De
quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au
service de l'Eglise aujourd'hui ?
Non
seulement la Fraternité sert l'Eglise, mais je crois qu'il ne faut pas
hésiter à dire que concrètement elle rend service à l'Eglise.
D'abord en maintenant vivace l'esprit sacerdotal et le transmettant aux
générations qui frappent aux portes de nos séminaires. Nul ne peut
douter du service que rend la Fraternité à l'Eglise par ses séminaires
de par le monde. Deuxième service, la Fraternité Saint-Pie X maintient
la messe tridentine, le plus beau des trésors, le seul enseignement
facile régulièrement suivi aujourd'hui par les fidèles. Si l'on
touche la liturgie, c'est l'enseignement du peuple qui est affaibli ;
cette messe étant riche de toute la doctrine catholique, il est de la
plus haute importance de la maintenir pour que concrètement le peuple
en vive. Troisièmement nous maintenons un langage doctrinal clair. Le
peuple chrétien a besoin de certitudes et non de ces considérations nébuleuses
où brille le modernisme. L'enseignement simple, liturgique, dogmatique
que dispensent journellement les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X
est sans doute le plus beau service concret qu'ils rendent à l'Eglise
car ils forment ainsi toute une génération de vrais chrétiens. Il
faut encore ajouter un service trop oublié et très concret aussi
cependant : nous maintenons l'usage de la langue latine. Mgr Lefebvre,
dans son itinéraire spirituel, a bien noté l'importance de
cette transmission du latin sans laquelle il, n'y a pas d'authentique
culture ecclésiastique en Occident. Vous m'avez demandé d'être
concret, ces idées ne sont pas des idées en l'air ; elles font l'objet
des préoccupations quotidiennes des supérieurs dans la Fraternité
Saint-Pie X. Nous voulons transmettre ces principes aux jeunes lévites
que nous formons et qui, si bienveillants soient-ils à l'égard de
toutes les formes de la Tradition catholique, n'en restent pas moins des
enfants du siècle. Cette oeuvre de transmission suppose une énergie
farouche ; il s'agit d'inculquer des principes catholiques à toute une
génération, rien de moins. Nous sommes les seuls à nous opposer
aujourd'hui au subjectivisme moderne, qui a envahi l'Eglise sous le nom
de liberté religieuse et qui corrompt l'acte de foi lui-même : désormais,
même dans l'Eglise, c'est : chacun sa vérité.
Voilà
l'esprit contre lequel nous luttons et cette lutte ne date pas d'hier,
mais désormais nous la menons presque seuls. Imaginez que lorsque Mgr
Lefebvre entre au Séminaire français, en septembre 1922, il était
lui-même imbu de ces grands principes des droits de l'homme, il le
raconte dans Petite histoire de ma longue histoire. Ce sont les
encycliques des papes, c'est l'enseignement du Père Le Floc’h qui le
détourne de cet esprit, qui, avant la lettre, est celui de la liberté
religieuse et du concile Vatican II.
Qu'est-ce
que la romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
La
romanité pour nous, c'est un attachement indéfectible à l'Eglise fondée
sur Pierre. Pierre a donné son sang dans un glorieux martyre à Rome,
il n'y a pas d'autre Eglise romaine que l'Eglise sise à Rome sur le
tombeau de Pierre. La romanité n'est pas une abstraction mais un amour
physique pourrait-on dire pour Rome et le tombeau de Pierre. D'où notre
combat, nous sommes face à des modernistes qui préfèrent Jérusalem
à Rome, ainsi le cardinal Martini actuel archevêque de Milan n'a pas
fait mystère de son intention de se faire enterrer à Jérusalem. À Jérusalem
et non à Rome. Certes la Palestine est une belle terre, celle de la
promesse, Jérusalem est la ville où l'on peut mettre ses pas dans les
pas du Christ. Loin de moi l'idée de diminuer cette ville et cette
terre en quoi que ce soit, mais enfin pour un chrétien Jérusalem reste
de l'ordre de la mémoire, Rome est l'ordre de la vie. C'est de Rome que
sont partis les missionnaires et que la vitalité sanctifiante de
l'Eglise a rayonné. Je ne veux pas dire non plus que l'Eglise romaine
est une Eglise centralisée à Rome. La romanité ne s'est jamais
manifestée comme la négation du particularisme des régions mais la
richesse et la beauté de tous les pays chrétiens vient toujours de
Rome d'une manière ou d'une autre. Quoi qu'on en dise c'est du sang de
Pierre que l'Eglise tire sa vitalité dans les différentes régions du
monde où le message du Christ est prêché.
M.
l'abbé, je ne vous pose pas, à vous, la troisième question de cette
enquête, car je crois que les deux chapitres que vous consacrez aux
sacres de 1988 dans votre ouvrage La
Tradition sans peur sont absolument définitifs sur cette question.
Je me contente, avec votre permission, d'y renvoyer le lecteur de ces
lignes. Et je vous adresse immédiatement la dernière question de cette
enquête : selon vous, la Fraternité Saint Pie X est-elle une
avant-garde ou une arrière-garde dans le combat catholique aujourd'hui
?
Dans
leur cycle d'études théologiques, les membres de la Fraternité étudient
les Pères de l'Eglise. On pourrait le leur reprocher en leur objectant
que le monde évolue et que ces vieux textes ne sont plus d'aucun
secours pour l'homme d'aujourd'hui. Mais ce serait oublier que la Vérité
n'a pas d'âge, la foi est toujours la même hier aujourd'hui et demain.
Et puis, au-delà de tous les bouleversements qui traversent nos sociétés,
la nature humaine demeure et Dieu est Dieu. Lorsqu'on tend vers son éternité,
on n'a pas besoin d'être à la mode... Je répondrais donc volontiers
à votre question : nous sommes à la fois à l'avant-garde et à l'arrière-garde,
mais toujours en première ligne, tant que nous garderons le souci de
servir la Vérité. C'est ce que Notre Seigneur nous enseigne dans
l'Evangile, lorsqu'il nous dit : « Je ne suis pas venu apporter la
paix, mais le glaive »...
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