L'étude
de Paul Sernine que les éditions Servir ont souhaité porter à la connaissance
du public, avec l'autorisation des autorités religieuses compétentes, revêt
un intérêt particulier, à l'heure où le rôle historique de la Tradition
catholique dans l'Eglise est de plus en plus manifeste pour tout observateur de
bonne foi.
Alors
que le vrai combat est celui que mène tout catholique Mêle, pour que l'Eglise
revienne aux formes dans lesquelles se transmet sa foi, certains (oh ! il s'agit
d'une minorité) se complaisent dans la dénonciation tous azimuts du Complot
universel. Et c'est évidemment sur l'air de « Hus pur que moi tu meurs »
qu'ils jouent les sycophantes, alors même qu'ils détournent les esprits des
vrais enjeux et confinent les bonnes volontés dans une lassitude mortelle, une
acédie décourageante, une asthénie annihilante. A les entendre tout est fini
et l'on vient trop tard dans ce monde pourri, il n'y a plus rien à faire...
Au-dessus de nos têtes, une conspiration de grands initiés, tirant les
ficelles de nos destinées, a monopolisé toutes les énergies, en récupérant
systématiquement à son profit quelques bonnes volontés émergeant dans la
masse des méchants et qui (hélas !) ne savent pas qu'elles sont manipulées...
Une
idéologie polymorphe, la gnose, regrouperait sous son étiquette tous les
méchants
Qui
sont ces nouveaux (et putatifs) maîtres du monde ? Quels sont ces grands
initiés qui ont prémédité l'histoire de l'humanité ? D'où vient leur
étrange pouvoir ? Comment expliquer leur prodigieuse réussite ? Les réponses
ne sont pas toujours identiques, il serait fastidieux de passer en revue les
différentes théories du complot, qui souvent se contredisent mutuellement.
L'intérêt
du livre de Paul Sernine, que les éditions Servir viennent de publier, est de
focaliser notre attention sur l'une d'entre elles, qui sert en quelque sorte
d'étalon pour juger du sérieux de théories similaires.
Un
groupe de catholiques lyonnais, réunis naguère sous l'égide de Jean Vaquier
et d'Etienne Couvert, expliquent que l'histoire de l'humanité se développe à
travers la lutte de deux principes, le principe du Bien, incamé dans l'Eglise
catholique et le principe du mal qui subsiste dans une contre Eglise gnostique,
remontant bien sûr à Satan lui-même... Ainsi naît ce que Sernine appelle le
mythe de la « gnose » - entre guillemets - cette idéologie polymorphe qui
regroupe tous les hérétiques, réunissant finalement tous les méchants,
depuis que l'Eglise est l'Eglise et, sans doute, depuis que le monde est
monde... Les champions de cette thèse ont d'abord publié 24 Cahiers Banuel ;
puis leur thèse s'est cristallisée en plusieurs ouvrages, à destination du
public catholique conservateur.
C'est
du point de vue de la rigueur scientifique et des exigences méthodologiques
élémentaires que Paul Sernine les reprend tout d'abord, avec une grande
exactitude : aucune accusation ad hominem, mais un appareil critique
impressionnant, des références de première main. Sernine a fait un véritable
travail que l'on ne réfutera pas en jouant de la flûte... ou de la cornemuse !
Jamais il ne s'éloigne des textes, chacune de ses affirmations est pesée, sa
dialectique est comme millimétrée. Faites honnêtement l'expérience et
soupesez un à un les trois grands arguments qui propose. A la fin de son livre,
il ne reste rien des rêveries transhistoriques d'Etienne Couvert.
Le
présent ouvrage n'est pas polémique ; il n'a pas pour but la guerre, mcris la
vérité. Que l'on mesure bien ce souci de l'auteur avant de l'attaquer ! Il n'a
pas d'autre objectif que de provoquer une confrontation honnête et paisible
entre les tenants et les détracteurs de la gnose universelle.
Dans
un souci de rigueur, Sernine n'a pas voulu s'étendre sur l'enjeu de son
travail. Pourquoi consacrer deux cents pages à Etienne Couvert ? C'est qu'à
travers le système de Couvert, ce qui est visé par Sernine, c'est le
conspiration-nisme de l'auteur.
La
gnose des anti-gnostiques
Je
précise : il n'est absolument pas question de mettre en cause la gnose comme
phénomène intellectuel re-productible d'une génération à l'autre au cours
de l'histoire. La meilleure preuve en est que ce que l'on reproche finalement à
l'Ecole des Cahiers Barruel, c'est de s'être identifiée à son objet d'étude,
en devenant elle-même une manifestation de cette gnose qu'elle entendait
combattre. Le syndrome de Stockholm a des applications inattendues, mais bien
réelles néanmoins. A plusieurs reprises, en particulier lorsqu'il note les
erreurs théologiques de l'Ecole Barruel, Paul Sernine nous conduit à cette
idée : la théologie des antignostiques barrueliens est elle-même gnostique.
Comment
cette gnose des anti-gnostiques est-elle possible ? Pour la clarté des débats
à venir, je me permets d'attirer l'attention des lecteurs sur une définition
à donner au mot gnose. Historiquement, cette hérésie chrétienne, d'une
étonnante diversité, se manifeste à travers deux grandes constantes. D'une
part, elle est dualiste, au sens technique de ce terme : selon cette doctrine,
il existe un Dieu bon et un Dieu méchant. D'autre part, elle fait fonds sur la
conscience humaine qui, revenant sur elle-même, se sait divine et se sent
infaillible : c'est l'origine de l'idée d'initiation.
Nous
avons mis au point cette typologie dans le n°4 de la Nouvelle revue Certitudes
; quelques exemplaires d'une deuxième édition de ce numéro sont encore à la
disposition du lecteur soucieux de précisions.
Nous
retrouvons ces deux constantes gnostiques dans les travaux de l’Ecole Barruel.
D'une
part, cette Ecole donne sans remords dans une sorte de dualisme historique,
puisque tout ce qui n'est pas rigoureusement orthodoxe (au moins selon les
critères barruéliens) se trouve contaminé par le Mauvais principe. Il ne
vient jamais à l'idée de ces maîtres qu'un auteur puisse se tromper de bonne
foi et que, s'il erre, c'est peut-être à cause des éléments de vérité que
charrie sa doctrine. Nous pensons en particulier aux hérésies théologiques en
articulant cela... L'hérésie procède le plus souvent d'une vérité
hypertrophiée et qui fait oublier à l'hérétique ce que Pascal nommait « la
vérité contraire ». Les gnostiques antignostiques n'ont que faire de ces
"complications" : selon eux, l'histoire de la pensée offre un vaste
panorama en noir et blanc.
D'autre
part, cette Ecole possède des certitudes qui ne sont pas forcément d'ordre
scientifique. Elle atteint très rapidement à une sorte de théologie de
l'histoire, dont le moteur, d'ailleurs, n'est pas tant la « fides quaerens
intellectu », la foi qui cherche à comprendre, comme dans la théologie
classique, mais plutôt. .. ce que Couvert nomme lui-même « la droite raison
» des auteurs.
Ne
nous y trompons pas ! Cette « droite raison » n'est pas la raison la mieux
éclairée ou la plus informée. Pourquoi prétend-elle à ce titre de « droite
raison » ? Pourquoi revendique-t-elle l'infaillibilité pratique de ses
jugements ? Dans l'esprit de Couvert, elle peut et doit y prétendre dansla
mesure où elle adhère au système interprétatif (antignostique) auquel il se
réfère et qui n'est rien d'autre qu'une construction de son esprit, comme le
démontre ici à satiété Paul Sernine.
N'est-ce
pas là une attitude gnoséologique purement gnostique ? Est-ce que cela ne
ressemble pas au tour d'esprit dont Alain Besancon avait diagnostiqué la
présence dans les grandes idéologies du XXème siècle, en le traitant de
gnostique justement ? Les idéologues ont toujours le monopole de la vérité ;
leur thèse n'est ni contestable ni réfutable et ceux qui se hasardent à la
critiquer sont (au choix) des malades ou des profiteurs.
Exemple
bien connu : Le freudisme. Un psychanalyste est toujours infaillible ; quant à
l'antifreudien, il a forcément tort ; c'est un névrosé qui ne veut pas avouer
son mal-être.
Le
marxisme, voici quelques années, revendiquait lui aussi avec arrogance un
système infalsifiable. C’est ainsi qu'Althusser expliquait avec beaucoup de
fierté qu'il détenait les clés d'une science nouvelle, la science absolue.
Celui qui osait contester l'herméneutique qu'il développait, celui qui se
risquait à mettre en cause les leçons d'économie politique qu'administrait le
Maître, n'était au fond qu'un bourgeois animé par des intérêts de classe.
Pas un contradicteur, non : un vulgaire profiteur...
Eh
bien ! Toutes proportions gardées, les réactions de l'Ecole barruélienne face
à la critique sont du même ordre. Lorsque le n°4 de la Nouvelle revue
Certitudes est paru, plusieurs, dont je puis donner les noms, lorsqu'ils n'ont
pas souhaité demeurer courageusement anonymes, ont jugé utile de traiter son
directeur de franc-maçon, allant jusqu'à indiquer la loge à laquelle il
appartenait... Ils démontraient simplement, ce faisant, que leur herméneutique
historique est de type gnostique. Qui s'attaque à leur position doit être
franc-maçon ! Ou gnostique ! Comme l'antifreudien des années soixante-dix
était réputé frustré ou l'antimarxiste bourgeois. La position de ces petits
maîtres-penseurs apparaît littéralement infalsifiable, infaillible,
surnaturelle, divine... Quant aux éventuels opposants, (ici on peut baisser la
voix)... « ils en sont... » !
Vais-je
à mon tour traiter Etienne Couvert de franc-maçon ? A Dieu ne plaise ! Même
si cette abstention de ma part peut paraître suspecte à certains qui ne
raisonnent qu'en noir et blanc, je m'abstiendrai soigneusement d'évoquer une
telle possibilité, je n'irais pas dire que j'ai trouvé sur internet un
homonyme lyonnais, qui appartient à une loge américaine, bref, je n'aurai pas
le réflexe idiot de l'idéologue antignostique. Et tant pis si l'on imagine que
ma discrétion anti-maçonnique à l'égard d'Etienne Couvert est elle-même
maçonnique ! Ce genre d'arguments devrait disqualifier d'avance ceux qui les
emploient...
La
franc-maçonnerie et la Révolution française
Il
existe une variante : à entendre Jacques Ploncard d'Assac, le directeur de la
revue Certitudes doit être franc-maçon parce qui refuse de croire à la
franc-maçonnerie comme force déclenchante de la Révolution française.
Je
profite donc de ces quelques lignes pour préciser ma position à cet égard,
afin d'éviter que le débat ne parte sur des voies douteuses. Il est bien
évident que la franc-maçonnerie a joué un rôle capital dans la marche de la
Révolution française. Prenons un auteur comme François Furet : dans un essai
sensationnel, il a réhabilité Augustin Cochin le grand historien des
sociétés de pensée. C’est bien que le rôle moteur des Loges dans les
événements de 1789 apparaît de plus en plus clairement aux historiens
honnêtes, quels que soient leurs inévitables partis pris. L'adresse aux
Français que laisse Louis XVI en partant vers Varenne est très explicite sur
le rôle des salons, des clubs et des loges, comme agents de la Révolution.
J'en emprunte le texte à la très belle biographie de Louis XVI que vient de
nous offrir Jean de Viguerie : « il s'est établi des sociétés des amis de la
Constitution, qui offrent des corporations infiniment plus dangereuses que les
anciennes. Elles délibèrent sur toutes les parties du gouvernement, exercent
une puissance tellement prépondérante que tous les corps, sans en excepter
l'Assemblée elle-même, ne font rien que par leurs ordres ». Un témoignage
venant de si haut et - si j'ose dire - de si près, est irrécusable!
Mais
une chose est de considérer le rôle moteur de la maçonnerie et autre chose de
céder au vertige dualiste qui saisit les barruéliens... On doit reconnaître
le rôle de la franc-maçonnerie comme "machiniste" de la Révolution
française (selon le mot que Camille Desmoulins s'applique à lui-même), mais
ce n'est pas pour autant que l'on envisagera l'Histoire simplement comme le lent
déploiement d'un complot d'initiés...
La
première de ces deux perspectives est historique et scientifique ; la seconde
est mythologique. Elle introduit dans l'histoire une sorte de sacralité
diabolique, qui donnerait infailliblement au mouvement des événements une
direction satanique. Cela, un théologien catholique ne peut l'admettre. Le
complotisme ou le conspirationnisme (deux termes équivalents pour désigner la
tournure d'esprit que nous combattons) sont des attitudes incompatibles avec une
foi chrétienne résolument non-dualiste, antimanichéenne et antignostique.
L'Evangile
contre la diabolisation
Si
je crois important aujourd'hui de marquer publiquement notre refus de cette
nouvelle gnose antignostique au nom du catholicisme orthodoxe, c'est aussi que
je ne suis pas prêt à laisser transformer notre résistance intellectuelle et
morale contre la Révolution (et en particulier contre la Révolution dans
l'Eglise) en un simulacre fait d'approximations historiques, de procès
d'intention et de terrorisme intellectuel. Je connais trop bien ce cocktail des
conspirationnistes. Non seulement il est doctrinalement répréhensible mais il
n'a rien à voir non plus avec une attitude chrétienne. C’est le procédé
dont - couramment - les chrétiens sont victimes dans notre meilleur des mondes
démocratistes, et qui porte un nom bien connu : diabolisation.
Je
ne tiens pas, quant à moi, à utiliser les armes de nos adversaires. Je ne veux
pas pratiquer la diabolisation, parce que cette manière d'agir n'est pas
chrétienne. Les Fils de lumière ne doivent pas se conduire comme les enfants
des ténèbres. Ils n'éteignent jamais la mèche qui fume encore, ils ne se
précipitent pas pour catégoriser leurs détracteurs, en en faisant des fils de
Satan (ou des francs-maçons). Ils se gardent de rêver à un fuligineux complot
surnaturel de tous contre eux. Au contraire, ils observent le commandement du
Maître : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ». Le vrai chrétien
n'est pas celui qui voudrait se démarquer du monde pécheur en « bénissant le
Seigneur de ce que, lui, il n'est pas comme le reste des hommes » comme dit
l'Evangile à propos du pharisien en prière. Au contraire ! Le disciple du
Christ sait bien qu'il n'est pas meilleur que les autres et il répète après
saint Paul : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis . » Il
sait aussi que le Christ lui-même a déclaré : « Je ne suis pas venu pour les
justes, mais pour les pécheurs. »
Dans
un récent éditorial de Mascaret son Bulletin paroissial, M. l'abbé Laguérie
a étudié attentivement deux formules de l'Evangile, qui semblent de
circonstance ici. En Matthieu XII, 30 et en Luc XI, 30, Jésus a cette célèbre
formule : «Qui n'est pas avec moi est contre moi et qui n'amasse pas avec moi
dissipe. » En Luc IX, 49 et en Mc IX, 38, le Maître parle de manière
apparemment contradictoire. L'épisode évangélique dort être repris, pour
nous permettre de bien saisir sa portée : « Maître, nous avons vu un homme
qui chasse les démons en votre nom, et nous l'en avons empêché, parce qu'il
n'est pas avec nous - Ne l'empêchez pas, car celui qui n'est pas contre vous
est pour vous».
En
réalité, la leçon de ces deux textes n'est nullement contradictoire pour qui
sait lire : « Seul Jésus peut dire : "Qui n'est pas avec moi est contre
moi. Au contraire les apôtres et les successeurs des apôtres, et tous les
fidèles, tous les témoins du Christ, dans la multitude de leurs diverses
activités, doivent se dire : "Qui n'est pas contre moi est avec moi"
explique l'abbé Laguérie. Et de conclure : « Quelle leçon pour les apôtres
de tous les temps».
Nous
tenons là surtout une merveilleuse leçon à l'encontre de tous ceux qui
s'empressent de diaboliser l'autre, pour la seule raison qu'il est autre... Le
Christ recommande explicitement à ses apôtres d'agir autrement, car ils n'ont
pas le pouvoir de sonder les reins et les coeurs, pouvoir réservé au souverain
Juge.
La
gnose, éternelle hérésie
Il
faut ajouter que cette double condamnation - théorique et pratique - de la
gnose des antignostiques et du manichéisme historique des conspirationnistes
montre bien que nous ne souhaitons en aucune manière nous priver de recourir,
pour la condamner, à cette figure historique de l'antichristianisme qu'est
l'erreur gnostique. La catégorie "gnose", la qualification de
"gnostique" constituent des instruments d'analyse extrêmement
pertinents, il est indiscutable que nous assistons aujourd'hui à une
résurgence de l'éternelle hérésie gnostique. Ce schème gnostique s'adapte
malheureusement comme un gant au dualisme démocratiste, toujours prêt à juger
en désignant qui sont les bons et qui les méchants, s'appliquant par exemple
tout récemment encore à dénoncer un Axe du mal, contre lequel il importerait
de "se croiser". Les applications de ce schème intellectuel gnostique
sont innombrables, le dualisme se porte bien. On a l'impression d'une sorte de
mythe constant vers lequel tendent des individus de tous bords. C’est ainsi -
nous avons tenté de le montrer dans Certitudes - que la gnose, à condition
d'être soigneusement définie présente une sorte de modèle englobant,
permettant de définir la nouvelle religion, et en particulier certaines
tendances du catholicisme post-conciliaire, il est clair par exemple que le pape
Jean Paul II lui-même a commis dans sa jeunesse tel article indéniablement
gnostique sur la divinité de l'homme.
Mais
Etienne Couvert et Jacques Ploncard d'Assac sont étrangement muets sur les
figures contemporaines de l'hérésie gnostique (en particulier quand elles sont
ecclésiastiques). Ils pourfendent la Révolution dans l'histoire, sans
paraître s'apercevoir que ce que Mgr Lefebvre a nommé « le coup de maître de
Satan » se joue en ce moment dans l'Eglise. On ne peut pas s'empêcher de
constater leur silence sur plusieurs points brûlants. Etrange silence des
barruéliens par exemple sur ce que l'abbé Héry appelle dans Certitudes la
liturgie gnostique du cardinal Ratzinger. Etrange silence des conspirationnistes
sur tout le combat contemporain pour la défense de la Sainte Eglise romaine.
Comment justifier ce silence ? Je ne voudrais pas rentrer dans des
considérations personnelles ou dans des procès d'intention qui ne mènent à
rien. Mais je ne peux m'empêcher de constater que M. Couvert, malgré une
oeuvre nourrie, a tout simplement oublié de définir l'objet de sa recherche.
Aussi extravagant que cela puisse paraître, on chercherait en vain dans
l'oeuvre de M. Couvert le moindre effort de catégorisation de la gnose... La
gnose couvertienne est un transcendantal historique, applicable à n'importe
quelle époque et à n'importe quel système, une idée pure opposable à toute
omoplate passant à portée de plume, parce que son inventeur se garde bien de
fournir quelque définition que ce soit... Le Mal... c'est l'autre ! Etant
donné ce caractère que Kant aurait nommé a priorique, la position de
M. Couvert - purement fidéiste - me semble relever davantage de la juridiction
d'une théologie catholique de l'histoire que de la philosophie au sens strict
(d'où l'importance du chapitre de Paul Sernine sur le silence du Magistère).
Elle
risque même de devenir souhaitable ; nous avions, nous-même, amorcé ce
travail dans le n° 4 de la Nouvelle revue Certitudes. Nous poursuivons
ici même. Sernine donne, dans son livre, quelques aperçus ponctuels sur la
nature très particulière du fondement théologique de l’historicisme
barruélien. Cela ne peut pas être un hasard : on touche fréquemment à des
erreurs de type gnostique dans les écrits de cette Ecole antignostique.
Et
même la critique que fait Couvert de l'œuvre d'un Jean Borella apparaît comme
étrangement indulgente à ce que cette oeuvre contient d'objectivement
gnostique, quitte à s'en prendre, dans la pensée de Borella, à des moulins à
vent, ainsi que le montre notre ami Sernine...
Que
faut-il penser des pourfendeurs barruéliens de la gnose ? Qu'ils auraient
avantage à relire le Discours sur la Montagne, pour ne pas confondre la paille
et le sycomore...
|