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Mgr
Dagens et sa vision d'une histoire sans rupture |
Romain
de Fairfeu |
Nouvelle
revue CERTITUDES - avril-mai-juin 2003 - n°14 |
Il
y a eu le premier Rapport Dagens en 1994, le second Rapport Dagens deux
ans plus tard et depuis quantité de bilans du Rapport, de rapports par
rapport au Rapport, de lettres, d'articles de colloques. Le but affiché
: proposer la foi dans une société laïque. Vous avez bien lu :
proposer. Le terme est dans Vatican 11 au n°l et au n°10 de la
Constitution Dei verbum. Mgr Dagens a puisé à bonne source ; pourtant
ce terme de proposition n'est pas très heureux. Si l'on s'était
contenté de proposer la foi à nos ancêtres, auraient-ils adhéré de
toute leur âme au Christ ? Que signifie le "salut" apporté
par Jésus, s'il s'agit simplement de le proposer ? « Propose-t-on »
une bouée à quelqu'un qui se noie ? Non bien sûr : on lui manifeste
le danger dans lequel il se trouve et l'urgence qu'il y a pour lui à se
ressaisir. Eh bien ! Dans cette nouvelle « proposition de la foi », il
ne s'agit plus de témoigner de l'urgence du Royaume de Dieu et de la
charité du Christ, qui nous presse vers lui comme disait saint Paul.
Non, désormais, contentons-nous de proposer. Ce sera déjà très bien.
Bref régulièrement on remet ça. Qu'est-ce donc que ce Rapport ?
Encore une fois un cours d'éducation démocratique à l'usage des
bonnes sœurs et autres militants chrétiens du dernier quart d'heure.
L'évêque d'Angoulême ne ménage pas sa peine... Il faut
inlassablement rappeler les lignes de force du fameux Rapport, pour
permettre à l'Eglise qui est en France de mieux s'intégrer à la République.
Le
5 moi 1999 à Paris, l'abbé Laguérie enthousiasmait les 1500
congressistes réunis à la Mutualité par l'association 496, en
soulignant implacablement toutes les faiblesses de ce texte : « Ni
responsables ni coupables, nos évêques sont simplement incapables ».
Aujourd'hui grâce à la Revue Etudes du joli mois de mai 2000, nous
disposons d'une de ces nièmes mises au point de Mgr Dagens lui-même,
qui montrent seulement que la remise en cause n'est pas le fort de nos
seigneurs (les repentances, c'est bien connu, valent surtout pour les
autres). L'article s'intitule « Les leçons de l’histoire et la
responsabilité politique de l'Eglise ». Il s'agit de mettre le
fameux Rapport, dans la perspective de l'histoire. Rien de moins !
Mais
qu'est-ce que l'histoire ? un immense continuum, qui avance toujours
plus. L'histoire a un sens, assurément, pour Mgr Dagens. L'évêque
part en une guerre de sa façon contre ceux qui s'obstinent à mettre
dans l'histoire des ruptures, ruptures des Révolutions, ruptures des
guerres mondiales. Toutes ces ruptures font mal à Dagens. Elles
introduisent inutilement l'idée qu'il y a un risque à courir, lors de
chaque rupture. L'évêque ne croit pas à ce risque. C'est sûr désormais,
l'histoire sera démocratique, la fin de l'histoire coïncidant avec
l'avènement planétaire de l'ivresse démocratique. Ne nous inquiétons
pas des ruptures qui ne sont qu'apparentes ; nous sommes bel et bien
embarqués sur la galère de la Liberté majusculaire et nous cinglons
à pleine voile, que cela nous plaise ou non, vers le Port du salut par
les urnes.
Bien
sûr, il faut payer le prix de ce beau voyage vers les îles fortunées.
L'Eglise a déjà payé son écot. et plus peut-être. Elle a bien gagné
sa place dans ce voyage organisé vers le paradis laïc sur la terre.
Souvenons-nous ! Mgr Dagens cite quelques éléments du florilège
anticlérical du début du siècle : un Fernand Buisson l'impressionne
par exemple lorsqu'il déclare : « Nous tentons les premiers cette
grande expérience de montrer au monde un pays qui n'a qu'une morale et
des institutions laïques. Légalement la France n'a ni Dieu ni maître
». Mgr en est tout retourné. Cette audace l’émoustille comme une
jeune fille qui se laisserait tripoter par je ne sais quel fort des
halles de rencontre, il aime parler de ces violences verbales des laïcards.
Il aime reprendre les antiennes du camp des vainqueurs et, passée la
première émotion, il n'a pas un mot de condamnation
«
Des chansons du genre Catholiques et français toujours »
Décidément,
l'anticléricalisme, ce n'est pas l'ennemi pour l'Eglise qui est en
France. Ce n'est pas l'ennemi, puisque c'est l'histoire, notre histoire.
Mais lorsqu'il faut évoquer (au moins évoquer) les réactions de
quelques catholiques antimodernes, le ton change : « Je n'ose pas citer
(sic) en regard telle ou telle déclaration du cardinal Pie ou de Mgr
Freppel, sans oublier quelques chansons (re-sic) conçues pour soutenir
le moral des catholiques, du genre Catholique et Français toujours.
Soyons sérieux ! ». Oubliées les gaillardises de l'évêque citant à
l'envi tel ou tel vibrion maçonnique du début du siècle. Lorsqu'on
aborde « des chansons du genre Catholiques et Français toujours », on
ne peut qu'être saisi d'une sorte de pudeur gênée, comme la rosière
d'autrefois. Horresco referens ! Pour l'évêque, ces noms, Freppel, le
cardinal Pie, incitent à une condamnation sans appel. Mais en fait seul
le silence est assez fort, pour qu'au Royaume du religieusement correct
on n'aille pas imaginer une complaisance de l'évêque Dagens pour «
les chansons du genre »... Ainsi que pour le cardinal Pie ou pour Mgr
Freppel...
Pas
de rupture, pas de lutte, pas de résistance, vive la Collaboration de
tous avec chacun et de chacun avec tous pour l'avènement définitif
d'une société consensuelle: Collaboration, c'est le mot d'ordre : «
C'est notre lecture de l'histoire qui est en question. Car pour les
besoins de la cause des uns et des autres, nous avons survalorisé les
ruptures de notre histoire. Nous avons appliqué à des événements
complexes des schémas simplistes, à base des rapports de force
insurmontables. C'est cette reconstruction perverse de notre histoire
qui doit être remise en question ». Quel bonheur de supprimer ainsi
tous les conflits d'un trait de plume !
Certes
n'est pas Tocqueville qui veut, notre Dagens aurait bien du mal à
rentrer dans les détails, au risque de se faire traiter de révisionniste
par les derniers tenants du matérialisme dialectique ou par les
trotskistes officiellement repentis mais non repentants qui font
l'Opinion et propagent leur vision - conflictuelle - de l'histoire. En
tout cas, on voit bien que pour nos évêques le dialogue avec le
marxisme est passé de mode. C'est la vision consensuelle qui accomplit
la vision dialectique dans une sorte de dépassement, dans un Aufhebung
définitif. Aujourd'hui il faut dire et répéter qu'il n'y a pas de
rupture, pas de conflit, que tout le monde est d'accord pour le grand et
serein glissement en avant parce que tout est dans tout et réciproquement.
Peut-être
vous demandez-vous où l'évêque veut en venir. Ecoutez la suite : «
On dit souvent qu'une autre rupture de tradition est intervenue en
Europe et spécialement en France, autour des années 1965-1975, et que
cette rupture explique la crise de transmission à laquelle nous sommes
tous confrontés face aux jeunes générations que nous avons à éduquer
». 1965-1975, cela ne vous dit rien ? Le Concile, encore lui, est-il
une rupture dans l'histoire de l'Eglise ? Puisqu'en histoire il n'y a
pas de rupture, le Concile ne peut pas en être une, vous saisissez ? La
rupture entre Ferdinand Buisson le laïcard et l'Eglise officielle de l'époque
était purement apparente, nous l'avons vu. La meilleure preuve de cette
non-rupture et de cette non-guerre entre les deux France, c'est
qu'aujourd'hui l'Eglise s'est au fond ralliée au camp laïque. Eh bien
! de la même façon, avant le Concile Vatican II, l'Eglise était
conciliaire sans le savoir. Puisqu'on vous dit qu'il n'y a pas de
rupture...
Déjà
Bernanos
La
vision de l'histoire développée par Mgr Dagens me rappelle irrésistiblement
le discours d'un personnage de Bernanos dans le roman L'imposture. Mgr
Espelette - c'est son nom - est en proie à l'ignoble amour du
vainqueur. Cette maladie honteuse lui fait perdre la tête au point
qu'il développe l'obsession morbide de vivre et de mourir à
l'avant-garde de son siècle, alors que son pacifisme intellectuel
l'enfonce tous les jours un peu plus dans l'abîme d'une insignifiance
vaguement ringarde. Pauvre Mgr Espelette ! Pauvre Mgr Dagens ! Leur décomposition
cérébrale semble irrémédiable pour l'instant...
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