De
quelle manière la Fraternité Saint Pie X se met-elle concrètement au
service de l'Eglise aujourd'hui ?
Nous
sommes concrètement ou service de l'Eglise chaque jour, dans nos tâches
les plus courantes. Par notre apostolat ordinaire, on peut dire que nous
continuons la vitalité de l'Eglise à travers les moyens qu'elle a
utilisés traditionnellement : d'abord grâce à la pérennité de
sacrements non douteux qui transmettent la grâce de Dieu ; ensuite, grâce
à toutes les oeuvres que la Fraternité Saint Pie X a créées autour
d'elle : prieurés, écoles, etc.
Qu'est-ce
que cette romanité dont Monseigneur Lefebvre parlait si souvent ?
La
romanité, c'est l'esprit même de l'Eglise, puisque l'Eglise est
romaine. Mais ce qualificatif suppose une matérialisation, une
localisation, une concrétisation de l'esprit de l'Eglise à Rome. La
romanité, ce n'est pas seulement une qualité dans les airs, ce n'est
pas une nuée, et, en ce sens, ce n'est pas un pur idéal : c'est une réalité
historique, géographique et spirituelle.
Si
l'on voulait expliciter cette réalité spirituelle, il me semble qu'il
faudrait refaire en théologie tout le traité de l'Eglise, comprendre
sa nature hiérarchique, l'envisager comme monarchique et vivante à la
fois. Cette vitalité est celle des martyrs qui sont à Rome et dont le
sang est et sera toujours une "semence de chrétiens", comme
l'a dit Tertullien. Nous n'avons pas le temps de nous livrer à ce
travail, mais enfin une chose est claire : Rome, c'est plus un esprit
qu'une administration.
Comment
caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Sur
le moment, j'ai compris les sacres de quatre évêques sans
l'autorisation de Rome, comme " l'opération survie " de la
Tradition, ainsi que l'expliqua Monseigneur Lefebvre durant le sermon de
la cérémonie.
Aujourd'hui,
j'y vois beaucoup plus. Dans ce que Monseigneur Lefebvre n'a pas
explicité - n'a sans doute pas osé dire - je vois le renouveau de
l'Eglise tout entière ; je vois le nouveau surgeon porteur de
renaissance ; je vois le relais nécessaire dans la course historique de
l'Eglise.
Je
voudrais bien préciser ce point : il ne s'agit pas dans mon esprit de
limiter toute l'Eglise catholique à la Fraternité Saint Pie X et aux
prêtres qui seront issus de ces quatre évêques, mais il faut bien
prendre conscience que l'Eglise ne sortira pas de ce marasme où elle se
trouve avec la hiérarchie qu'elle s'est donnée aujourd'hui. L'Eglise
actuelle va tomber, il n'y a pas un évêque pour racheter l'autre. L'épiscopat
qui naîtra ne viendra pas de l'esprit du Concile Vatican Il, ni des
oeuvres du Concile. Il naîtra dans l'espérance et la fidélité que
portent aujourd'hui nos quatre évêques. Non pas que ces nouveaux évêques,
ces évêques de demain, seraient forcément sacrés par les évêques
de la Tradition - encore une fois, ce n'est pas ce que je veux dire -
mais je crois que l'esprit qui les portera à reconstruire l'église dévastée
vit déjà dans nos quatre évêques qui sont en quelque sorte des précurseurs
du renouveau authentique de l'Eglise.
Monsieur
l'abbé, voulez-vous dire, comme dans l'Evangile, qu'on ne met pas de
vin nouveau dans des outres vieilles ?
C'est
un peu cela, si vous voulez, mais en même temps, c'est plus compliqué.
Notre Seigneur disait cela en parlant des pharisiens qui étaient
spirituellement morts et dont il n'y
avait rien à tirer. Moi, je ne dis pas que tout est mort dans ce qui
est tout de même l'Eglise romaine. Les ruines sont terribles, engendrées
par des principes faux, mais il y aurait dans l'Eglise comme un système
de vases communicants : ce qu'on perd d'un côté, on va le gagner de
l'autre. L'Eglise subit une sorte de mue ; disons que nous avons été
les premiers à muer et c'est peut-être pour cela qu'on ne nous
a pas très bien compris. Mais ce qui a été construit grâce aux
sacres, autour des sacres, servira de référence, de base à la
reconstruction. Ce que je tire de ces considérations est très simple :
contrairement à ce que certains pensent, les sacres ne sont pas
seulement une rustine, une réparation provisoire qui tiendra plus ou
moins et qui serait issue du désordre antérieur, c'est un acte de
salut, c'est un acte précurseur.
La
Fraternité Saint Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde
dans le combat catholique aujourd'hui ?
Je
dirais que la Fraternité est une avant-garde et une arrière-garde,
mais pas sous le même rapport. Nous sommes une avant-garde et c'est
sans le vouloir, par le fait des circonstances sur tous les sujets. En
morale, en doctrine, nous sommes propulsés dans les premières tranchées,
en première ligne. Il y a des gens qui se croyaient en avance sur nous
dans le combat catholique que vous évoquez et qui se retrouvent bien
derrière nous. Je pense ici en particulier, je dois vous le dire, aux sédévacantistes.
Mais nous devons aussi camper à l'arrière-garde du troupeau, car il
faut patienter avec ceux qui ne comprennent pas le combat, qui ne sont
pas des battants. Ils gardent la foi, mais ils ne savent que se
raccrocher au bateau pour ne pas couler. Il ne faut pas leur demander
tout de suite de défendre toutes les positions les plus exposées ni de
voir clair sur la liberté religieuse, sur la messe, etc. A ceux-là,
nous donnons les sacrements ; nous voulons leur rendre la vie, leur
rendre la santé avant tout.
De
quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au
service de l'Eglise aujourd'hui ?
Le
plus grand service dans l'Eglise est le témoignage de la Foi, en
doctrine comme dans les faits. À cet égard la FSSPX occupe une place
éternellement actuelle et actuellement éternelle. On peut le résumer
en ceci que tous les autres catholiques se demandent quelle part de vérité
ils ont encore le droit de professer au grand jour dans l'Eglise qui se
dit elle-même conciliaire, et, quant à nous, nous nous demandons
seulement quelle autorité nous laisse devant les chrétiens notre
liberté, notre choix résolument libre de la vérité intégrale. On
peut regretter que ce témoignage traditionaliste ne soit plus aussi
incisif et récurrent que par le passé. Mais le développement de notre
Fraternité et les initiatives de quelques prêtres institutionnalisent
heureusement ce qui était charismatique chez Mgr Lefebvre. Mgr agissait
d'égal à égal avec les autorités romaines : parmi les successeurs
des apôtres, il lut le seul à garder la romanité, cela lui a donné
une autorité historique en quelque sorte.
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