De
quelle manière la Fraternité Saint-Pie X se met-elle concrètement au
service de l'Eglise?
Je
dirais qu'on continue à enseigner et à faire ce que l'Eglise a
toujours fait. Nous appliquons tous les jours les sages maximes de saint
Vincent de Lérins qui peuvent se résumer ainsi : en cas de crise, en
cas de doute, « il faut veiller avec le plus grand soin, à ne tenir
pour vrai que ce qui a été cru partout, toujours et par tous. » Ce
qui me frappe dans l'œuvre de Mgr Lefebvre c'est justement qu'elle
manifeste bien ce que l'Eglise a toujours fait sans se complaire dans
aucune singularité, sans revendiquer aucune originalité. J'ai 51 ans,
j'ai donc connu l'Eglise d'avant le concile, j'étais chez les maristes
au collège, je peux dire que j'ai retrouvé à Ecône cet enseignement
que nous y avions reçu et c'est cet enseignement que je transmets
aujourd'hui sans chercher à innover. Après le concile, beaucoup se
sont trouvés dans un véritable no man's land, une sorte de désert
spirituel. Mgr Lefebvre a été celui qui a dit à qui voulait
l'entendre : je vais vous transmettre ce que j'ai moi-même reçu. Je
dirais que c'est ce que j'essaye de faire moi-même à Marseille autant
que je le peux : donner paisiblement ce que j'ai reçu. Mais attention,
cette ambition de fidélité ne signifie pas non plus que nous soyons
figés. La tradition, ce n'est pas un monument monolithe qu'on traînerait
derrière soi. Le monde a changé, les tempéraments, les intelligences
même, ont changé et nous en prenons acte. Ce sont les mêmes richesses
que nous transmettons, avec le désir de nous adapter aux âmes qui
doivent les recevoir. Lorsque je remonte dans mon souvenir, il me semble
que ce que je peux reprocher à certains prêtres d'il y a quarante ans,
c'est une certaine rigidité, une manière de vous faire sentir sans
vraiment vous le dire lorsque vous posiez des questions : c'est ainsi et
pas autrement. Je crois qu'on remarque de plus en plus aujourd'hui un
besoin d'explications. Il y a une telle richesse dans la tradition qu'on
peut vraiment emmener les intelligences au seuil du mystère.
Qu'est-ce
que cette romanité dont Mgr Lefebvre parlait si souvent ?
Le
christianisme est né à Rome parce que saint Pierre y est mort, il y a,
c'est incontestable, un rôle providentiel de la ville, et ce rôle dure
encore malgré les ruptures. La rupture que nous remarquons aujourd'hui
est certainement très grave néanmoins dans tous les domaines, dans le
domaine de la foi, dans le domaine des mœurs, dans le domaine de la
pastorale sacramentelle. Je voudrais insister aussi sur la rupture
culturelle que représente l'abandon du latin. Évidemment une langue,
c'est d'abord un véhicule, mais le latin dans l'Eglise c'est plus que
cela. Cette langue qui n'évolue pas nous permet de nous ancrer,
aujourd'hui comme par le passé, dans l'unité de la foi.
Comment
caractérisez-vous les sacres de 1988 ?
Après
Mgr Lefebvre lui-même on a beaucoup parlé d'une opération survie.
L'ancien archevêque de Dakar avant de faire ce geste a cherché des évêques
qui aient le courage et qui voient la possibilité de continuer cette
oeuvre, cette œuvre qui n'est pas seulement son oeuvre, qui est l'œuvre
de l'Eglise, une œuvre salutaire pour la défense de la foi et pour la
sanctification des fidèles. L'expression * opération survie "
doit être expliquée en ce sens. On a tendance à faire de la tradition
un substantif qui ne désignerait qu'une partie de l'Eglise. Ce n'est
pas de cela qu'il s'agit, il ne s'agit pas de sauver sa partie, la
Tradition est le coeur de l'Eglise et c'est vraiment l'Eglise que l'on
veut servir dans cette opération survie de la Tradition.
La
Fraternité Saint-Pie X est-elle une avant-garde ou une arrière-garde
dans le combat catholique aujourd'hui ?
Je
répondrai que nous ne sommes ni une avant-garde ni une arrière-garde :
la Fraternité Saint Pie X assure par sa fidélité au magistère de
toujours, autant qu'elle le peut, la pérennité de la foi dans le monde
d'aujourd'hui. Est-ce prétentieux de dire cela ? On peut dire
objectivement qu'il y a aujourd'hui une dégradation dans l'enseignement
de l'Eglise. Par exemple la doctrine de la liberté religieuse développée
durant le concile est contradictoire avec l'enseignement des papes sur
le libéralisme et la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ ;
cela a été démontré cent fois, notre prétention est toute simple :
elle consiste simplement à rester fidèle au magistère de l'Eglise
traditionnelle. Ce n'est pas du fixisme, il ne s'agit pas de faire un
bloc et de se mettre des oeillères, il suffit de considérer
objectivement les doctrines. La conviction que nous entretenons dans la
foi, c'est qu'il existe une manière de transmettre sans concession la
doctrine de toujours aux chrétiens d'aujourd'hui. Mais cela suppose un
travail. Nous ne voulons pas garder nos talents sans les faire
fructifier. Il faut qu'il y ait entre nous sur ce point une émulation
spontanée. Bien sûr, il faut savoir garder un équilibre... nos
bibliothèques n'ont pas à s'arrêter au concile Vatican I et à ce qui
se publiait il y a un siècle. Nous ne sommes pas des sectaires même si
certains tentent de nous faire passer pour tels. Nous voulons simplement
être des chrétiens dans le sens le plus complet, le plus entier du
terme, sans concession ni compromission et sans raideur. Je crois que
c'est ce que disait Mgr Lefebvre lorsqu'il affirmait : « nous voûtons
continuer ». Eh bien oui, cette continuité est belle, nous
voulons continuer ni à l'avant-garde ni à l'arrière-garde, chrétiens,
catholiques, tout simplement.
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