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La violence des mots…
C’est bien une guerre de religion

Jean Madiran

Nouvelle revue CERTITUDES - juillet-août-septembre 2003 - n°15

Nous reprenons ici, avec la bienveillante autorisation de Jean Madiran, deux articles qu’il a publiés sur le scandale de « La Passion du Christ » et sur la pure lumière spirituelle qui se dégage de ce film. N’est-ce pas surtout cette lumière qu’on a tenté, un moment, d’interdire en France ? Et la violence du scandale n’est-elle pas le signe de l’intolérance de la religion de l’Homme ?

Pour condamner Gibson, son film et tous les « gibsoniens », la violence des mots s’est immédiatement aggravée à partir du moment où l’épiscopat français a officiellement ranimé et cautionné l’accusation d’« antisémitisme ». Aussitôt les anciens et néotrotskistes du Monde ont, pour qualifier le film, employé les termes définitifs de « bestialité », d’« antichrétien » et, naturellement, de « nazi ».

Qui dit mieux ?

Michel Kubler, l’éditorialiste religieux de La Croix, a essayé. Il a trouvé, pour qualifier le film, les termes de « sadisme », de « voyeurisme » et d’« imposture ».

Un autre terme, dans le même numéro de La Croix, apparaît moins violent et plus objectif : « théologie préconciliaire ». Pesez bien cette expression. « Préconciliaire » n’y signifie pas, comme on pourrait d’abord le croire : antérieure à toute la série historique des grands conciles œcuméniques. En l’occurrence il faut entendre : antérieure à Vatican II (1962-1965). Autrement dit, toute la théologie de l’Eglise, depuis le début du christianisme jusqu’à 1962, constitue cette « théologie préconciliaire » dont La Croix écrit tranquillement, dans sa « question du jour », sous la signature cette fois de Jean Delumeau : « cette théologie est aujourd’hui rejetée » et « il est très important de ne pas remettre cette théologie en circulation », – comme le fait le film !

Michel Kubler coopère à ce rejet : « Avoir la foi au Christ, écrit-il, c’est alors renoncer à mettre la main sur son historicité. »

Et pourquoi renoncer à l’historicité de Jésus-Christ (comme fait l’« appareil critique » de la Bible Bayard) ? Voici la raison ahurissante qu’en donne l’éditorialiste de La Croix :

« Noli me tangere ! dit le Ressuscité à Madeleine. »

C’est en l’Evangile de Jean, chapitre vingt, début du verset 17, habilement tronqué de sa fin. C’est aussi ignorer (volontairement ?) le verset 27 : « Avance ta main… »

L’Evangile lui-même ferait donc partie, à certains moments, de cette « théologie préconciliaire » qu’il faut « rejeter » ?

Le P. Congar parlait déjà de rejeter, par Vatican II, toute l’« ecclésiologie romaine » qui était celle de l’Eglise depuis l’empereur Constantin (début du IVème siècle), et opérer ainsi une « révolution d’octobre dans l’Eglise ». Apparemment, on ne touche pas aux dogmes, quand on parle de changer simplement l’« ecclésiologie » ou la « théologie » qui est inséparable de l’être historique de l’Eglise. Mais on change la religion. Il y a maintenant dix, vingt, trente et quarante ans que la revue Itinéraire désignait, analysait, combattait cette introduction, tantôt subreptice, tantôt arrogante, toujours persécutrice, d’une autre religion à l’intérieur du catholicisme. Aujourd’hui l’abbé de Tanoüarn reprend et développe brillamment, dans sa revue Certitudes et dans son bulletin Pacte, une élucidation théologique analogue. C’est l’affrontement de deux philosophies incompatibles, engendrant deux comportements inconciliables. La nouvelle religion le sait bien, puisqu’elle « dialogue » complaisamment avec toutes les croyances et avec tous les courants de pensée, sauf la « théologie préconciliaire », qu’elle veut « rejeter » sans discussion. Mais elle ne s’attendait pas à une contre-attaque aussi puissante, aussi universelle : le film de Mel Gibson.


Voir Dieu

C’est dans la perspective des plus anciennes prières de l’humanité que se situe ce film. Il répond aussi aux plus audacieuses demandes de la liturgie catholique. Voir Dieu. L’attente, consciente ou confuse, qui fut celle du peuple juif et celle du monde païen : Seigneur, fais-nous voir le Père (Jn, 14,8). Le film n’est pas une photographie comme le Saint Suaire. Il est une évocation artistique, selon le langage du septième art. Il a entendu la prière de l’Eglise quand deux fois le jour, dans les répons qui suivent le psaume 116, elle implore :

Et ostende faciem tuam et salvi erimus, Mon Dieu, montrez votre face et nous serons sauvés.

La face de Dieu invoquée dans les psaumes du roi David, pour qu’elle se détourne de nos péchés (Ps. 50), pour qu’elle ne se détourne pas de nous (Ps. 101), pour que Dieu répande sur nous les lumières de son visage : illustra faciem tuam super servum tuum (Ps. 31), illuminet vultum suum super nos (Ps. 66), les générations actuelles n’en auront pas été privées. Elles en ont été comblées. Je me demande si aucune autre époque aura autant vu la face de Dieu répondre à sa prière, venir à sa rencontre, et se proposer à la liberté.

Nous avons eu, beaucoup plus que n’importe quel autre temps, accès au Saint Suaire. Et en l’an deux mille quatre nous avons, le monde entier peut-être, en tout cas le monde occidental, le monde de la sécularisation et de l’apostasie silencieuse a vu venir à sa rencontre le film qui évoque la face de l’Agneau de Dieu pendant sa Passion : sa face de douleur au moment du sacrifice ; le sacrifice que renouvelle, de manière non sanglante et non visible, chaque eucharistie. Mais nous nous souvenons alors de la parole du Seigneur : Qui me voit, voit le Père (Jn, 14, 9). Même (surtout ?) pendant sa Passion. Mystère de la Sainte Trinité, un seul Dieu en trois Personnes. Scandale pour ceux-ci, folie pour ceux-là ; signe de contradiction. Le cinéma, quand il le veut, est donc capable de nous entraîner ainsi dans une méditation et un pèlerinage en direction du Père.

Articles parus dans Présent du 2/04 et du 15/04 2004.