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1905-2005 : Les ambiguïtés d'un centenaire

Abbé G. de Tanoüarn

Nouvelle revue CERTITUDES - n°16

On a déjà beaucoup parlé et on va abondamment causer cette année d'une loi centenaire, la loi dite de séparation de l'Eglise et de l'Etat, datée du 9 décembre 1905.

Entre les deux futurs candidats de la droite parlementaire à l'élection présidentielle de 2007, les hostilités sur ce point sont déjà largement engagées. Pour Jacques Chirac, grand amateur du lyrisme de sous préfecture, cette loi est “ une colonne du Temple ”. “ Alors vous savez, lance le président comme pour caricaturer sa propre marionnette, quand il y a une colonne du Temple, on est bien inspiré en général, sauf si vraiment on veut faire un autre Temple, de la respecter et de ne pas trop vouloir la bricoler ”. Merveilleuse évidence républicaine ! La France, sous nos yeux, est en train de changer de substance, mais le Temple lui ne change pas ! Ses principes ont été décrétés immortels, voilà deux siècles, il faudra bien que la réalité sociale du XXIème siècle passe, elle aussi, sous les fourches caudines de l'idéologie démocratiste. Pas de raison que les choses changent sur ce point. La religion démocratique a trop de sectateurs, tous fraternellement unis, quelle que soit leur loge d'origine, pour que la France change quoi que ce soit aux principes spirituels qui la régissent. Membre lui-même de la loge Alpina, imprégné - par tradition familiale - des doctrines du radical-socialisme, Jacques Chirac a toujours joué le jeu républicain, avec le bonnet phrygien dont il avait coiffé le défunt RPR ou en se dépouillant de tout signe religieux ostentatoire dans la maison commune de l'UMP.

Ostentatoire, Nicolas Sarkozy a besoin de l'être, et pas seulement pour faire oublier sa petite taille, mais simplement pour délivrer un message qui soit à la hauteur de ses ambitions. D'ici 2007, il devra faire passer l'idée qu'avec lui tout sera différent, même si, en réalité, les choses seront du pareil au même. Faire entendre sa différence sans sortir de la pensée unique et du dogme républicain, c'est une sorte de tour de force. Selon le nouveau président de l'UMP, il est des principes vraiment intangibles, et parmi ceux-ci, le dogme laïque de l'égalité de toutes les religions. Sur ce point cardinal, les mots ne lui font pas peur : “ Aucune religion n'a de leçons à donner aux autres, si on prend un peu le recul de l'histoire ”. Il n'hésite pas à lâcher les chiens : “ Tout ce qui définit une communauté, une nation une religion par un critère qui l'oppose aux autres présente des relents de racisme ”. A bien écouter M. Sarkozy, une religion qui tenterait de prouver sa supériorité intrinsèque par rapport aux autres devrait tomber devant les tribunaux de la République pour incitation à la haine et pour racisme. Avec de tels principes, les religieux de tous bords auraient intérêt à transformer leur adhésion à leur religion d'origine en une sorte de pratique souriante du dialogue philosophique... Pas question de recruter pour telle ou telle enseigne puisque tout se vaut. Les croyances les plus opposées manifestent la même espérance humaine et c'est bien cela l'essentiel, explique gravement Sarkozy, marquant ainsi son adhésion au dogme laïque...

Une fois donné ce gage, le sémillant professionnel de la politique peut se retourner du côté de la Communauté musulmane, toutes tendances confondues, en promettant que, s'il est élu, l'Etat, au mépris des dispositions de la loi de 1905, pourra aider financièrement à construire des mosquées ou à former des imams. Au passage, Sarkozy n'omet pas de souligner que les églises de village, où il ne passe que quelques personnes par mois devront “ être rendues à leur destination primitive ” : “ Elles ont été construites par le peuple et pour le peuple ” déclare-t-il.

Faire de nos églises, des maisons du peuple, voilà un programme qui inquiète fortement l'épiscopat français. Mgr Ricard, président de la Conférence épiscopale, à qui il incombe de traiter cette question délicate, s'abrite et se retranche désormais derrière la loi laïque de 1905, pour préserver la véritable destination de ces églises, qui est bien évidemment le culte catholique. Comme l'a démontré Emile Poulat, la loi dite de 1905, dans son état actuel, est le résultat de presque 20 ans de tractations entre l'Etat français et Rome. Telle qu'elle est, avec les amendements de 1921, qui stipulent que l'évêque diocésain est nécessairement le président de l'association cultuelle catholique à laquelle sont dévolus les immeubles - église, chapelle, presbytères - dans un espace donné, cette loi sert de charte à une conception de la laïcité qui apparaît comme respectueuse de la spécificité spirituelle de l'Eglise romaine dans notre pays. En prétendant changer tout cela, Nicolas Sarkozy vient de s'aliéner sans coup férir le vote des catholiques pratiquants.

Est-ce un hasard d'ailleurs si Philippe Verdin a été brutalement envoyé au Sénégal par ses supérieurs ? Le manifeste laïque que ce jeune dominicain plein d'avenir signe avec Nicolas Sarkozy, La république, les religions, l'espérance, publié par les Editions du Cerf, a eu le don de déplaire souverainement aux évêques... L'ex-ministre de l'Economie y exposait largement ses thèses sur la nécessaire réforme (en faveur de l'électorat musulman) de la loi canonique. Aujourd'hui, pour les évêques de France, toucher à la loi de 1905, c'est risquer de perdre le contrôle des innombrables églises construites antérieurement au XXème siècle, qui appartiennent à l'Etat et sont dévolues à la hiérarchie catholique officielle. Devant l'histoire, Mgr Ricard, on le comprend, n'est pas prêt à endosser la responsabilité de cette perte.

La partition des cérémonies de ce drôle de centenaire risque donc de se jouer à front renversé. Parmi les défenseurs les plus acharnés de la laïcité, on comptera M. Chirac bien sûr, mais aussi Nosseigneurs les évêques, intéressés au maintien du statu quo, malgré la dégringolade des effectifs de leurs communautés de fidèles. Parmi ceux qui souhaitent que, dans le respect des principes insanes de la République une et indivisible, une plus large place soit faite au respect des identités religieuses, M. Sarkozy, qui vise un pourcentage important du corps électoral, n'hésitera pas à nous jouer un petit air de flûte sur nos identités religieuses et sur la nécessité de les prendre en compte à nouveaux frais. Quelques sourires aux catholiques (cela suffira) ; quelques sous aux musulmans (au nom de la discrimination positive, en faveur de laquelle Sarkozy s'est prononcé plus d'une fois). Au-delà des mots, la perspective n'est pas réjouissante.

Et nos évêques n'ont pour défendre leur position qu'un texte de loi, autant dire, dans la doctrine du régime en place ; un chiffon de papier. Ce qu'une Assemblée démocratique a fait, une autre doit pouvoir le défaire. Comme disait déjà Jean Jacques Rousseau, il n'y a pas de loi fondamentale en République, car toutes les lois sont aux mains du peuple ou (mieux) de l'élite éclairée qui seule comprend et interprète la volonté générale. Nos évêques seraient mal inspirés de s'abriter derrière le formalisme républicain pour maintenir leur injuste monopole cultuel dans les églises de notre France. Sans doute ont-ils l'impression de défendre ainsi Vatican II et sa liturgie désertique ! Qu'ils ne se fassent pas d'illusion cependant : leur position de blocage durera ce que durera leur crédit auprès de la présidence de la République. Est-ce se livrer à une extrapolation indue que d'imaginer que Bernadette Chirac, ayant quitté le palais de l'Elysée aux alentours de 2007, personne n'invoquera plus la colonne du Temple à propos de la Loi de 1905 modifiée en 1921 ? Comme l'annonce le président de l'UMP, on bricolera, on révisera, on réformera la loi soi-disant sacro-sainte. Du coup, le monopole de la hiérarchie catholique, défendant l'arme au pied ses édifices vides, risque bien de tomber comme par enchantement, d'un simple vote du parlement (ou éventuellement du Congrès solennellement réuni), modifiant la modification de 1921 à la loi de 1905.

Il faut donc que les évêques comprennent que s'abriter derrière la législation républicaine pour protéger un statu quo cultuel inique, c'est un calcul à courte vue qui risque de se retourner plus vite que prévu contre ses auteurs. Si l'Eglise catholique veut résister à l'islam en défendant le patrimoine chrétien de ce pays, elle ne le fera pas en s'alliant aux forces politiques laïques ou en s'abritant derrière une loi laïque.

Quels moyens devra-t-elle mettre en œuvre ? Les siens, ceux qu'elle puise dans son exceptionnelle tradition spirituelle et intellectuelle. Comme le père de famille, dans la parabole évangélique, l'Eglise doit sans cesse tirer de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes.

Quelles sont ces choses nouvelles ? Au lieu de banaliser son message en l'enfermant dans la gangue d'un humanisme déprimant, ou en en faisant un mode parmi d'autres de cette fameuse quête du sens de la vie, qui paraît-il, nous taraude tous, au lieu de cultiver tout ce qui rapproche les religions les unes des autres en donnant l'impression de tomber dans un syncrétisme de mauvais alois, il faut que les pasteurs exaltent la nouveauté permanente de l'enseignement évangélique, seul capable de répondre à la généralisation de la violence aveugle et du matérialisme le plus plat. Ah ! Si chaque évêque avait une parole d'évêque, la face de l'Eglise de France serait changée, les communautés revivraient et le spectre du désert serait conjuré !

Encore faudrait-il qu'en bons pères de famille, nos évêques respectent les choses anciennes, reconnaissent les traditions, en particulier les traditions liturgiques qui ont construit l'Eglise et pour lesquelles toutes les églises ont été construites Imaginons que demain, pour conjurer le désert, au lieu de se confier dans une pseudo colonne du Temple républicain, nos évêques donnent la liberté à tout prêtre de puiser dans le trésor de la tradition catholique pour organiser son ministère. Je ne dis pas que toutes les églises se rempliraient d'un coup de baguette magique, mais au moins l'hémorragie des fidèles cesserait et des centres spirituels dignes de ce nom renaîtraient un peu partout en France, redonnant à l'Eglise cette indispensable vitrine qu'elle a perdue - de fait - depuis le concile.

Ce ne serait pas l'un des moindres paradoxes de ce centenaire très politique qu'il provoque un électrochoc spirituel dans l'Eglise, en rendant aux Catholiques le goût de la nouveauté de leur Evangile et le libre accès aux richesses multiformes - aujourd'hui occultées - de leur Tradition.