soient de « toute bonne foi », les non-catholiques peuvent recevoir les sacrements catholiques et inversement. En réalité cette pratique de « l'hospitalité eucharistique » n'est pas entièrement nouvelle puisqu'elle était déjà autorisée par le nouveau code de droit canonique. Elle débouche inéluctablement d'une part sur la légitimation des religions non-catholiques comme moyens de salut. Elle suppose d'autre part la hiérarchisation des vérités de foi (notion que le P. Y. Congar considérait comme une des innovations les plus importantes du concile) : certaines vérités, enseignées par plusieurs Eglises, seraient en quelque sorte primordiales, les autres, secondaires par nature, ne réclameraient pas la même adhésion.

Et Jean-Paul II conclut l'encyclique en affirmant que « la voie que l'Église parcourt en ces premières années du troisième millénaire est (...) un chemin d'engagement oecuménique renouvelé ».

Comment ne pas songer ici à saint Pie X dénonçant la duplicité des modernistes : « telle page de leur ouvrage pourrait être signée par un catholique ; tournez la page, vous croyez lire un rationaliste » ? « Bonum ex integra causa, malum ex quocumque defectu », disaient les scolastiques : la chose est bonne lorsqu'elle l'est intégralement, le moindre défaut la rend mauvaise. L'orthodoxie ne se mesure pas au nombre de déclarations orthodoxes, mais à l'absence de déclaration hétérodoxe.

L'entreprise de charme est évidente

Cette encyclique est dangereuse, parce que ses apparences traditionnelles risquent de faire croire aux chrétiens que si la doctrine de Jean-Paul II sur l'eucharistie est conforme au concile de Trente, la messe qu'il célèbre l'est aussi. La conclusion la plus évidente de Ecclesia de eucharistia n'est pas qu'il faut revenir à l'ancien rite, mais que le nouveau est orthodoxe. La grande majorité des fidèles de la Fraternité Saint-Pierre fréquentent désormais les deux rites, ils ont une préférence pour l'ancien, voilà tout. Simple question de sensibilité.

Doit-on voir ici une manœuvre ? Probablement. A force de vouloir s'entendre avec le monde, le Vatican s'est fait une seconde nature de négocier. Les citations du concile de Trente rassureront les traditionalistes. La messe de saint Pie V du Cardinal Hoyos à Sainte-Marie-Majeure marquera le retour en grâce des lefebvristes et la présence à cette célébration de l'excellente chorale de l'église Saint-Eugène à Paris (où le cardinal Lustiger a nommé un jeune prêtre parfaitement conciliaire célébrant les deux rites) montrera aux Parisiens récalcitrants le chemin et les bénéfices d'une réconciliation. L'entreprise de charme est évidente.

Faire accepter le nouveau rite, faire gober le concile et faire cesser la contestation de l'autorité de Jean-Paul II : tout cela vaut bien trois citations de Trente et un peu de latin. D'ailleurs les raisons doctrinales ne seraient pas les seules. Le monde - par la voix de son journal - croit savoir que la réconciliation répond d'abord à une nécessité démographique et la régularisation du clergé de la Fraternité Saint-Pie X « apparaît déjà, à Rome et pour une partie des évêques français, comme une bouffée d'oxygène ».

Mais l'existence d'une manoeuvre change-t-elle quelque chose ?

Faisons nôtre un instant l'ingénuité du grand saint Paul : « la charité supporte tout, croit tout, espère tout, se raccroche à tout ». Supposons donc que Jean-Paul II, à la veille de rendre compte de sa gestion au Martre, souhaite ne pas partir taché de l'excommunication des traditionalistes. Supposons que le cardinal Ratzinger (qui aurait tenu la plume pour Ecclesia de eucharistia) prenne conscience que la foi catholique ne subsiste intègre que chez les intégristes. Supposons encore que certains évêques français au diocèse désert voient d'un bon œil la récupération des florissantes communautés traditionalistes. Supposons donc ici tout le monde, sinon de foi bonne, au moins de bonne foi.

Mgr Fellay a posé deux préalables à un accord : l'autorisation de dire la messe de saint Pie V pour tous les prêtres et la levée des excommunications. Le cardinal Hoyos a déclaré dans son homélie du 24 mai : « l'ancien rite romain conserve dans l'Eglise son droit de citoyenneté au sein de la multiformité des rites catholiques tant latins qu'orientaux. » N'est-ce pas déjà accéder à la première requête de Mgr Fellay ? Des mesures plus concrètes seraient en préparation. Supposons donc que les préalables de Mgr Fellay soient vraiment accordés, convient-il alors que la tradition accepte une régularisation de sa situation et la FSSPX un statut d'Administration apostolique ?

On ne peut répondre à cette grave question sans revenir sur le motif de ta discorde. Avec quarante années de recul, une synthèse de la religion issue du Concile est possible.

Après 40 années une synthèse sur la religion de Vatican II est possible

Si chaque homme détient l'image du Christ au fond de lui parce que la liberté le fait à l'image de Dieu et que le Christ en s'incarnant s'est uni à tout homme, si la foi au Christ est seulement une prise de conscience, c'est-à-dire une adhésion intime à une révélation intérieure de cette image, si l'Eglise n'a que le rôle d'un catalyseur, à la manière dont les produits chimiques permettent de révéler l'image qui a impressionné une pellicule photographique, alors il est inévitable que les quelques vérités enseignées aussi par les autres religions jouent, bien qu'imparfaitement, leur rôle de révélateur. De là il faut que le salut passe aussi par ces autres religions, d'où l'idée d'une Eglise du Christ dépassant les frontières de l'Eglise catholique. Il est alors non seulement légitime mais nécessaire que toutes les religions s'unissent pour former cette Eglise du Christ, véritable arche de salut constituée des hommes ayant pris conscience du Christ. D'où la liberté de la conscience, la liberté religieuse, le dialogue interreligieux et l'hospitalité eucharistique. Alors le sacrifice du Christ n'a pas lieu seulement « pour les élus qui sont nombreux » (« pro multis »), mais bien aussi « pour la multitude ». L'Eglise, ou plutôt les Eglises, sont désormais au service de l'homme, de tous les hommes, pour les aider à prendre conscience du Christ.

Cette doctrine est-elle compatible avec l'enseignement traditionnel de l'Eglise ?

L'Eglise enseigne bien que les lumières de la simple raison permettent aux hommes de découvrir l'ordre que Dieu a voulu dans la nature. Cet ordre, que les théologiens appellent « loi naturelle », est donc en quelque sorte inscrit dans le coeur de chaque homme, lequel en le respectant, et dans l'ignorance de toute révélation, peut se sauver. Mais la révélation du Christ est un événement historique parfaitement extérieur aux hommes. Il est donc impropre de penser que le Christ, qui constitue cette révélation, soit présent en tant que tel en chaque homme, il est présent en tant que Verbe (« omnia per ipsum facta sunt »), mais pas en tant que Verbe incarné. Une foi conçue comme simple "prise de conscience intérieure" ne répond pas au mot de saint Paul : « fides ex auditu »), « la foi est reçue de la prédication ».

De là, l'Eglise s'était toujours définie comme une société visible chargée de prêcher aux hommes cette révélation pour leur salut. Mais si la grâce passe par plusieurs religions, comment sauver le dogme de l'unité de l'Eglise et préserver son caractère surnaturel et divin ? Le dogme « hors de l'Eglise pas de salut » garde-t-il un sens en s'appliquant à une supposée « Eglise du Christ » aux contours flous et donc à la visibilité incertaine ?

Malgré ses accents traditionnels, Ecclesia de eucharistia est tout imprégnée de la doctrine nouvelle. Les autorités romaines n'ont donc pas renoncé à cette religion de Vatican ÏÏ qui amoindrit la révélation du Christ pour la rendre acceptable au monde et à ses fausses religions.

Pour Mgr Fellay, la réalisation des deux préalables (dont l'idée est venue, dit-on, du futur Mgr Rifan) n'est que le commencement, et non le résultat, du véritable débat sur le fond. Mais la levée des excommunications doit être nécessairement accompagnée de l'octroi d'un statut canonique à la FSSPX : celle-ci ne saurait demeurer dans une situation de non-droit. Cette levée des sanctions est donc déjà l'objet d'une certaine négociation. C’est la raison pour laquelle on entend parler des « accords », alors même que Mgr Fellay n'envisage que le point de départ de la négociation.

« Tout accord ne portant pas sur l'essentiel consisterait à masquer le désaccord »

Un tel « accord » sur la forme et non le fond ne serait-il pas dangereux ? En effet, il emporterait une allégeance certaine à l'autorité naguère contestée : devenue administration apostolique, la FSSPX devrait bien obéir. D'autant que l'autorité s'ingénierait à compléter cette allégeance en plaçant les supérieurs de la FSSPX dans des situations impossibles en les invitant par exemple à assister à la nouvelle liturgie. De là, toute démarche de contestation sur le fond serait rendue difficile, or, par hypothèse, elle devrait impérativement se poursuivre.

En effet la religion de Vatican II décrite plus haut n'est-elle pas un avatar des doctrines dès longtemps condamnées de l'immanentisme et du modernisme ? En un mot, n'est-elle pas hérétique ? De là, peut-on prendre le risque de placer la foi catholique en situation d'infériorité à la veille d'an dialogue crucial pour sa survie ? Peut-on placer l'orthodoxie sous l'autorité de l'hérésie ?

Ce qui nous sépare aujourd'hui du Vatican est infiniment plus grave que ce qui pourrait nous réunir. Il est contradictoire de signer un armistice en pensant continuer de combattre. Tout « accord » ne portant pas sur l'essentiel consisterait à masquer le désaccord, chaque partie espérant imposer habilement dans le temps les principes que l'autre rejette maintenant. N'est-il pas plus honnête de reconnaître que nous ne sommes pas en pleine communion avec Jean-Paul II et qu'un désaccord de fond nous sépare ? Souhaitons-nous le mensonge d'une communion factice ?

En 1988 Mgr Lefebvre avait envisagé une régularisation canonique sans accord doctrinal : « l'expérience de la Tradition », comme préalable au réexamen de Vatican II « à la lumière de la Tradition ». Cet « accord pratique », il l'a même signé, mais y a finalement renoncé, il n'y a pas lieu de revenir sur cette « jurisprudence » de Mgr Lefebvre.

Aujourd'hui le Vatican veut seulement corriger une erreur : la condamnation, à une époque d'oecuménisme, de clercs et de fidèles se réclamant de la seule tradition catholique. Sa démarche est politique, ce n'est pas une démarche de foi.

Mais cette condamnation qui nous frappe est une protection : elle nous permet de conserver la foi catholique sans avoir à rendre de comptes aux conciliaires. Après quarante années de révolution conciliaire, la question de la catholicité de Vatican II est incontournable. Y répondre est impérieux. Tel est le véritable préalable.

Un dialogue avec Rome sur ce thème, aujourd'hui exclu par les autorités vaticanes, devra avoir lieu. Il s'achèvera par la défaite d'une des parties. Ou la religion de Vatican II est conforme à la tradition de l'Eglise et les traditionalistes doivent faire allégeance, ou elle ne l'est pas et les conciliaires doivent y renoncer sous peine de faire schisme.

La vérité ne rentre pas par la porte de derrière. Elle ne peut être restaurée que solennellement. Parce que l'enjeu est dogmatique, il dépasse la FSSPX et concerne toute l'Eglise. La foi est en cause. Or la foi relève des évêques. Mgr Lefebvre les a voulus quatre. Faisons-leur confiance pour régler la question.

Dieu ne nous demande pas la victoire. Elle Lui appartient, il la sonnera quand bon Lui semblera. Elle est déjà là. « La voici la victoire qui a vaincu le monde : notre foi », a dit saint Jean.