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Philippe Ariès, historien de la mort

J.-M. Hardy

Nouvelle revue CERTITUDES - octobre-novembre-décembre 2001 - n°08

Texte d'un encart, dans l'article de Pierre Labrousse: Le suicide légal ou comment on entreprend de faire de la mort un objet de liberté

Ces réflexions sur la mort sont l’occasion d’évoquer la grande figure de celui qui se définissait modestement comme un historien du dimanche, et qui a pourtant donné ses lettres de noblesse à une nouvelle spécialité : l’histoire des mentalités. Alors qu’on était encore sous la dictature de l’Ecole des Annales et de son obsession économiste, Philippe Ariès, en 1974, fait paraître ses Essais sur l’histoire de la mort en Occident, puis, un peu plus tard, la synthèse qu’appelaient ces divers coups de sonde : L’homme et la mort. Je me souviens de M. Romon, mon professeur d’histoire en classe de seconde, gauchiste des grands chemins, spécialiste des mendiants et des prostituées à la fin de l’Ancien Régime (Ah ! Louis Sébastien Mercier et ses Tableaux de Paris !) et qui ne tarissait pas d’éloges sur cette grande œuvre d’Ariès... C’est que dans son esprit sans doute, cette histoire des mentalités était bonne fille et qu’elle se plierait à tout ce qu’on voudrait lui faire dire. C’était assez vrai d’un certain nombre de sujets : L’histoire de la peur en Occident signée Jean Delumeau, est un monument de partialité. L’histoire du purgatoire de Le Goff ne vaut pas mieux. Minois à écrit une Histoire de la guerre et une Histoire du suicide qui sont l’une et l’autre assez légères. Pour la mort, c’est autre chose, parce qu’il y a ces documents que sont les testaments... Une objectivité terrible : lorsqu’on fait son testament, c’est que l’on n’a plus rien à cacher. La mort fait tout dire. C’est l’épreuve de vérité. Philippe Ariès étudie donc les testaments et parce qu’il a l’esprit clair et qu’il ne se perd pas dans les singularités que son sujet ne manque pas d’appeler, il distingue plusieurs époques dans l’histoire de la mort : au Moyen Age, dit-il, les gens vivent sous le régime de la mort apprivoisée. L’expression est belle. Elle dit bien la force de la civilisation traditionnelle, qui n’avait pas inventé la sécurité sociale, mais qui représentait cette assurance vitale, intériorisée par chacun et qui permettait de tutoyer la mort ensemble. Un peu plus tard, alors que l’individualisme pénètre les mentalités, la mort devient la mort de soi : on reste seul devant la mort qui évidemment prend des proportions épouvantables. Une seule solution : la dérision. On tente de s’en moquer... et ce sont ces vanités que les peintres représentent pour dédramatiser (voir ici p. 5). Le romantisme poursuit la mise à distance de la mort, définitivement ensauvagée : selon Philippe Ariès, le début du XIXème siècle se caractérise comme l’époque de « la mort de toi ». C’est l’être aimé qui meurt et l’on verse sur lui des larmes, mais on ne réfléchit plus à sa propre mort Enfin, au XXème siècle, vient l’époque de ce que notre historien du dimanche appelle fortement la mort interdite. La mort devient un tabou ; il ne faut pas même prononcer son nom. C’est ce tabou qu’en 2002, nous avons cru pouvoir lever dans Certitudes...