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Abbé G de Tanoüarn

Nouvelle revue CERTITUDES - octobre-novembre-décembre 2002 - n°12

Nous avons repris ici quelques bonnes pages du livre de l'abbé de Tanoüarn, Vatican II et l'Evangile. Loin de toute polémique, nous voulons montrer, à travers ce texte, ce qui nous éloigne de la nouvelle liturgie : ni une nostalgie, ni un attachement irrationnel à de vieilles formes. Le problème posé par la liturgie conciliaire est celui de la nature même du sacrifice eucharistique... Et par conséquent celui de notre identité de chrétiens !

Mes bien chers frères, au cours de cette prédication de Carême, j'ai essayé de rendre aussi accessible que possible la doctrine fondamentale du concile Vatican ïï sur l'homme et son rapport avec Dieu. Je crois avoir montré que ce qui se dessine de manière cohérente au fil de ces textes, ce qui apparaît comme en filigrane, c'est l'image d'une nouvelle religion, c'est un nouveau christianisme. Celui qui, avec loyauté, voudrait réaliser le Concile, tout le Concile et rien que le Concile dans sa propre vie, celui-là endosserait sans doute les oripeaux d'une religion universelle, il découvrirait une nouvelle identité chrétienne - et rien de moins. Karl Rahner, dans le tome 14 de ses Ecrite théologiques, ne dit pas autre chose, lui qui représente l'une des grandes autorités doctrinales de cette assemblée.

Faut-il faire confiance à un expert comme Rahner ? faut-il s'enfermer dans les diverses interprétations de Vatican II ? Non, bien sûr. Il importe d'aller aux textes eux-mêmes. Et, depuis ces textes, il sera possible d'identifier diverses stratégies interprétatives...

Si l'on adopte le point de vue de Sirius, les interprètes du Concile se partagent en deux camps, il y a ceux qui pensent que Vatican II a dit quelque chose d'original, et ceux-là en général estiment que ce Concile a vraiment offert aux vieilles structures de la catholicité une nouvelle signification historique. Et il y a ceux qui estiment que Vatican II se trouve dans la continuité de la Tradition : ceux-là confinent les textes conciliaires dans une sorte d'insignifiance, qui, si elle est bien pesée, apparaît comme injurieuse, eu égard à l'auguste assemblée qui a produit ces documents...

« Attention aux morts »

Exemple frappant de cette opposition entre les interprètes : la constitution Sacrosanctum concilium sur la liturgie. A en croire aujourd'hui certains dominicains dits traditionalistes comme le Père Laisney, ce texte est une simple incitation à plus de ferveur de la part des fidèles. Lorsque le Concile invite chacun à « participer activement » aux saints mystères, il ne ferait, à entendre ce thuriféraire, que donner l'exemple à tous les curés du monde, qui, dans leurs prêches ou leurs prônes de chaque dimanche, recommandent la piété aux chrétiens... Il faut noter que les experts et les professionnels de la liturgie n'étaient pas du tout de cet avis lénifiant, lorsque ce premier document conciliaire a été promulgué en 1964. Le Père Gy, dans cette revue spécialisée qui s'intitule La Maison Dieu, parlait en propres termes d'une Révolution et, tout en vivant l'enthousiasme de ce grand mouvement, le futur artisan de la "messe de Paul VI" estimait alors de son devoir de prévenir solennellement les autorités : « Attention aux morts », prédisait-il, car « comme toute révolution », la révolution liturgique fera des morts... Le père Gy n'était pas dupe du changement qui s'opérait en matière liturgique. Dans ce texte de 1964, il en assumait la perspective, tout en s'en faisant l'ardent propagandiste...

Le terme de révolution liturgique, qu'utilisé le Père Gy, n'est-il pas trop fort, surtout en 1964 ? Certes, le pape Pie XH, dès 1949, avait déjà parlé de « participation active et consciente au saint sacrifice de la messe »... L'expression du reste (ironie de l'histoire !) remonte à saint Pie X lui-même et à son Motu proprio de 1903 sur la Musique sacrée. Mais, pour tous ceux qui tenaient le haut du pavé en matière d'études liturgiques, il apparaissait clairement, dès 1964, que la réforme qui commençait, n'avait rien à voir avec ce genre d'exhortation pieuse.

De quelle révolution parle notre expert en liturgie ? il ne le dit pas dans l'article auquel nous faisons allusion. On peut penser que cette expression de "révolution", dans la bouche du Père Gy, désigne l'emploi de la langue vernaculaire dans l'action sacrée (que le document Inter œcumenici prévoyait déjà en 1964). Mais le texte du Concile incite à aller plus loin et à concevoir un véritable renversement des rôles entre les prêtres et les laïcs.

Ce Corps livré et ce Sang versé

Ce qui est vraiment novateur, c'est la promotion du laïcat qui reçoit une fonction nouvelle dans le déroulement de la liturgie. A travers la notion de participation active, telle qu'elle est développée au Concile, et en particulier à travers les textes consacrés au sacerdoce des laïcs, rassemblée est considérée désormais comme le ministre, comme le sujet de cette Offrande sacrificielle que l'on appelle la messe (cf. Lumen gentium n°10et 11).

Mais que peut-elle bien offrir ? Elle s'offre elle-même, elle offre ses propres efforts, ses aspirations, ses attentes... Et du point de vue proprement sacramentel, elle s'offre à elle-même le récit de la geste du Christ son sauveur, dont elle fait mémoire.

Mais elle ne peut en aucun cas offrir le vrai Corps et le vrai Sang de Jésus-Christ, ce Corps livré et ce Sang versé, qui, selon l'expression du cardinal de Bérulle, « remplacent tous les autres sacrifices ». Si le Fils de Dieu, avec son corps et son sang, est la victime offerte, il doit être aussi le prêtre qui offre, il doit être le ministre de l'action sacrée, il doit être le sujet véritable, quoique caché, de l'acte liturgique.

L'assemblée chrétienne ne peut pas agir à la place du Christ. En tant que ministre de la liturgie, elle ne peut produire qu'un simulacre humain qui n'a rien à voir avec le sacrifice de la Nouvelle Alliance. Bien sûr, l'assemblée réunie peut dire une prière, elle peut jouir d'une manière particulière de la présence du Christ qui a promis : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux. » Mais elle est bien incapable de confectionner le sacrifice du Christ !

Et pourtant, le sacrifice du Christ n'est pas facultatif dans l'oeuvre de notre salut. Aussi difficile à admettre que cela puisse paraître à nos contemporains, il fout répéter que seule la prière de Jésus touche le coeur au Père. Ce n'est pas un hasard si dans la Tradition la plus pure, et dans l'Evangile lui-même, là prière chrétienne apparaît d'abord comme la prière du Christ lui-même, car seul le Christ a un accès franc et libre à son Père.

C’est ainsi qu'on appelle le Noire Père « l'Oraison dominicale » ou la prière du Seigneur, car c'est, mot à mot, le Christ lui-même qui a voulu apprendre cette prière à ses apôtres. Durant la messe, cette prière est solennellement récitée par le prêtre seul, qui, au cours du Saint Sacrifice, se trouve configuré au Christ. Lorsqu'on a voulu que rassemblée récite cette prière durant les Saints Mystères, cela n'a pu se faire qu'au détriment de la dimension christique du sacerdoce et donc de la nature christique du sacrifice eucharistique. Bien sûr, il s'agissait d'un détail : durant la messe, le Notre Père doit-il être dit par le prêtre seul ou récité par rassemblée tout entière ? Mais chaque détail possède sa signification dans le merveilleux agencement liturgique que les siècles nous ont légué.

En quoi cette prière du Pater est-elle extraordinaire, en quoi son contenu nous apparaît-il comme vraiment divin ?

C'est que le Notre Père nous fait demander exactement l'inverse de ce qu'un homme met habituellement dans sa prière. Alors que, spontanément, l'homme essaie de tirer de Dieu un secours ou des avantages pour sa vie, le chrétien, lui, est invité à se détacher de tout intérêt personnel, en demandant à Dieu qu'il sanctifie son Nom, qu'il hâte son avènement « sur la terre comme au Ciel » et que de toute façon, sa volonté s'accomplisse. La seule véritable prière de demande concerne le pain quotidien. Nous osons demander à Dieu le minimum vital, qui nous permettra de continuer à adresser nos louanges au Père.

Jésus sait la débauche de souffrances qui l'attend

Parmi les supplications du Pater, il en est une qui revient en un autre moment de la vie de Notre Seigneur : « Que votre volonté soit faite. » C'est la prière de Gethsémani ; c'est l'humble supplication du Jardin des Oliviers : « Père, que votre volonté s'accomplisse et non la mienne. » Jésus implore le Père, il sait la débauche de souffrances qui l'attend. Cette supplication est le contraire de toutes les prières simplement humaines... Si nous nous fions à notre première impression, si nous prions humainement, nous demandons à Dieu que s'accomplisse notre volonté propre. Divinement, nous nous abandonnons à lui, nous lui abandonnons notre esprit propre, nos souhaits et nos désirs, au point de réclamer que sa volonté se fasse. C’est dans la mesure où nous nous oublions nous-mêmes que nous prions comme des chrétiens, que nous prions comme le Christ, « doux et humble de coeur ».

La prière chrétienne est la prière du Christ d'abord parce qu'elle devrait avoir la même rectitude absolue de l'intention. Que jamais nous ne nous immobilisions en nous-mêmes ! La prière, en nous mettant en contact avec le Bien absolu, nous sort de nous-mêmes. A travers la volonté de Dieu, nous voulons le Bien de l'univers, le bien commun et non notre bien privé. L'Evangile nous apprend que telle était aussi la prière du Christ. Son dernier mot est une supplication pour ses bourreaux : « Père pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font. » Les chrétiens doivent essayer de prier, eux aussi, de cette manière : désintéressée.

Si l'on veut pénétrer au cœur de la prière du Christ, il faut aller plus loin. Dans l'ordre sacramentel, instauré par Jésus-Christ, on peut dire que son sacrifice unique et toujours renouvelé, est la prière par excellence de l'âme chrétienne. C'est en ce sens que Cajétan explique (et il parle ici mieux que Bérulle que nous citions tout à l'heure) comment le sacrifice du Christ est completivum omnium. C’est l'acte qui achève ou qui complète tous les sacrifices offerts par des coeurs d'hommes, en leur conférant leur valeur véritable. Sans son sacrifice, les nôtres ne sont que des embryons de sacrifice.

L'embryon aspire à devenir homme. Nos sacrifices inchoatifs, nos balbutiements d'offrandes doivent parvenir à leur dimension véritable dans l'offrande du Christ. Voilà d'ailleurs toute la signification de l'offertoire à la messe. Comme l'expliquait le Père Guérard des Lauriers, dans la revue Itinéraires, l'offertoire est le sacrifice de l'homme : avec le pain et le vin, nous offrons nos vies, nous offrons nos coeurs et notre volonté de servir... Et cette offrande humaine est incorporée à l'Offrande divine, au sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous devenons nous-mêmes comme des hosties vivantes (Rom XIII, 10), pour reprendre le mot de saint Paul, et nos efforts, notre sacrifice intérieur constituent « ce qui manque à la passion du Christ », selon une des formules les plus hardies de l'Apôtre.

Avec Vatican II le chrétien est offrant à part entière et chaque laïc est prêtre

Pourquoi une telle audace chez saint Paul ? Parce que nos mérites et tout ce que nous pouvons offrir, ce sont les dons que Dieu nous a faits : « S'il m'a été fait miséricorde, c'est pour qu'en moi Dieu manifeste toute sa patience. » (I, Tim, I, 16). Nous offrons ce qui nous a été donné... Et ainsi, véritablement, nous devenons le Christ, nous sommes incorporés à lui, dans une étonnante collaboration de notre volonté avec sa grâce. Et qu'est-ce que la messe, sinon la manifestation sensible de ce mystère de notre incorporation au Christ souffrant et au Christ ressuscité ? Si nous mangeons sa chair et si nous buvons son sang, c'est parce que nous sommes devenus sa vie... S'il se fait notre nourriture, c'est pour nous transformer en lui.

La prière chrétienne est donc bien la prière du Christ lui-même, comme sa vie est notre vie. Nos prières de chaque jour ne sont toutes que des offertoires qui sont consacrés et rendus agréables à Dieu dans le sacrifice de Notre Seigneur Jésus-Christ, completivum omnium. Comme on comprend ces maîtres de l'Ecole française de spiritualité, s'écriant : « La messe est comme le sommaire de notre religion. » Mgr Lefebvre répétait souvent une formule de Luther, qui, lui aussi, exprimait cela à sa manière et avec sa haine : « En finir avec la messe, c'est en finir avec le papisme. »

C'est tout ce sublime édifice du culte chrétien - culte christique - qui se trouve détruit par la réforme conciliaire... Dans le texte de Missale romanum, apparaît comme un autre ethos, une nouvelle manière de vivre et de prier : le chrétien ne se glorifie plus d'être un membre du Christ ; il est offrant à part entière et chaque laïc est prêtre.

Dans la liturgie traditionnelle, le sujet du sacrifice, c'est Jésus-Christ lui-même... Il est le prêtre en même temps que la victime, comme l'a répété avec précision le concile de Trente. Au contraire, dans le nouveau rite de la messe, l'idée de participation active, agitée au Concile, a germé d'une drôle de manière puisque désormais c'est l'ensemble des fidèles, sous la présidence du prêtre, qui est le sujet ultime de l'acte liturgique, la messe se définissant simplement comme une assemblée ou - en termes savants - comme une synaxe.

Bien évidemment, l’assemblée célébrante ne peut plus s'intégrer par elle-même dans la sublime économie christique du mystère caché en Dieu depuis le commencement... Que peut-elle donc faire par ses propres forces ? Elle se contente d'en dresser le mémorial, comme on se raconte une histoire le soir à la veillée. Elle fait « le récit de l'institution » par le Christ de ce signe de son corps et de son sang. Elle dresse dans l'ordre sensible le Symbole de l'amour divin et elle ne peut pas faire autre chose. La messe nouvelle, en tant qu'elle est l'œuvre de l'assemblée, ne peut se réaliser que comme un pur signe, un signe sans efficace, de la présence du divin. Le réalisme sacramentel qui a caractérisé toute théologie vraiment chrétienne semble désormais inconcevable. Et l'Eglise en meurt, parce qu'elle n'est plus l'Epouse qui vit chaque jour avec son Epoux, métis une sorte de veuve, qui évoquerait ses souvenirs, pour essayer de s'en nourrir et de survivre. Pis aller ! Tout cela est bien insuffisant. Si les églises se vident, c'est parce qu'obscurément le peuple chrétien sent bien qu'on lui offre une image, une représentation, au lieu de lui livrer, brûlante, la réalité du Corps livré et du Sang versé.

Cette Révolution, cette inversion, figurée dans les sanctuaires par l'inversion des autels, a été soudaine. On ne peut la décrire théologiquement que d'une manière qui semble brutale. Mais il est nécessaire de rentrer ensuite dans le détail des cas particuliers, si l'on veut être objectif, être vrai. La messe nouvelle est un peu comme une auberge espagnole : on y trouve ce qu'on y apporte. Certainement, il y a des messes valides lorsque, sans conteste, le prêtre entend faire ce que l'Eglise a toujours fait comme épouse du Christ et comme mère des fidèles. Je ne veux rien généraliser et je ne cherche pas à condamner les personnes.

Mais, il faut bien avouer que ces messes sont valides par une sorte de divine garantie donnée à l'Eglise (Ecclesia supplet) et malgré l'esprit de la réforme que nous venons de décrire...

Le refus catégorique de la liturgie nouvelle par Mgr Lefebvre est, en ce sens, un acte de politique ecclésiastique d'une haute portée et d'une grande noblesse : il embrasse, dans une charité brûlante, le bien commun de toute l'Eglise, au-delà des cas particuliers et des intentions personnelles de chaque prêtre. C'est pour le bien de l'Eglise qu'il faut refuser toute légitimité à un rite équivoque (surtout lorsqu'on ose le présenter comme le seul rite légal). Quant aux individus, il leur arrive de l'utiliser, j'allais dire sans se brûler les ailes, grâce à leur grande piété personnelle, mais statistiquement, ce rite nouveau, étant donné l'esprit dans lequel il a été conçu, représente pour l'Eglise, dans sa course amoureuse à l'odeur des parfums de son époux divin, une sorte de handicap permanent et un fardeau.

Il est clair que l'on ne sortira pas de cette crise qui semble avoir attaqué jusqu'aux fondations de l'édifice, tant que la question liturgique ne sera pas résolue. S'il est difficile aux hommes d'Eglise de faire repentance pour un acte dont ils ont été eux-mêmes les protagonistes et les responsables, qu'au moins soit garantie à tout prêtre la liberté (le droit sacré, le droit imprescriptible) de célébrer la messe selon le rite traditionnel, selon un rite qui soit en harmonie avec la nature profonde du sacrifice eucharistique. Nous demandons cela pour que cesse la violence faite au Cœur de l'Eglise, épouse et mère.