1905
: La loi de Séparation de l'Eglise et de l'Etat est votée… Séparation ?
Est-ce bien de cela qu'il s'agit ? Le terme ne se trouve pas dans le texte
juridique dont nous célébrons l'anniversaire. Au XXème siècle, en pratique,
la loi dite de séparation a été vécue comme une loi de ségrégation. C'est
que, petit à petit, au long du siècle, s'affirmait la nature totalitaire de la
démocratie dans sa variante républicaine : nous avons une démocratie qui se
prend pour V unique pouvoir spirituel parce qu'elle veut régner sur les esprits
et sur les cœurs avant toute autre chose. Dans la perspective chrétienne,
depuis toujours, on répète, au contraire, qu'« il vaut mieux obéir à Dieu
qu'aux hommes ». Deux obéissances qui renvoient à deux autorités
différentes, l'autorité spirituelle et l'autorité temporelle, en perpétuelle
négociation, en continuel débat… Malgré le législateur, ce débat a
toujours lieu. Il a commencé entre Pilate et Jésus ; il portait déjà sur la
royauté du Messie : « Tu es donc Roi ? — C'est toi-même qui le dis… »
(Jo XVIII).
L'une
des caractéristiques historiques du christianisme, c'est la dualité des
pouvoirs qu'il instaure à partir du moment où il apparaît quelque part. Tous
les observateurs du fait social reconnaissent avec Auguste Comte la fécondité
de ce qui est non seulement l'ébauche d'un système politique mais un
véritable trait de civilisation : « Par la division fondamentale des pouvoirs,
organisée au Moyen Age entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel,
déclare le fondateur du positivisme, les sociétés humaines ont pu être en
même temps plus étendues et mieux ordonnées, combinaison que tous les
législateurs et même tous les philosophes de l'antiquité avaient proclamée
impossible. Avant cette époque, il n'y avait pas d'alternative entre la
soumission la plus abjecte et la révolte directe. Et telles sont encore les
sociétés, comme toutes celles organisées sous l'ascendant du paganisme, où
les deux pouvoirs sont dès l'origine légalement confondus »...
Cette
dualité libératrice entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel qui,
spontanément, régnait en chrétienté durant tout le Moyen Age, a été remise
en cause à l'aube des temps modernes, par la naissance de ce monstre que
Hobbes, dans un livre mémorable, a pu appeler Léviathan, l'Etat, cet automate
qui marche tout seul et qui possède le monopole de l'autorité, ce que l'on
appellera la Souveraineté. Dans le long chapitre qu'il consacre au pouvoir
ecclésiastique, le philosophe anglais tente de prouver, avec les arguments
tirés de l'Ecriture que les clercs n'exercent aucune autorité et qu'ils
jouissent simplement du pouvoir d'enseigner, il rencontre au passage le tenant
catholique de la thèse opposée, saint Robert BELLARMIN, qui dans son De
romano Pontifice défend l'autorité du souverain pontife et conçoit
l'Eglise comme une monarchie. On sait le tragique quiproquo qui suit cette
première confrontation entre la tradition chrétienne (qui est romaine) et la
modernité politique, qui, alors, est anglaise. On a imaginé que la liberté se
trouvait du côté de ceux qui remettaient en cause l'autorité pontificale.
Pourtant au siècle dans les cercles, d'abord ultra-montains, qui se sont
formés autour de Maistre, de Lamennais ou de Lacordaire, on a bien vu que ce
pouvoir monarchique du pontife était fondé par Dieu pour résister à toute
immersion totalisante du spirituel dans le temporel. Le génie du christianisme
est structurellement duel ; il exalte une dualité jamais surmontée entre Dieu
et le monde, entre le Créateur et la créature. Les métaphysiques
chrétiennes, à partir de Boèce, réinterprèteront cette dualité
fondamentale entre Dieu et le monde. A l'intérieur même de l'ordre créé, ils
discerneront une dualité entre l'essence et l'existence. De la même manière,
dans un ordre plus élevé, les théologies chrétiennes évoqueront la
distinction entre la nature et la surnature. En politique aussi, on distinguera
entre l'ordre naturel et l'ordre surnaturel. La loi divine, telle qu'elle se
donne à connaître dans le livre sacré, n'empêchera jamais qu'existé et soit
reconnue une loi naturelle ou un droit naturel, au sens par exemple où l'a
exalté un saint Thomas d'Aquin, droit qui indique ce qui est juste pour l'homme
tout entier, mais qui n'est pas le droit du chrétien en tant que tel. Le droit
naturel tel que l'enseigne Léon XIII est valable pour tous les hommes, quelle
que soit leur religion. Autant le droit musulman, par exemple, se formule comme
une charia, une loi positive divine avec laquelle on ne discute pas et qui ne
s'applique vraiment qu'à ses sectateurs, autant, au contraire, le droit
chrétien, c'est d'abord ce droit naturel, que le code Justinien par exemple
prend pour fondement de son discours. La liberté de ceux que l'on appelle les
enfants de Dieu naît de cette dualité, qui interdit de considérer jamais
l'homme sous un seul aspect, à l'intérieur d'une idéologie totalisante.
Cette
dualité n'est ni une duplicité (à Dieu ne plaise !) ni une doublure ou
un double emploi. Elle est le signe de la pureté essentielle du message
spirituel du Christ et elle marque le recours toujours possible face à un
pouvoir qui peut jamais tout parce qu'il n'est jamais seul.
La
stratégie concordaire
Ce
recours, il est vrai, s'effectue plus évidemment du pouvoir temporel au pouvoir
spirituel, mais l'inverse est vrai aussi, car le pouvoir spirituel, laissé à
lui-même, peut devenir tyrannique : comme le note Cajétan lorsqu'il
réfléchit sur les situations limites où peut se déceler un schisme, le
pouvoir du pape est d'autant plus facilement tyrannique, qu'il est plus grand,
s'étendant pour les individus jusqu'au for interne, ce for dont le préteur
lui-même ne juge pas : De internis non judicat Praetor. Les deux
pouvoirs historiquement se limitent donc l'un l'autre, même si par nature,
comme l'explique saint Thomas dans le De regno. le pouvoir spirituel
l'emporte sur le pouvoir temporel, étant donnée la supériorité de sa fin.
Je
suis en train de remonter avec vous, en philosophe impénitent, jusqu'à quelque
chose comme l'origine du monde, du monde chrétien en tout cas. Mais venons-en
aux concordats : la beauté du système concordataire, que nous avons étudié
toute la journée, c'est qu'il entérine et qu'il officialise cette dualité
chrétienne des pouvoirs, dans un contexte institutionnel qui (en France par
exemple) peut être pratiquement athée. Le concordat napoléonien correspond
ainsi à une reconnaissance de la croyance par un Etat juridiquement athée, et
cette reconnaissance est positive et concrète puisque l'Etat subventionne les
cultes d'une manière qui est loin d'être dérisoire. Le budget des cultes,
note Claude Langlois, a pu représenter jusqu'à 45 % des budgets des quatre
ministères gérant des personnels non militaires, l'Intérieur, la Justice,
l'Instruction publique et les Cultes justement.
Il
faut noter que les prêtres, mais aussi les religieuses, ont à ce moment-là
une place encore prépondérante dans la société civile, ils interviennent
dans le domaine de renseignement ou de la santé publique. Après 1880, suite à
une envolée des dépenses budgétaires, la proportion du budget des cultes dans
l'entretien de fonctionnaires non militaires est ramenée à 19 %. Signe des
temps nouveaux : c'est l'Instruction publique qui représente désormais 43 %
des dépenses. Ces différences au cours du temps sont la preuve de la souplesse
du système concordataire : c'est un cadre, qui admet toutes sortes de formes
concrètes différentes, selon des vécus sociaux potentiellement très
distincts.
La
Loi dite de 1905
Dans
le système issu de la loi de 1905, on ne constate plus cette évaluation
positive du pouvoir spirituel par le pouvoir temporel. Le rôle social du
pouvoir spirituel s'en trouve limité d'autant. Certes, l'article premier de la
Loi de 1905 stipule que « la République assure la liberté des consciences.
Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions
indiquées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public ». Mais l'article 2
précise que cette même République « ne reconnaît, ne salarie ni ne
subventionne aucun culte ». Je passe sur la question financière. Pour
douloureuse qu'elle soit, elle admettra un certain nombre d'aménagements qui
rendront cette clause supportable. C'est ainsi que le refus des cultuelles par
le pape saint Pie X entraînera certes la spoliation et même parfois la
destruction de biens d'Eglise, mais en même temps. l'Etat se verra obligé de
faire face à l'entretien des édifices du culte, comme le note l'article 6 de
la loi de 1908 : « L'Etat, les départements, les communes pourront engager les
dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du
culte, dont la propriété leur est reconnue par la présente loi. »
Parachevant ces dispositions, la loi de 1923, négociée entre Briand et le
nonce Ceretti donnera finalement à l'évêque le monopole de l'utilisation
légale de ces édifices. On retrouve là indéniablement quelque chose du
système concordataire, où l'évêque était toujours considéré comme
l'interlocuteur naturel de l'Etat et où la caution romaine était indispensable
dans toute discussion de quelque importance, entre l'Eglise et l'Etat.
Grâce
à l'héroïque résistance du pape saint Pie X, la question financière se
trouva réglée, bon an mal an, mais sans dommage pour la constitution divine de
l'Eglise, sans que des associations laïques ne prennent le pas sur la
hiérarchie sacrée des évêques et des prêtres. Reste cependant, si on lit de
près le texte de cette loi, un verbe, un simple verbe, mais qui pèsera
particulièrement lourd sur les consciences. C’est en lui que trouve sa source
la trop fameuse laïcité à la française, avec ses exclusives et son athéisme
pratique : « L'Etat ne reconnaît aucun culte ».
Ce
verbe reconnaître, employé négativement, sonne mal. La non-reconnaissance !
Est-ce mépris ? Ignorance ? Affectation purement formelle ? On peut dire - avec
Emile Poulat -que le verbe "reconnaître" évoque le Concordat, qui ne
"reconnaissait que les religions présentes traditionnellement sur le sol
français. Mais ce verbe "reconnaître" sonne mal ! Le défaut de
reconnaissance, affirmé au cœur de la loi, justifiera le paradoxe selon lequel
l'Etat accepte de financer les partis politiques ou les activités culturelles,
sans jamais condescendre à s'engager dans l'ordre proprement religieux.
En
France, d'après cette loi de 1905, la religion représente une exception au
sein même de la culture humaine. A suivre le législateur à la lettre, elle ne
doit jamais être prise en considération par l'Etat laïc. La trop fameuse
guerre des deux France est évidemment impliquée en germe dans ce mépris
apparent de l'Etat pour l'Eglise. Dans notre pays, la laïcité se formule
durablement comme un anticléricalisme militant, ainsi que l'a souvent souligné
René Rémond. L'antichristianisme persistant aujourd'hui dans les médias et
dans la société civile elle-même est sans doute un reliquat de cette culture
du conflit, qui, en 1905, prend vigueur, de par la loi, le plus officiellement
du monde, au sein même de l'Etat.
Séparation
ou ségrégation?
Si
l'on veut évaluer diverses stratégies post concordataires en France, il
importe de souligner d'abord ce déficit de reconnaissance dont souffrent tous
les fidèles dans notre pays, il est évident, comme le rappelait Jean de
Viguerie, qu'ainsi entendue, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat a
contribué immédiatement au grand mouvement de déchristianisation auquel les
clercs depuis un demi-siècle tentent fiévreusement de faire face (avec des
fortunes diverses). La fracture historique, introduite par ce texte, est donc
beaucoup plus profonde qu'elle n'en a l'air, et les questions financières pour
douloureuses qu'elles soient toujours par nature, sont ici très secondaires.
Ce
qui est en question c'est, à travers cette non reconnaissance de l'Eglise par
l'Etat, la suppression pratique de la dualité des pouvoirs, qui était
constitutive du vieux régime de chrétienté.
Dans
un régime concordataire, quelles que soient les clauses du contrat, l'Etat
reconnaît implicitement une légitimité à son partenaire ecclésiastique et
il s'engage à n'intervenir que dans les limites de l'ordre public,
c'est-à-dire autant qu'il ressort de ses compétences. Dans un régime de
séparation à la française, en revanche, l'Etat, ne reconnaissant aucun culte,
ne se donne aucune limite dans l'exercice de sa souveraineté. Il revendique,
face à l'Eglise catholique et contre elle, un magistère moral, que l'Etat
concordataire n'avait jamais songé à exercer. C’est en tout cas la note
caractéristique du Parti radical, qui gouvernera la France durant plus d'un
demi-siècle. Et c'est aussi la justification du nom (radical) qu'il
s'est donné à lui-même : en France, toute légitimité est radicalement
laïque. Le pouvoir laïque est le seul qui soit juridiquement reconnu comme tel
de manière ordinaire : il s'est lui-même défait de son contrepoids spirituel,
tout en annexant pratiquement l'ordre spirituel à ses propres compétences.
La
séparation de l'Eglise et de l'Etat, telle qu'elle a eu lieu en France en 1905,
ne correspond donc pas du tout à la distinction entre deux pouvoirs, le pouvoir
spirituel et le pouvoir temporel, ainsi que pourrait le faire croire l'intitulé
de cette loi. Cette loi n'est pas une loi de séparation, mais, prise à la
lettre, une loi de disqualification et de ségrégation : de non-reconnaissance.
C’est, d'une manière très fondamentale, la mise en question de la
possibilité, au sein de la modernité, d'un pouvoir spirituel distinct.
Clemenceau,
dont le seul nom surfit à résumer la pensée et la pratique du radicalisme,
avait bien noté ce qui est plus qu'une nuance, ce qui fait la nature même de
la loi de 1905. Il soulignait à l'envi son originalité face aux situations
antérieures de concordat. Entre les deux, rugissait le Tigre, dès le 23
novembre 1905, il faudra choisir, « ou bien vous allez faire une séparation
qui finalement donnera raison à l'Eglise, ou bien vous allez faire une
séparation qui donnera raison à la société moderne et à ses principes
démocratiques ».
Quelle
est cette séparation qui donne raison à l'Eglise, demanderez-vous peut-être ?
C'est la séparation concordataire, où le pouvoir spirituel est reconnu par le
pouvoir civil. Et Clemenceau continue : « Tout en rompant avec le concordat, la
Chambre est restée dans l'esprit du Concordat ». Et le voilà qui y va de sa
leçon de radicalisme : « Si vous voulez faire une loi qui ne soit pas en
contradiction avec les lois générales de l'Eglise romaine, elle sera en
contradiction avec les règles générales de la démocratie, il faut choisir
entre les droits de Dieu et les droits de l'homme ».
Le
législateur a entendu cette véhémente philippique : rompant avec toutes les
formes de concordat, l'Etat à partir de 1905 déclare ne reconnaître aucun
culte. Les droits de l'homme pourront ainsi s'imposer contre les droits de Dieu
et, selon la célèbre formule de René Viviani, le laïcisme militant se
vantera « d'avoir éteint dans le ciel des étoiles que l'on ne rallumera
jamais ».
L'enjeu
de cette non-reconnaissance affichée et revendiquée par l'Etat est simple : il
s'agit de substituer une religion à une autre, le culte de l'homme au culte de
Dieu, la religion civile de l'Humanité à la religion spirituelle du Christ-Roi.
La République, ayant accompli motu proprio et en catimini une véritable
révolution spirituelle, déclarait, en même temps, qu'elle se chargeait
d'entretenir la flamme, en pourvoyant à l'éducation humaniste des citoyens.
La
réponse de saint Pie X
Face
à ce qu'il faut bien appeler le sectarisme affiché de la République (en
particulier dans le domaine de l'éducation par exemple), il y eut une forte
résistance des catholiques, qui dans leur ensemble, acceptèrent la stratégie
de rupture avec l'Etat que le pape saint Pie X imposa aux évêques français :
« Les fabricateurs de cette loi injuste ont voulu en faire une loi non de
séparation mais d'oppression » déclarait le Pontife dans l'encyclique Festivitas,
le 15 avril 1907. Et il affirmait, serein : « Nous attendons sans crainte
le verdict de l'histoire. Elle dira que si, sûrs d'avance de votre
générosité magnanime, nous n'avons pas hésité à vous dire que l'heure des
sacrifices avait sonné, c'est pour rappeler au monde que l'homme doit nourrir
ici-bas des considérations plus hautes que celles des contingences périssables
de cette vie ». Dans l'encyclique Une fois encore du 6 janvier 1907, il
posait clairement le dilemme : « Perfidement mis en demeure de choisir entre la
ruine matérielle et une atteinte consentie à sa divine constitution (à
travers l'acceptation des cultuelles dirigées par des laïcs), l'Eglise a
refusé, même au prix de la pauvreté, de laisser toucher en elle à l'oeuvre
de Dieu».
Les
propositions d'Aristide Briand
Nous
ne voulons pas nous attarder sur les modalités de ce refus. Reconnaissons
cependant qu'il constitue une première stratégie post-concordataire,
stratégie que l'on pourrait nommer identitaire : l'Eglise, sommée de céder
aux conditions que lui fixe l'Etat laïque, sommée de s'incliner devant le Dieu
nouveau et de faire allégeance à la religion laïque, a trouvé en elle-même
la force de résister, au prix de lourds sacrifices. Au prix de spoliations sans
contrepartie, elle n'a pas cédé aux diktats du pouvoir politique.
Sous
Pie X, la catholicité vivra chrétiennement cette situation de ségrégation,
qui au fond lui est familière, depuis les premières persécutions au début de
l'ère chrétienne. Contre vents et marées, pendant près de 20 ans, l'Eglise
persistera à affirmer son autorité sur ses fidèles, sans céder au chantage
ni aux spoliations. Finalement, en 1923, dans le grand élan de l'union sacrée
triomphante après guerre, Pie XI obtiendra d'Aristide Briand, contre la lettre
de la loi de 1905, une reconnaissance des structures historiques de l'Eglise (de
sa constitution divine comme dit Pie X) par l'Etat laïc. A ce moment, Pie XI
admettra le principe des associations cultuelles - que Pie X avait refusé. Pour
parvenir à ses fins, pour faire admettre ce principe associatif, qui
privatisait les religions, l'Etat républicain a dû consentir à une concession
de taille : les évêques seront considérés comme statutairement présidents
des associations cultuelles, qui du coup correspondent aux diocèses. Bref
l'Etat, qui se targuait de ne reconnaître aucun culte, admet et reconnaît la
structure diocésaine de l'Eglise catholique.
Cet
accord fera pour longtemps la popularité d'Aristide Briand dans les milieux
conservateurs et démocrates chrétiens. Mais en même temps, il marque très
officiellement la fin de la stratégie de résistance, initiée par Pie X.
Désormais les évêques sont à nouveau (quoi qu'officieusement) approuvés par
l'Etat avant d'être nommés sur leurs sièges épiscopaux.
La
République n'a pas tout perdu, puisqu'elle obtient - dans cette tractation de
20 ans - une faculté pratique de veto sur toutes les nominations de dignitaires
ecclésiastiques en France. C'est au moins l'acquis le plus visible. A y
regarder de près, il faut ajouter autre chose. Certes la République,
désormais, reconnaît la structure de l'Eglise catholique, mais elle n'offre
aucune reconnaissance à la catholicité en tant que telle, ne serait-ce par
exemple qu'en tant qu'elle est la culture de l'immense majorité des Français
à l'époque. L'avancée diplomatique de l'Eglise ne se traduira par aucune
position acquise dans cet ordre à la fois politique et culturel.
Pie
XI ou le cléricalisme comme stratégie politique
L'esprit
d'exclusion de la loi de 1905 - le Parti radical se trouvant toujours proche du
pouvoir - demeura plus fort que les combinaisons juridiques imaginées par les
stratèges en soutane du Vatican.
La
religion catholique restait de fait, en tant que simple association cultuelle,
une affaire privée, à l'intérieur de l'Etat. En aucun cas son autorité,
vieille de vingt siècles, n'était ni reconnue ni prise en considération...
L'Eglise
catholique, dans les années Trente, se trouve toujours dans une situation
d'exclusion culturelle. Paradoxalement, la réponse de L'Eglise de Pie XI
consiste dans un cléricalisme conscient de lui-même ainsi que cela apparaît
dès l'encyclique programmatique Ubi arcano. Le caractère autoritaire du
pontife va pouvoir se donner libre carrière. Mais cela se déroulera dans une
sorte de no man's land purement idéologique, à l'usage des clercs et autres
intellectuels, promus "vedettes" d'un renouveau mal assuré. L'Eglise
étend son autorité sur le pré carré des fidèles, considérés comme à
l'écart de la société laïque. Pie XI triomphe, la « philosophie catholique
» de Blondel triomphe, le roman catholique s'affirme, l'action catholique est
fondée (1925), la politique confessionnelle est encouragée dans toute
l'Europe, en particulier en Allemagne.
En
France même, les projets du pontife étaient ambitieux, il voulut créer un
parti catholique, pour faire pièce au laïcisme et il pensait que la
Fédération nationale catholique du général de Castelnau pouvait en être
comme l'embryon. C’est ainsi que le 29 décembre 1929, lors du sacre du
cardinal Verdier à Rome, le pape désignait avec fierté ceux qu'il appelait «
les deux guides des catholiques de France » : il s'agissait, selon lui, de
l'archevêque de Paris qu'il venait de sacrer et du président de la
Fédération nationale catholique, ce fameux général. Inutile de dire que sur
le terrain, cette stratégie pontificale eut encore moins de succès que le
Ralliement de Léon XIII. Cette tentative de confessionnalisation de la vie
politique française se solda par un échec électoral cuisant. De plus, elle
coûta la condamnation de l'Action française, avec tous les déchirements
qu'impliquait une telle décision, le pape donnant l'impression pénible de
tirer sur ses propres troupes. Nous nous sommes interrogés, dans un précédent
numéro de Certitudes sur les vraies raisons de cet acte, il est clair
que le mouvement royaliste comportait beaucoup de catholiques, mais il était
trop laïc au goût du pape. La stratégie cléricale d'Achille Ratti ne
supportait pas les catholiques d'Action Française, il voulut en faire des
catholiques de l'Action catholique.
Après
l'échec électoral du Bloc catholique de Castelnau, il fallut se rabattre sur
les mouvements laïcs d'Action catholique, étroitement inféodés à la
hiérarchie et qui serviront finalement de vecteurs institutionnels concrets et
de bras militant à la tentative de catholicisation de l'action politique,
voulue par le pape Pie XI.
L'humanisme
intégral de Jacques Maritain
Très
significatif de cette nouvelle stratégie postconcordataire, initiée par le
pape lui-même, est un long article de Jacques Maritain, paru dans la revue Sept
du 12 avril 1935, et qui, aujourd'hui, sert d'appendice à ce grand classique de
la philosophie politique qu'est Humanisme intégrai.
Le
philosophe y distingue d'abord, en thomiste qu'il est, le spirituel et le
temporel. Mais, parce que Maritain est rompu aux chinoiseries d'une certaine
scolastique, il ajoute à cette perspective traditionnelle sur la dualité
chrétienne entre le spirituel et le temporel, ce qu'il nomme de manière
étonnante et très neuve un « troisième ordre ».
Précisons
cette distinction maritainienne : il existe, ou croisement des deux ordres
traditionnels, spirituel d'une part, temporel d'autre part, un « ordre temporel
qui est [ce sont les propres termes du philosophe] comme infléchi vers l'ordre
spirituel ». Dans cet « ordre nouveau », dans ce troisième ordre - politique
somme toute - le chrétien agit non seulement en chrétien métis, précise
Maritain, « en tant que chrétien » : « Et pour autant, note le
philosophe lui-même, il engage l'Eglise ». Sans se poser de questions sur le
caractère extrêmement artificiel de cette distinction, Maritain conclut avec
assurance : « C'est sur ce troisième plan que le laïcat est appelé par
l'Action catholique, à collaborer à l'apostolat de l'Eglise enseignante ».
L'invention
de ce troisième ordre mènera les chrétiens en dehors de la réalité (qui est
purement temporelle ou purement spirituelle). C’est le « Noman's land » que
nous évoquions tout à l'heure, ni politique, ni spirituel, mais les deux à la
fois. Jacques Maritain définit cet espace comme le lieu où s'exerce la
militance catholique, le domaine de l'action catholique, de cet engagement
confessionnel où enfin le catholique peut agir non seulement en catholique mais
en tant que catholique. Hélas ! cet espace est un espace imaginaire,
construit par l'intellectuel Maritain et qui n'a qu'un seul défaut, c'est qu'il
n'existe pas. Les militants chrétiens vivront désormais dans une sorte de
bulle irréelle, il ne faut pas s'étonner si leur générosité trouve dans cet
univers sa limite et finit par se dissoudre dans les grands mots, dans les
proclamations incendiaires ou dans la politicaillerie de bas étage.
Résultat
de cette confusion officielle entre le spirituel et le temporel : ce No man's
land, qui n'est ni politique, ni social, ni culturel, ne se laisse finalement
concevoir que de manière purement idéologique. Les clercs (disons les
intellectuels catholiques) instaurent spéculativement, dans un espace
imaginaire, la chrétienté que leur cléricalisme leur interdit d'atteindre
concrètement. L'Action catholique, au nom de ce blocage théologico-politique
antitraditionnel, se laissera entraîner vers toutes sortes d'utopies, toutes
pétries par les bonnes intentions du moment. Encore un peu de temps, et, après
Vatican II, on décernera, de manière hautement biblique le qualificatif de «
prophétiques » à ces militants perdus de plus en plus à gauche.
Les
chrétiens se découvriront des points communs avec la gauche. Ils appuieront
leur politique non sur les faits, non sur un enracinement social ou un travail
électoral, encore moins sur les lois honnies de la physique sociale
maurrassienne, mais plutôt sur une éthique désorbitée de tout ancrage dans
le réel. C’est ainsi que Maritain quant à lui, avait élaboré ce qu'il
appelait un idéal historique concret, celui de la chrétienté profane. Cette
chrétienté profane, sorte de cercle carré, c'est son utopie à lui.
Si
l'on y réfléchit bien, c'est sur la même lancée du pontificat de Pie XI, que
quarante ans plus tard, le pape Paul VI, dans sa fameuse lettre au cardinal Roy,
fera l'apologie de l'utopie. Ni spirituelle, ni temporelle, l'utopie chrétienne
ne traduit-elle pas cet infléchissement du temporel vers le spirituel dont
parlait Jacques Maritain ? « Cette forme de critique de la société existante,
précise Paul VI en 1971, provoque souvent l'imagination prospective, à la fois
pour percevoir dans le présent le possible ignoré qui s'y trouve inscrit et
pour orienter vers un avenir neuf. Elle soutient ainsi la dynamique sociale par
la confiance qu'elle donne aux forces inventives de l'esprit et du coeur humain
(..) Le dynamisme de la foi chrétienne triomphe alors des calculs étroits de
l'égoïsme. Animé par la puissance de l'esprit de Jésus-Christ, sauveur des
hommes, soutenus par l'espérance, le chrétien s'engage dans la construction
d'une cité humaine pacifique, juste et fraternelle etc » (Op. cit. 37).
Jean
XXIII, Paul VI et l'utopie
Ces
exigences, soi-disant spirituelles (disons plutôt idéalistes) de la politique
chrétienne n'ont plus rien à voir avec les austères rappels de droit naturel
dont le pape Léon XIII était coutumier et qui forment comme la substance de
ses grandes encycliques, Rerum novarum, Immortale Dei ou Humanum
genus. C’est que nous ne sommes plus dans l'ordre temporel, nous avons
quitté le domaine concret de la Cité terrestre, et, sous la direction de
Maritain, grand illusionniste, la pensée chrétienne a intégré, avec armes et
bagages, ce mystérieux troisième ordre que le philosophe définissait
lui-même comme un infléchissement du temporel vers le spirituel et que l'on
peut donc à bon droit nommer : l'idéologie.
Il
est difficile de comprendre Vatican II sans mettre ce concile en perspective et
montrer que la stratégie du dernier concile est l'une des virtualités du
pontificat de Pie XI. Mais autant l'action politique chrétienne, à l'époque
de Pie XI, se marginalisait et s'évaporait dans le mirage de la
confessionnalisation, autant sous le pape Paul VI, il ne lui reste plus grand
chose de spécifiquement chrétien.
Que
s'est-il passé entre ces deux états de l'enseignement social de l'Eglise ? Un
bouleversement ? Il ne me semble pas. Je dirais qu'on peut observer un lent
glissement à gauche du catholicisme, glissement qui n'est pas voulu par Pie XI,
plutôt réactionnaire. On peut simplement soutenir que son pontificat prépare
cette dérive politique de l'Eglise, en imposant des structures de pensée
ternaires, inédite jusque-là.
Alors
que les chrétiens avaient toujours vécu dans un régime de dualité avec le
temporel, voilà qu'on invente ce « troisième ordre » - désormais celui de
la doctrine sociale de l'Eglise - où se dessineront toutes les utopies
d'origine chrétienne. Sous Pie XI, ce « troisième ordre » est comme la
cristallisation de la volonté du pape à un moment donné de son pontificat, et
parce que cette volonté, opportune ou inopportune, l'historien peut en
discuter, reste indéniablement catholique, on ne se rend pas compte du
changement.
Sous
Jean XXIII, en particulier après Pacem in terris, ce troisième ordre,
qui n'est ni spirituel ni temporel mais un peu les deux à la fois, sera visité
par le mouvement de l'histoire comme dit le bon pape. Désormais l'espace neutre
qui correspond au nouvel emplacement de la Doctrine Sociale de l'Eglise servira
à exprimer l'émotion légendaire du pontife devant ces "signes des
temps" que sont par exemple la tendance à plus d'égalité entre les
hommes ou la promotion économique et sociale des classes laborieuses ou encore
la sensibilité au problème de la dignité de l'homme. D'un seul coup, tout se
passe comme si l'Eglise se réveillait à gauche...
S'agit-il
seulement de la volonté d'un pape ? Je ne le crois pas. Dix ans avant « le bon
pape Jean », le Père Chenu avait mis au jour cette dynamique de gauche que
l'on pouvait discerner dans l'espace neutre (ni temporel ni spirituel) qu'était
devenue la doctrine sociale de l'Eglise, à l'instigation de l'autoritaire Pie
XI. Dans un article sur « Morale laïque et foi chrétienne » (repris in L'Evangile
dans le temps P. 323), il expliquait dès 1953 : « Nous trouvons une
authentique valeur religieuse, de type évangélique plus que métaphysique,
même si elle ne se conceptualise pas en formules chrétiennes, dans certaines
expériences de fraternité humaine, dans certaines exigences d'égalité des
hommes, dans certaines volontés de justice collective, dans certains sentiments
de révolution de l'humanité vers un statut communautaire ». Selon le
célèbre dominicain. Dieu - le Christ lui-même - est impliqué implicitement
dans cette conscience toujours plus vive que l'homme contemporain prend de ce
que Fichte appelait sa « destination ».
Quant
au « troisième ordre », cher à Jacques Maritcrin, on peut désormais
comprendre pourquoi il n'est ni celui du temporel, des faits qui le régissent,
des exigences qui le dirigent, ni celui du spirituel et de la vérité absolue
qu'il porte. Ce troisième ordre - Chenu l'exprime admirablement dans cet
article - c'est celui de la conscience humaine, juge infaillible de l'histoire
et porte-Dieu, sanctuaire à l'ombre duquel naît toute vérité, élan à
l'origine duquel se pose toute liberté authentique...
Jacques
Maritain s'était contenté d'ajouter un ordre aux deux ordres traditionnels, il
y voyait quant à lui surtout ce que l'autorité du pape lui disait d'y voir, il
y mettait déjà, vraisemblablement cette connaissance pratico-pratique (ou
encore « normative » comme il dit), à quoi il réduit la politique, contre
toute la Tradition aristotélicienne et thomiste du droit naturel. On va se
rendre compte petit à petit que ce « troisième ordre », qui est celui d'une
super éthique non objectivable, rend inutile les deux autres. C'est ainsi que
le Concile, au paragraphe 3 de la fameuse déclaration Dignitatis humanae. ira
jusqu'à affirmer que la « médiation de la conscience » (conscientia mediante)
est nécessaire pour découvrir « la vérité divine ». La dualité
chrétienne est morte. Voici venu le règne de la conscience, et ce règne est
un règne laïque.
La
rencontre de deux intégrismes
C’est
à ce point de l'histoire qu'intervient celui qui était en quelque sorte le
prétexte de cette communication, Mgr Claude Dagens et son fameux rapport
Proposer la toi dans la société actuelle. Dans sa vision des relations
entre l'Eglise et l'Etat, il a pris acte de la suspension de toute dualité
entre l'Eglise et le monde (et donc si l'on reprend notre grille de lecture il a
entériné la réduction de la dualité originaire entre l'Eglise et l'Etat et
la cristallisation de l'appareil ecclésiastique sur ce troisième terme
éthique, qui se substitue finalement aux deux autres).
«
En tant que citoyen et en tant qu'évêque »
Mais
il va plus loin, bien évidemment. Pour lui, depuis 1905, sans paradoxe,
l'Eglise doit se situer dans l'Etat : « Que la foi et l'Eglise doivent
résolument se situer à l'intérieur de nos sociétés, c'est une exigence
relativement nouvelle » note-t-il dans son dernier opuscule, audacieusement
intitulé Va au Jorge (P. 47). Et il insiste : « On ne peut donc plus penser
les relations entre la foi, l'Eglise et la société dans la seule perspective
des rapports de force ou de face-à-face qui ont longtemps prévalu ». Pour lui
l'ère concordataire qui organisait ce face à face est bel et bien achevée.
Désormais, selon la formule de Marcel Gauchet qui est une référence constante
pour Mgr Dagens, il faut concevoir la religion dans la démocratie, en
donnant à cette préposition "dans" son maximum d'intensité
significative : la religion ne se conçoit qu'à l'intérieur de la démocratie,
comme un de ses éléments constitutifs.
Mgr
Dagens lui-même, comme il le dit joliment, intervient « en tant que citoyen et
en tant qu'évêque ». Mais ces deux titre renvoie à une même dignité, celle
de la liberté en acte dans une conscience d'homme. Aujourd'hui du reste, « une
des plus fortes raisons d'espérer en l'avenir, c'est de constater que le désir
de Dieu habite des consciences et des coeurs ». Le redoublement de
l'expression, « coeur » et « conscience » donne à penser. Entre le cœur,
qui est biblique et augustinien, et la conscience, qui est (en tout cas prise en
ce sens) la découverte fondamentale du concile Vatican II, le redoublement
n'est certainement pas fortuit. C’est à travers la conscience humaine et son
désir, nous l'avons dit, que passe la réinterprétation de la mission de
l'Eglise. Le but du prêtre est d'établir le dialogue entre cette conscience et
le Dieu tout puissant (qui oubliera un instant cette toute puissance et
acceptera de se laisser médiatiser par la conscience adulte de l'homme
d'aujourd'hui, médiatrice de toutes les vérités acceptables ou diables). «
Cette ouverture résolue cru monde et à l'humanité, à toute personne humaine,
s'appelle la mission chrétienne ».
Désormais,
pour Mgr Dagens, l'Eglise et l'Etat ne sont plus deux forces qui s'opposent ni
même deux partenaires, dont les finalités sont différentes mais qui
collaborent dans un cadre juridiquement défini, dès que leurs efforts se
recoupent. Cela, c'était la vieille logique, celle du concordat. Mais
désormais « par la voix de ses pasteurs légitimes », l'Eglise explique
qu'elle ne conçoit son rôle qu'à l'intérieur de celui de l'Etat, il n'est
plus question de concorde entre eux ; il existe quelque chose comme une fusion.
Bientôt
cent ans depuis la loi de "séparation'' de l'Eglise et de l'Etat.
Aujourd'hui, la proximité idéologique de ces deux institutions est telle que
l'on peut parler sans doute d'une nouvelle religion d'Etat, mais une religion
d'Etat qui n'aurait plus besoin d'un cadre concordataire, puisque l'Eglise ne se
penserait elle-même que comme une des fonctions de l'Etat. Nous sommes
apparemment revenus au beau temps du paganisme romain.
A
la vieille tentation théocratique, qui a traversé le Moyen Age chrétien,
succède une sorte d’idéocratie, dans laquelle communient les
autorités légales et les dignitaires ecclésiastiques. Succédant au régime
chrétien de la dualité des pouvoirs, ce nouveau système se caractérise comme
la fusion de deux intégrismes : l'intégrisme laïque, qui donne à l'Etat le
monopole de l'autorité spirituelle dans la société et le néo-intégrisme
clérical, qui rallie le premier, en acceptant de le servir.
Quand
les évêques donnent l'exemple de la religion civile...
Lorsque
les évêques entendent intervenir dans la vie sociale, avec une volonté
affichée de « réhabiliter la politique », ils évoquent les haruspices
d'autrefois, toujours prêts à mettre leur "science des entrailles'' au
service du civisme romain. Exemple ? La "nouvelle droite" fait peur à
Mgr Hippolyte Simon au point qu'il évoque la possibilité d'un retour vers une
France païenne. Je crois que nous pouvons dire d'ores et déjà que cette
France païenne n'est pas à chercher dans les dangers de l'extrémisme, quoi
qu'on en pense, mais dans l'élaboration de ce corpus doctrinal où plusieurs de
nos évêques, chacun à leur manière et avec leurs accents, préparent la
renaissance d'une religion d'Etat ou plutôt s'agrègent à la religion laïque
mondiale en cours de constitution. Dès 1983, Mgr Vilnet, alors président de la
conférence épiscopale, avait déclaré : « Interlocutrice et non régente, ce
ne sont pas des intérêts corporatistes que l'Eglise défend (les siens donc)
mais l'homme, dont elle connaît la grandeur par la révélation de Dieu en
Jésus-Christ. »
Nous
avons essayé de montrer que cette idéologie du service de l'homme, qui
implique tant de modestie de la part de l'Eglise, comme le rappelait encore
récemment le Père Radcliffe, est issue du reniement de la dualité, qui,
traditionnellement, constituait l'Eglise en face de l'Etat, comme une autorité
plus haute, quoi que sans cesse menacée.
La
question qui se pose aux catholiques est simple : l'Eglise avait-elle le droit
de renier une autorité spirituelle qui lui vient du Christ, au nom de
préoccupations stratégiques qui lui inspirent, comme une sorte d'impératif,
de vivre en communion spirituelle avec l'Etat démocratique ?
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