Il
faut sans doute garder au cœur quelque chose de la simplicité bon enfant d'un
Don Quichotte pour oser mettre en question ce nouveau dogme planétaire qu'est
le dogme démocratique. Il faut admettre, comme lui, que quelque chose existe
au-dessus du principe de réalité, quelque chose que l'on peut appeler la vérité
ou que l'on peut nommer l'ordre, que l'on peut désigner comme l'honneur de
cette curieuse espèce animale qu'est l'humanité.
La
réalité politique aujourd'hui ? Elle est inconditionnellement démocratique.
La démocratie d'ailleurs n'est pas seulement un régime politique, elle est une
ère, elle est une culture, elle est l'une de ces idées dominantes, dont
Auguste Comte disait qu'elles mènent le monde. Il faut de l'audace pour en
contester la suprématie-Ce que nous voulons, dans ce numéro, c'est aller
au-delà de cette masse écrasante du principe de réalité démocratique, pour
tenter de poser l'hypothèse d'une vérité politique, supérieure à la volonté
de l'homme et qui s'impose à elle. Si nous sommes ridicules, après tout, ce
faisant, nous le serons avec Platon,
avec
Aristote aussi, et avec tous ceux qui refusent de prostituer la beauté des
vrais principes aux intérêts forcément plus ou moins sordides de l'instant
qui passe. C'est ainsi que la vérité et l'honneur font toujours bon ménage :
il faut un honneur donquichottesque pour reconnaître au-dessus de la réalité
politique une vérité intangible, dont on ne se moque pas impunément. Il me
semble que le moment est venu d'une telle mise en question, car au fur et à
mesure que la démocratie (qui fut autrefois un luxe et un privilège) se
diffuse et se vulgarise, elle tend à perdre tout contenu. Elle devient d'abord
la réponse préfabriquée à toute mise en cause jouant ainsi comme
justification primate de la Non-pensée officielle. Elle apparaît ensuite et
surtout comme l'expression de ces désirs insatiables que l'homo democraticus
tend toujours à prendre pour des droits. Est-ce un signe des temps ? Est-ce
l'hirondelle qui ne fait pas le printemps, mais qui, malgré elle, l'annonce
fatalement ? Fareed Zakaria, un jeune quadra indo-américain vient de publier
une histoire de la liberté en forme d'examen de conscience... Il stigmatise
vertement l'abus de démocratie, en particulier aux Etats-Unis. Différence
entre lui et nous ? Là où lui ne voit que le bien-être maximal, nous croyons
qu'il est nécessaire de parler du bien, et en particulier de ce bien qui est
commun à une société donnée et que procure, bon an mal an, toute véritable
politique.