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Edouard Balladur ose la question de l'islam

Joël Prieur

Nouvelle revue CERTITUDES - n°16

A propos de ce petit livre blanc, l'éditeur nous prévient par un discret bandeau rouge : Edouard Balladur brûle ses vaisseaux ; il va (enfin !) aborder “ le débat interdit ”. Voilà de quoi appâter tous ceux (dont je suis) qui pensent que la France était encore réellement gouvernée entre 1993 et 1995, au moment où M. Balladur était premier ministre en cohabitation avec François Mitterrand et tous ceux qui estiment, comme moi, que, depuis 1995, le culte chiraquien du consensus à 80 % interdit que soit menée une politique stable, correspondant à un dessein, à des valeurs, à un programme. Balladur, est-ce donc le nom d'une grande occasion manquée ? Voire...

Mais quel est donc “ le débat interdit ” ? Le titre que balladur a donné à son livre devrait suffire à nous l'indiquer ; selon lui, nous sommes en train de vivre “ la fin de l'illusion jacobine ”. Sans doute le lecteur pressé estimera-t-il qu'il n'y a pas là de quoi se mettre la rate au court bouillon, étant donné que de vrais jacobins, clubistes et guillotineurs, il n'y en a plus depuis deux siècles ! Leur illusion est morte avec eux. Mais ce n'est donc pas de la Révolution française que veut nous entretenir Edouard Balladur. Il me semble que l'on aurait mieux compris le caractère heureusement sacrilège de sa tentative, on aurait salué son courage, s'il nous avait expliqué clairement que l'illusion qu'il nomme “ jacobine ”, il faudrait sans doute l'appeler “ illusion républicaine ”. Après tout, c'est la République centralisatrice et assimilatrice, qui, selon Balladur, se met depuis un moment le doigt dans l'œil, en imaginant que quelle que soit leur origine, tous les hommes doivent recevoir le même enseignement et cultiver les mêmes valeurs. C'est cette illusion-là, bien présente encore dans nos mentalités et dans le patrimoine intangible de la soi-disant exception française, dont l'ancien premier ministre nous annonce la fin. Tant qu'on est dans l'ivresse du sacrilège, cette illusion jacobine, on peut sans doute aussi l'appeler l'illusion laïque, si l'on entend par laïcité ce système que Ferdinand Buisson, prix Nobel de la paix en 1927 pour services rendus à l'Humanité, a si bien défini comme le système qui exclut toutes les religions. Edouard Balladur balaie d'un revers de main plutôt négligent ces références tirées de la religion laïque ; il cherche d'autres manières de pratiquer la démocratie, il appelle de ses vœux une gouvernance politique plus sensible à la diversité des citoyens. Il faut renoncer à “ l'assimilation ”, nous assène-t-il, pour pratiquer “ l'intégration ”. Le projet est faible. Qu'y a-t-il au-delà des mots dans ce livre ? Peu de choses ! Le fameux “débat interdit” n'aura été qu'un débat avorté. Dommage !

Quoi que... Parmi les premiers chapitres de ce petit livre, certains commentateurs ne se sont pas privés de citer largement, ceux qui portent sur l'islam. Si l'on considère que Balladur fait toujours partie de la classe politique et qu'il n'est pas simplement un retraité du combat électoral, il faut bien reconnaître que certaines de ses affirmations ne manquent pas de courage : “ L'islam fait peur parce qu'il est différent, écrit-il par exemple. De la politique, de la religion, il n'a pas une conception identique à la nôtre. Dans la conscience occidentale troublée, c'est là le plus grand sujet d'inquiétude ”. Et encore : “ Mahomet est-il seulement un prophète religieux ? Comme bien des chrétiens le rappellent, c'est par la violence guerrière, la ruse, l'assassinat, par des combats et des razzias qu'il a réussi à imposer sa religion dans la péninsule arabique ”. D'où vient ce souci du parler vrai chez l'ancien Premier ministre ? Il est curieux de noter que, dans son souci de vérité, Edouard Balladur cite à deux reprises les travaux d'Anne-Marie Delcambre. Il s'inspire manifestement de ce précieux petit livre qu'elle a intitulé sans complexe : L'islam des interdits (éd. DDB, 2003).

En arabisante chevronnée, Anna Marie Delcambre pose dans son livre la question dont dépend l'avenir de la civilisation : l'islam est-il capable de se réformer sans disparaître ? “ Aussi sincères qu'ils soient, écrit M. Balladur, les musulmans qui disent vouloir une réforme de l'islam ne peuvent aller jusqu'au bout. Pour beaucoup, se mettre à l'école de l'Occident risque d'aliéner l'identité musulmane (...)L'Occident est pour eux synonyme d'athéisme, de perversité, de stérilité. (...) Pour le musulman le plus ouvert, le plus désireux de voir évoluer la société, il existe un obstacle : le Coran, texte sacré, intouchable, éternel, dont l'interprétation reste figée. (...) Peut-on autoriser une interprétation nouvelle du Coran et de la Sunna, afin de les adapter au paysage mental de notre temps, c'est tout le problème. (...) Aux yeux d'Anne-Marie Delcambre, c'est une tâche impossible, l'islam ne peut que s'y refuser, c'est une loi qu'il faut appliquer à la lettre ” (pp. 32-34).

Il n'est pas sans intérêt de remonter de Balladur à sa source : Anne-Marie Delcambre. Sans polémique inutile, mais simplement en faisant état de son savoir d'arabisante spécialiste de l'islam, elle écrit dans l'introduction de son livre : “ Celui qui veut s'en tenir au texte, à la lettre, à la lecture littérale du Coran, peut trouver de quoi justifier une action guerrière et même terroriste. L'islam pose en effet problème parce qu'il est dans l'impossibilité d'échapper à ses textes fondateurs. (...) Il faut avoir le courage de dire que l'intégrisme n'est pas la maladie de l'islam. Il est l'intégralité de l'islam. Il est la lecture littérale, globale et totale de ses textes fondateurs. (...) Il restera toujours et partout cet intégrisme diffus dans la société musulmane, qui n'est, en fait, que le désir d'application totale du Coran et de la Sunna à lettre (...) Cette culture islamique n'a que peu à voir avec la civilisation artistique brillante, qualifiée d'arabo-musulmane, qui est d'abord le fait des apports civilisationnels des peuples conquis comme les Byzantins et les Persans ” (pp. 10-12).

Il faut peser ce témoignage d'Anne-Marie Delcambre et souhaiter que beaucoup d'autres hommes politiques le fassent leur. Balladur a osé écrire : “ L'Occident vit sans doute la crise morale et politique la plus profonde qu'il ait traversé depuis les Grandes invasions ”... Il n'a sans doute pas tous les remèdes, mais il a posé le diagnostic !